Jour PR 8 – Très tôt le matin

La nuit avait été horrible, comme toutes les nuits depuis ce qui me semblait être une éternité. Je dormais à peine, et pourtant je tenais debout. Mon corps souffrait, et pourtant je ressentais de moins en moins la douleur. Ou plutôt, je la ressentais, mais comme si elle venait de très loin, comme si ce n’était pas vraiment moi qui avait mal. J’étais anesthésié, complètement déconnecté de mon corps et de mon esprit, mais cela m’importait peu, voir pas du tout… Je tenais le clan debout, je le faisais avancer, voilà ce qui comptait, et c’était désormais tout ce que j’avais en tête. Je ne devais plus me laisser parasiter, je ne devais plus me concentrer que sur une seule chose, une seule tâche : la gestion du clan des Aigles de l’Est. Et pour ça, je devais continuer les médicaments, peu importe ce que les autres en disaient. Car grâce à eux, je tenais debout, j’arrivais à réfléchir de façon rationnelle lorsqu’il le fallait et j’avais pu reconstituer un masque suffisamment solide que pour faire face au clan. Grace à eux, j’étais un bon chef… et c’était là tout ce qui comptait.

Pourtant, j’avais beau me persuader que ces médocs étaient bénéfiques pour ma tâche, je devais également admettre qu’ils me détruisaient à petit feu : insomnies chroniques, perte de contrôles, délires… Dès que je me retrouvais seul, les effets secondaires que je contenais en journée faisaient surface comme des boulets de canon, rendant ma vie impossible… et pas que la mienne… Gabriel, Oli, Kiara… Alessandra… Ils étaient l’objet de ma dernière insomnie. Je passais et repassais leurs paroles dans ma tête, revoyais nos échanges, ressassais encore et toujours… Jusqu’à ce que je craque et finisse par sortir prendre l’air, oubliant ma béquille dans ma chambre mais prenant bien soin d’emporter le petit sachet qui trônait sur ma table de nuit et sans oublié d’avaler un petit cachet avant de sortir…

Le soleil n’était pas encore levé, même s’il faisait déjà suffisamment clair que pour y voir sans problème. Il faisait plutôt frais, mais je ne ressentais pas vraiment la température. Je marchais dans les rues encore désertes du territoire, sans but précis, boitant à peine tellement j’étais déconnecté de la réalité. Je voyais et entendais ce qu’il se passait autour de moi, mais je ressentais plus rien en moi… La sensation était plutôt étrange, pas vraiment désagréable en fait… Le fait de ressentir de moins en moins les choses me permettait de me concentrer sur ce qui comptait réellement, alors pourquoi est-ce que je ressentais encore le besoin de me vider la tête ? Marcher pour oublier… pour m’oublier…

Les mots ne guérissent pas les cœurs, alors laisse-moi essayer autre chose

oz ∞ eli

Année 41, première saison tempérée (huit jours après la Rébellion) ✻✻✻  Quelqu'un, quelque part, doit bien se foutre de la gueule de Oz. Il en avait la certitude. Comme à son habitude, il s'était mis en route tôt pour le travail. Il voulait profiter de la fraîcheur du petit matin pour faire le tour de ses pièges et ainsi se permettre un rythme plus tranquille aux heures les plus chaudes. La veille, il n'avait pas pu sortir à cause de cette foutue traque qui le laissait étrangement amer. C'était donc d'autant plus important qu'il mette le nez dehors. Il avait déjà tout programmé. Il se voyait s'installer au zénith sous un abri de pierre et manger le casse-croûte qu'il avait dans son sac. Il se voyait faire une petite sieste, laissant son compagnon canin monter la garde. Il se voyait même courir après quelques lapins. Tout ça, ce n'était malheureusement que des putains de fantasmes. Il s'était pris la réalité de plein fouet, le Oz, quand aux frontières ont lui avait dit non. Juste non. La sentinelle n'avait pas voulu le laisser sortir. Il n'avait eu aucune explication. C'était comme ça.

« Rentre chez toi, mon gars. » Qu'il lui avait dit. De mauvais gré, Oz avait obtempéré, adressant son majeur à la sentinelle dès qu'il avait eu le dos tourné. Toute cette situation lui prenait la tête. Il ne comprenait pas ce délire de garder les gens à l'intérieur. Il était un gars de l'extérieur, rester ici allait devenir étouffant à force. L'humeur massacrante, il se mit en route pour le quartier général. Il espérait en apprendre plus là-bas. Habituellement, Oz n'aimait pas trop traîner dans ce coin là. Là-bas, on rencontrait trop d'emplumés.

Oz marchait rapidement entre les ruines aigles, son clébard tournant dans les parages, quand il aperçut quelqu'un. Rien d'anormal. Il ne fit pas plus attention que ça jusqu'à ce qu'ils croisent le chemin du marcheur et qu'il le reconnu. « Hé Chef. » Réflexe. Il avait rien contre ce mec là. Le saluer, ça ne lui faisait pas de mal. De base, il n'était que Chef remplaçant, Kim n'était pas mort, mais ça Oz s'en foutait. Pour le moment, c'était ce blond aux commandes donc il était le Chef. On avait pas le temps d'attendre les malades. Il s'arrêta quelques pas plus tard pour jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Il disait ça à propos de Kim, mais il se demandait maintenant lequel avait la plus sale gueule. « Z'avez pas l'air bien. » Réflexe encore. Il n'aimait pas trop se mêler des affaires des autres, mais si jamais Eli disparaissait après ça, ce serait sa faute non ? Oz ne tenait pas trop à être la dernière personne à l'avoir croisé avant qu'il ne se casse la gueule dans une ruelle. C'était fourbe les ruelles. Surtout quand on boitait et qu'on avait la tête de quelqu'un qui s'était pris une maison sur la face.

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Tiens, un vivant… A cette heure ? Enfin heure… si ça se trouve, cela faisait des heures que j’errais sans m’en rendre compte, et les rues étaient désormais animées comme d’habitude. Sauf que non, il n’y avait bien qu’une seule personne qui croisa ma route, et qui me salua. Je redressais d’ailleurs vivement la tête de surprise au salut en question : Chef… L’entendre aussi clairement prononcé était étrange. Pas grisant, loin de là… Juste étrange…
Mais mes réflexions furent coupées presqu’aussi sec lorsque le gars repris la parole, quelques pas derrière moi. C’est à ce moment que ma jambe décida de flancher, comme si elle attendait un constat de mon état comme un signal pour me lâcher. Je trébuchais donc, me rattrapant de justesse avec ma mauvaise main. L’appui brutal contre le mur provoqua un éclaire de douleur qui fusa dans tous mon corps pour disparaitre presqu’aussitôt, l’information coupée net par les petits cachets miracle. Je me redressais alors en soupirant et me tournais lentement vers le gars.

« Ca va ! »

Affirmation beaucoup trop vive pour être vraie… Je voulus détailler mon interlocuteur, mais ma vue toujours floue m’en empêcha, je ne pu donc pas dire si je connaissais ou non le gars à qui je faisais désormais face, toujours à quelques pas de distance.

Comme pour me donner contenance, je repris sur un ton que je voulais assurer. Que je le connaisse ou pas, je me devais de faire bonne figure… et surtout de dévier la conversation, et mes pensées…

« Il est un peu tôt pour traîner dans les rues, non ? »

Les mots ne guérissent pas les cœurs, alors laisse-moi essayer autre chose

oz ∞ eli

Année 41, première saison tempérée (huit jours après la Rébellion) ✻✻✻  Eli se redressa comme un faucon à l'appel et ça fit presque rire Oz. Presque parceque quand même il n'était pas assez salaud pour se foutre de la tête d'un gars mal en point. Qu'est-ce qui lui était arrivé à celui-là d'ailleurs ? Oz n'avait jamais été très attentif aux rumeurs. Il vivait sa vie de son côté alors les commérages dans le clan, il ne les connaissait pas bien. En ce moment, tout ça le rendait pourtant un peu curieux et il aurait bien voulu savoir ce qui l'avait mis dans cet état. Il avait dû se castagner férocement pour arriver à ce résultat. Ce petit détail arracha à Oz un sourire alors qu'il s'imaginait la tronche des mecs en face. Ils devaient être encore moins beaux à voir.

Quelques pas plus loin, Eli se planta. Il évita la chute tout comme Oz évita de l'ouvrir encore. Il avait bien quelques vannes à faire, mais non ça aurait été déplacé. C'était qu'il n'était pas bien sûr que Eli était ouvert à l'humour en ce moment. « Ca va ! » « Si tu l'dis. » Oz était tout sauf convaincu, mais il n'était pas du genre à forcer. Eli voulait faire les fiers qui ne souffrait pas ? C'était son problème. Après tout, Oz, il avait pas signé pour être nounou.

« Il est un peu tôt pour traîner dans les rues, non ? » Oz avait été sur le point de reprendre sa route. Puisqu'on lui parlait, il allait rester encore un petit peu. C'était pas comme s'il avait un autre endroit où se trouver. « J'allais bosser comme d'hab', mais les sentinelles m'ont dit de faire marche arrière. » Oz eut là une illumination. Quel con il était parfois. Inutile de se taper le QG alors qu'il avait le Chef sous la patte. Si lui ne savait pas ce qu'il se tramait sur le territoire, personne ne saurait. « Tu saurais pas me dire pourquoi d'ailleurs ? »

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Le gars me répondit qu’il voulait aller bosser, mais que les Sentinelles l’en avait empêcher. Tiens, c’est vrai que les frontières étaient totalement fermées aujourd’hui… Et j’avais un conseil dans l’après-midi, super…

Je laissais échapper un soupir entre mes dents, mais mon attention fut à nouveau détournée lorsque l’autre Aigle me demanda des informations complémentaires sur la situation. Je ne lui répondis pas tout de suite, réfléchissant à ce que je pouvais dire ou non. Finalement, j’optais pour le strict minimum, même si ça ne lui plairait surement pas.

« On a une affaire à régler avec les autres Chefs. En attendant, tout le monde reste chez soi, question de sécurité. »

Parler de l’événement de la traque aurait été une très mauvaise idée, surtout sans informations supplémentaires. Nous devions d’abord faire le point, d’où le conseil qui m’épuisais déjà…

Appuyant mon dos contre le mur sur lequel je m’étais rattrapé, je repris en détournant la conversation.

« Rappelle moi ta tâche ? »

Et son nom, accessoirement… C’est dans ce genre de situation que les yeux d’Oli me manquaient… ou plutôt que ma vue me manquait, car c’était bien la seule chose que les médicaments n’amélioraient pas…

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oz ∞ eli

Année 41, première saison tempérée (huit jours après la Rébellion) ✻✻✻ Le Chef resta longtemps silencieux. Comme s'il pesait le pour et le contre sans que ça ne tourne très, très vite dans sa tête. Oz patienta là, les sourcils froncés. Il y avait beaucoup de questions dans sa propre tête à cet instant, mais il n'était pas sûr qu'il lui fallait les formuler. Pour le coup, il valait mieux qu'il ferme sa gueule comme il avait dû apprendre à le faire parfois depuis qu'il était ici. Après tout, il avait le top du top de l'Aigle en face de lui - même s'il le trouvait bien déplumé, l'Aigle - et il ne voulait pas qu'on le prive encore un jour de plus de sortie.

« On a une affaire à régler avec les autres Chefs. En attendant, tout le monde reste chez soi, question de sécurité. » Oh, il parlait. Même si ça faisait une belle jambe à Oz. Tout ça, c'était des mots enrobant rien du tout. A ses yeux, Oz aurait été parfaitement en sécurité par lui-même à l'extérieur. Même plus parce qu'il n'aurait alors pas été mêlé à toutes les conneries du clan. Être tout seul, ça avait des avantages parce qu'on pouvait devenir une cible facile, mais au moins on avait pas assumer les actes des autres. C'était pour ça qu'il aimait bien le groupe de Tyler où c'était souvent chacun pour sa pomme avec un fond d'entraide pour éviter de se faire crever par les premiers péquenots qui passaient. « Mouais. » Il voyait pas trop ce qu'il pouvait dire d'autre. Les ordres étaient les ordres. Il n'allait pas non plus presser Eli de questions sous peine de se faire éjecter à grand coup de menace de Chef tout-puissant. Ce que cette situation devenait pénible. Et dire que le soleil était à peine là.

« Rappelle moi ta tâche ? » Peut-être qu'il y avait là un coup à jouer. Le filou en Oz envisageait déjà la possibilité d'avoir une autorisation spéciale pour sortir. Parce que la chasse, c'était sacrément important. Il ne fallait pas que les réserves diminuent trop drastiquement à cause de deux jours de creux. « J'suis chasseur. Le meilleur, si tu veux mon avis. » Frimeur et arrogant, comme toujours, le voilà qui affichait un petit sourire goguenard. il fourra les mains dans ses poches avant de pousser un peu son appât. On savait jamais. « D'ailleurs, tout ça, ça va faire baisser mes stats. Avec cette chaleur, je vais plus rien trouver qui se bouffe dans mes pièges. C'est dommage quand même. De la nourriture si bêtement gâchée. »

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Le gars me répondit qu’il était chasseur, et si je ne le distinguais pas bien je sentais le sourire qu’il affichait fièrement. Il essaya de la jouer fine en abordant le fait que ce serait dommage de gâcher de la bonne nourriture, tout ça parce qu’il ne pouvait pas sortir du territoire. Je posais un regard blasé sur lui, ayant entendu des excuses bien subtiles que ça, même s’il n’avait pas tort dans le fond.

Je prit le temps de me redresser lentement pour lui faire face avant de répondre, avec le plus de sérieux possible.

« Ce n’est pas comme si nous étions actuellement en période de manque, on pourra bien se passer de viande pendant quelques jours. C’est actuellement trop risqué de sortir, un point c’est tout. Autre chose ? »

La situation était tendue, et il était temps que je rentre pour faire le point avec Oli. Je comprenais bien que le chasseur soit frustré par le fait de ne pas pouvoir réaliser sa tâche, pourtant essentielle, mais il ne s’agissait pas ici que de ma propre décision. Temps que les choses ne seraient pas plus claire quand à cette menace fantôme, personne n’était en sécurité…

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Année 41, première saison tempérée (huit jours après la Rébellion) ✻✻✻  Le Chef, il n'avait pas l'air super réceptif. Oz fit un peu la moue, sentant pointer l'échec. Il avait le flair pour comprendre quand une situation ne tournait pas dans son intérêt. C'était un truc de chasseur. Il pouvait sentir le vent tourner. Il abandonna donc ses espoirs et attendit juste, les mains dans les poches et les yeux sur la silhouette mouvante de Jax. Le chien continuait ses petits tours, aucun soucis. Il n'aurait pas lui galoper après.

« Ce n’est pas comme si nous étions actuellement en période de manque, on pourra bien se passer de viande pendant quelques jours. C’est actuellement trop risqué de sortir, un point c’est tout. Autre chose ? » Quand Eli parla, Oz centra ses yeux sur lui par réflexe. Ouais, il s'en doutait. Il se faisait bien expédier aussi. Oz roula grossièrement des yeux. Il n'était vraiment pas satisfait. A ses yeux, c'était juste du gaspillage et plus de boulot pour lui ensuite. Il n'aimait pas non plus cette façon de tourner autour du pot. Pourquoi Eli n'était-il pas capable de lui offrir une explication décente ? Il aurait même pu inventer un truc, ça aurait été plus crédible. En plus, on avait jamais assez viande. Faire des stocks quand on le pouvait, c'était l'une des astuces de la survie. Mais bon, on allait pas demander à un pauvre clampin comme Oz son avis. Les Chefs savaient mieux que tout le monde, c'était comme ça. Même si ce n'était pas toujours vrai. Pas souvent. Jamais, si on voulait vraiment son avis, en fait.

« Mouais. » Il passa les doigts sur ses lèvres sèches avant de finalement siffler. Il était temps de rentrer, donc Jax devait ramener ses fesses ici. Le chien arriva sans trop se faire prier - merci pour la réputation de son maître - et Oz reprit à l'attention de Eli. « Bon ben... Bonne journée, Chef. » Il avait pas l'air de vouloir taper la discussion et ça Oz le comprenait bien. Après un haussement des épaules, il reprit ainsi son chemin. Au moins, plus besoin de passer au quartier général maintenant.

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Le gars n’insista pas. Il rappela son chien, que je n’avais pas remarqué, et me souhaita une bonne journée. A cet instant, je ne sais pas pourquoi, mais je sentis le besoin de m’excuser, comme si cette situation était de ma faute. Les émotions qui jouent au yo-yo, encore un effet indésirable de ces foutus médocs dont je ne pouvais déjà plus me passer…

Alors que le chasseur s’éloignait, je l’interpelais une dernière fois.

« Pour ce que ça change, cette affaire me fait autant chier que toi, mais je ne suis pas le seul à prendre les décisions dans cette histoire. On doit tous serrer les dents, les informations suivront quand nous en sauront plus nous-mêmes… »

Soudain épuisé, ma jambe me lançant, je m’appuyais de nouveau sur le mur sans lâcher le gars du regard, les yeux plissés pour essayer de mieux voir. J’allais ramer pour rentrer…