See the demon in his eyes
Scénario 3 - Jour 1 (début d'après-midi)

Le soleil avait atteint son zénith et la chaleur avait encore grimpée de plusieurs degrés depuis la fin de matinée pourtant déjà chaude. L'air sec et vicié par l'odeur des cadavres pourrissant était difficilement respirable. Une partie des corps avait été évacués, mais le QG n'avait pas encore été complètement débarrassé et la fragrance si particulière des morts ne semblait pas vouloir disparaître. Aujourd'hui encore, le vent manquait particulièrement. Après des heures de durs labeurs, les travailleurs faisaient un break et profitaient de l'ombre des toiles tendues pour partager un repas frugal composé de pain et de quelques rations d'eau.

Ce fut au beau milieu de cette pause tranquille que Abel passa la porte du quartier général, immédiatement hué par les personnes les plus proches. Il avait les mains liées dans le dos et marchait, la tête basse et la mine détruite, escorté par deux Membres. Noâ sortit à leur suite et désigna les deux poteaux plantés non loin du bâtiment. Parfaitement au courant de leurs missions, les Jaguars lui attachèrent les poignets à l'aide de deux sangles et les tirèrent jusqu'à ce qu'il se retrouve debout, les bras tendus, sans pouvoir adopter une autre position. En plein soleil, il transpirait abondamment et affichait une allure bien piètre. S'il avait un jour eu une quelconque superbe, il l'avait définitivement perdue. Une fois qu'ils furent sûrs qu'il était solidement attaché, les Membres se placèrent de part et d'autres des poteaux en arborant un visage neutre. Noâ alla alors prendre place au milieu de la place de façon à avoir un maximum de gens en visuel et réclama le silence. Il y eut encore quelques cris à l'encontre du brun, mais le calme revient peu à peu. Il fallait croire que la curiosité prenait le dessus sur le reste.

- Pour ceux qui ont la chance de ne pas le connaitre, je vais faire les présentations. Voici Abel, la sale petite fouine qui se dit être le chef de la rébellion. Si je ne suis pas certaine qu'il ait eu assez de cervelle pour monter cette opération, il est indéniablement lié à l'attaque et se trouve être le plus coupable des rebelles. Il est responsable de la mort de nos compagnons et sera mis à mort ce soir. En attendant...

Elle esquissa un léger sourire avant de se tourner pour désigner le traître d'un signe de la main.

- Il est tout à vous. J'ai pensé qu'il méritait d'apaiser un peu votre souffrance face à la perte de vos proches. Vous êtes libres de faire de lui ce que vous souhaitez à une condition : ne le tuez pas. Je sais bien que cela risque d'être difficile, mais il serait dommage de lui offrir trop vite la paix. Declan et Wesley seront chargés de le surveiller - ou plutôt de vous surveiller -, je vous demanderais donc de respecter leur autorité.

Declan et Wesley étaient deux Membres en dernière année aux physiques plutôt impressionnants. De vraies armoires à glace qui seraient toutes indiquées pour arrêter une personne perdant le contrôle face au rebelle. Pour appuyer ses dires, ils croisèrent les bras sur leurs poitrines massives en jouant les intimidateurs. Elle savait que cela ne leur plaisait pas de devoir éviter la mort de ce type, mais elle s'était faite particulièrement convaincante. Si Abel mourrait avant l'heure, ils passeraient un sale quart d'heure en compensation.

Andrew insistait pour la énième fois. Asha, mange ton pain, répétait-il dans une litanie qui irritait de plus en plus. Mais la jeune femme s'entêtait à ne boire que de l'eau. Elle trouvait parfois - souvent, ces derniers temps - que la bienveillance de son ami était étouffante. Il n'y avait aucune raison derrière son refus de s'alimenter. Du moins à s'alimenter sur le moment. Elle n'avait pas faim, tout simplement. Son appétit n'avait jamais été vorace, elle se suffisait de peu. Pourtant Andrew était persuadé qu'il s'agissait d'un contrecoup de l'attaque, un traumatisme du à la rébellion. De fait, il ne cessait de tenir des discours visant à la rassurer. Des exhortations qu'elle avait cessées d'écouter après la cinquième fois. Elle se contentait de boire en silence, profitant de l'ombre qu'offraient les toiles tendues qui les surplombaient.

Elle avait tendance à s'ennuyer un peu trop vite depuis cette fameuse nuit. Elle soupirait constamment. Tout paraissait fade comparé à l'agitation de l'attaque. Un retour au calme qu'elle avait bien du mal à encaisser. Par miracle, des huées tonnèrent dans l'espace. La jeune femme sortit de sa torpeur, se relevant d'un bond afin de se rapprocher de la scène. Il s'agissait d'Abel, l'un des cerveaux de la rébellion, l'homme qui avait osé se prendre pour le chef au sein du QG. Instinctivement, Asha sentit qu'elle allait s'amuser, elle ramassa avec hâte ses deux sabres avant de s'approcher encore plus des poteaux auxquels le traître était solidement attaché. Bouillante d'impatience, l'adolescente écouta les instructions de Noâ et si elle se retenait de sourire ouvertement, ce n'était qu'en mémoire de son mentor qui allait louper ce moment. Elle devait donc lui faire honneur. Décidée, elle marcha droit vers Abel aussitôt la prise de parole de sa chef finie. Un air préoccupé étirait ses traits.

Comment peut-on lui faire une chose pareille ? Il faisait partie des As des jaguars, c'est une honte, commença-t-elle avant de se tourner vers la silhouette distordue de l'ancien membre.  Tiens, bois un peu. Tu dois en avoir besoin, continua-t-elle feignant d'ouvrir sa gourde et de la lui porter aux lèvres...avant de se raviser et de s'offrir une belle rasade du liquide transparent. Désolée, je n'ai pas pu m'en empêcher, pouffa-t-elle avant de venir lui murmurer au creux de l'oreille.  Tu as le bonjour de Zayne, termina-t-elle en lui tapotant durement la joue, finissant par lui lacérer la peau du bout des ongles.

Elle s'éloigna alors, toute guillerette, attrapant un débris qui traînait à terre, elle le balança avec force vers le corps pendu du renégat, l'observant s'écraser douloureusement sur son torse.

Je me demande par quoi je vais commencer, lança-t-elle à voix haute visant toujours sa victime. T'as une préférence la loque humaine ?

Après la corvée de ce matin, malgré tout nécessaire, Dryss s'était retiré dans ses quartiers afin de se changer et de se reposer. Il aurait besoin d'énergie pour la suite de la journée. Noâ avait sans doute prévu de continuer les travaux afin de déblayer le QG qui était toujours en piteux état. Dryss et Zeke avaient fait un bon travail et avaient dégagé plusieurs dizaines de corps à eux seuls, mais cette tâche était loin d'être finie. Il restait plein de corps sans vie aux abords et à l'intérieur même du bâtiment central... L'ancien espérait juste qu'il ne serait plus assigné à cette tâche lourde physiquement et surtout psychologiquement. Dans sa chambre, il avait passé plusieurs minutes à se récurer le corps entier. Il avait frotté ses bras presque jusqu'au sang et pourtant il avait toujours l'impression de porter sur lui cette odeur de mort et de culpabilité.

Après s'être changé, l'ancien était descendu pour manger quelque chose avec les membres. Il avait discuté avec l'un et l'autre des événements de cette nuit. Il s'était même laissé tenter par une cigarette que l'un de ses compagnons avait trouvé au marché noir. Dryss avait pour habitude de fumer chez les Dragons mais n'avait plus touché au tabac depuis des années. Peut-être que sans cette nuit, il n'aurait pas repris. Peut-être. Mais il s'était dit qu'il avait bien besoin de ça pour décompresser. Il avait tâté le papier-feuille et profité du son si particulier qu'il produisait et avait senti l'odeur brune du tabac. Dès la première bouffée l'espion avait senti la toux le secouer mais apprécia bien vite l'effet relaxant de la cigarette. Il resta là, à fumer tout en discutant et en oublia presque que l'après-midi serait certainement aussi rude que cette matinée.

Lorsque soudain, il entendit des clameurs s'élever non loin du QG. Le Dragon se retourna et vit une foule se masser à la suite de Noâ qui enchaîna un corps à un piquet. Il crut que c'était un mort, car le prisonnier se laissait presque traîner et ne regardait même pas ce qu'il se passait. C'est alors que l'ancien comprit. Il se figea. Les membres s'approchèrent d'Abel comme des chiens affamés, prêts à bondir. Le spectacle qui s'offrait à lui ne pouvait que lui rappeler l'horreur de cette nuit, mais aussi ce qu'il avait vécu chez les Dragons. Avec horreur, il se demanda si ce sort lui serait réservé plus tard, une fois son secret découvert. Un frisson le parcourut. Il ne s'agissait pas de lui pour l'instant et il devait savoir ce que Noâ comptait faire exactement.

Il pressa le pas jusqu'au QG et fit à peine attention à Asha qui s'acharnait déjà sur Abel. Cette réaction de la jeune fille ne l'étonnait pas, mais le décevait tout de même. Il ne savait pas Asha si hargneuse et suiveuse. Elle commençait peut-être à ressembler à Zayne, ce qui était assez malheureux...

Dryss s'approcha de Noâ avec précipitation et se planta devant elle. Il voulait au moins qu'elle sache ce qu'il pensait de tout ça, même s'il se doutait que ses paroles n'auraient sans doute aucun effet sur ses décisions.

Noâ. Je ne comprends pas ce que tu fais là... Il désigna le piquet ainsi que la foule massée autour du condamné. Qu'est-ce que c'est que CA? Tu penses que donner Abel en pâture aux Jaguars réparera le mal qu'ils ont subi cette nuit? Il secoua la tête. Non, tu ne fais qu'attiser leur haine en faisant ça et tu le sais très bien. Rien ne sert de verser du sang sur du sang. Le clan a besoin de se redresser et non de sombrer dans la violence. Il se tourna ensuite vers l'intérieur du QG encore jonché de corps. Et je pense qu'il y a d'autres priorités pour l'instant, tu ne crois pas?

Passer la matinée à aider Charly avec les blessés avait été éprouvant tant mentalement que physiquement. Autant que le combat de la veille. J'avais l'habitude d'aider Charly, mais c'était en général dans une moindre mesure. Il y avait moins de monde et les blessures étaient moins graves, d'habitude. Mais aujourd'hui, c'était différent. Il y avait des morts partout, le clan était blessé profondément, chacun l'était. Il y avait les blessures physiques que nous tentions de soigner du mieux que nous pouvions, mais il y avait aussi les blessures psychologiques, qui ne s'apaiseraient pas si facilement, ni si rapidement. Je faisais de mon mieux pour rester forte et afficher un sourire serein à celui qui en avait besoin, mais j'en aurais bien eu besoin moi aussi.

Lorsqu'il fut l'heure de dîner, je vérifiai que tout était en ordre et j'allai me laver les mains pour en faire partir tout le sang qui s'y était agglutiné avec le dernier patient. Il était à présent hors de danger, mais nous avions eu peur pour sa vie. Charly avait fait de son mieux mais au milieu de l'opération, le Jaguar avait eu une hémorragie. J'avais tenu la compresse et sa main, lui assurant que tout irait bien. Et ça s'était bien terminé, je n'aurais pas supporté de lui mentir en ce jour si sombre.

Alors que je m'essuyais les mains, j'entendis une clameur venant de l'extérieur. Intriguée, je sortis du dispensaire et observai la foule. Abel venait d'être attaché aux deux poteaux et Noâ donnait la permission aux Membres de se venger. Sans le tuer, précisa-t-elle. Surprise et dégoûtée par cette idée, j'entrepris de traverser la foule pour la rejoindre et lui demander d'arrêter cela. On me laissa passer mais beaucoup se précipitaient déjà vers le rebelle. Lorsque je rejoignis enfin ma sœur, j'entendis les paroles de Dryss. Il y avait au moins une personne qui pensait la même chose que moi. Je posai ma main sur le bras de mon ami mais je ne souris pas. Je m'adressai directement à ma petite sœur pour appuyer l'ancien.

« Noâ, Dryss a raison. Ce n'est pas une bonne idée. Ça ne sert à rien de leur donner Abel, ça ne fera que les rendre hystériques et vengeurs. Et ça ne nous rendra pas justice pour ce qu'ils ont fait... Nous avons déjà versé assez de sang sur le territoire. Ce qu'il nous faut à présent, c'est panser nos blessures et recouvrer notre calme. Et ce n'est pas en les excitant de cette manière que nous y parviendrons... »

J'avais parlé assez bas pour n'être entendue que de Dryss et de Noâ car j'avais pour habitude de lui faire part de mes remarques en privé afin de ne pas la décrédibiliser devant ses Membres. Mais là, il fallait que je parle. Nous avions tous souffert et cette mise en scène nous ferait encore plus souffrir, j'en étais certaine. Beaucoup seraient frustrés de ne pas pouvoir faire plus, de ne pas pouvoir l'achever. Et certains pourraient se retourner contre Noâ... C'était une possibilité. Et c'était dangereux, surtout pour l'instant. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je me serais interposée pour protéger Abel, bien que je n'approuvais absolument pas ses actes. Mais je ne pouvais pas faire ça au risque de renforcer l'anarchie qui régnait sur cette place.

L'heure de la pause est bienvenue. Après des heures à travailler sous le soleil pour déblayer les ruines, ton corps te semble ruisseler de transpiration. Tu es habitué à la chaleur mais les conditions de travail sont aujourd'hui plus difficiles. En plus, tu es fatigué par la nuit et parfois ta bosse à la tête lance un peu. A l'ombre d'une toile, tu es donc plutôt discret. Tu es appuyé à une façade et tu manges sans réel appétit en attendant de récupérer. D'ici peu de temps, tu seras de nouveau d'attaque mais pour le moment tu as encore besoin de récupérer.

Lorsque la foule autour de toi se met à huer quelqu'un, tu n'y prêtes pas grande attention. Depuis l'endroit où tu es, tu ne distingues pas grand chose car des gens se sont mis debout et te bloque la vue. Tu entends pourtant quelqu'un prononcer le nom d'Abel, ça t'aide à comprendre. En poussant un soupir, tu te lèves et tu détailles ce qu'il se passe. Le traître a été attaché sur la place.

NOÂ – Pour ceux qui ont la chance de ne pas le connaitre, je vais faire les présentations. Voici Abel, la sale petite fouine qui se dit être le chef de la rébellion. Si je ne suis pas certaine qu'il ait eu assez de cervelle pour monter cette opération, il est indéniablement lié à l'attaque et se trouve être le plus coupable des rebelles. Il est responsable de la mort de nos compagnons et sera mis à mort ce soir. En attendant, il est tout à vous. J'ai pensé qu'il méritait d'apaiser un peu votre souffrance face à la perte de vos proches. Vous êtes libres de faire de lui ce que vous souhaitez à une condition : ne le tuez pas. Je sais bien que cela risque d'être difficile, mais il serait dommage de lui offrir trop vite la paix. Declan et Wesley seront chargés de le surveiller - ou plutôt de vous surveiller -, je vous demanderais donc de respecter leur autorité.

Noâ offre sur un plateau le leader de la rébellion à ses Jaguars à condition qu'ils ne le tuent pas. L'idée te paraît irréalisable, il y en aura sûrement un qui ira trop loin et qui mettra fin à ses jours par accident. Ce serait dommage. Du coin de l’œil, tu avises Asha qui se déplace déjà vers Abel. Elle ne perd pas de temps. Les groupes se forment peu à peu. Il y a ceux qui sont contre, ceux qui ne savent pas quoi faire et ceux qui comptent en profiter. Toi tu évites de choisir un côté. Tu restes dans ton coin pour l'heure. Des yeux, tu cherches Alessandra en te demandant quelle attitude elle adoptera mais tu ne la vois pas. C'est à croire qu'elle n'est pas là. Vu son humeur, elle rate pourtant une belle occasion de se défouler. De ton côté tu ne sais pas encore ce que tu vas faire. Les possibilités sont nombreuses.

Après avoir dormi un peu, j’avais passé la matinée avec Noâ et Nuka à distribuer de l’eau et des vivres sur tous le territoire. Le garçon avait été tout aussi silencieux que moi, ce qui m’en disait long sur ce qu’il avait dû vivre lui aussi. Je lui aurais bien posé la question, mais n’ayant moi-même pas envie de parler de cette nuit, j’avais décidé de garder mes questions pour moi.

Alors que le soleil était au plus haut et que la chaleur devenait étouffante, du moins pour moi, nous étions retournés au QG pour partager un repas. Je m’étais alors prostrée dans un coin après avoir attrapé un morceau de pain que je grignotais miette par miette. Je n’avais pas faim, et je voulais juste qu’on me laisse tranquille.

Lorsqu’une huée envahit la foule, je me redressais légèrement sans pour autant chercher à en voir plus sur la raison de cette agitation soudaine. Noâ parlait, mais je n’arrivais pas à tout saisir d’où j’étais. Finalement, la curiosité l’emporta et je m’avançais vers le centre d’un attroupement au milieu de la place. Ce que j’y découvris me figea, et mon cœur accéléra. Je ne connaissais pas cet homme pitoyablement attaché à deux poteaux, mais cette image raviva des souvenirs beaucoup trop récents qui me donnèrent la nausée. Je me détournais aussitôt et me dégageais du groupe. J’avais besoin d’air, et ce ne serait pas ici que j’en trouverais… Je pris donc la direction des frontières, espérant croiser autre chose des visages défaits et du sang…

La matinée avait été éreintante. Travailler avec une furie telle que Johanne n’avait pas été de tout repos, et dire que notre duo avait été explosif était un euphémisme. Résultat, à la pause, je n’aspirais qu’à une chose : m’isoler pour avoir la paix. Et puis avec ce soleil de plomb, un peu d’ombre et d’eau n’était pas du luxe, même si nous y avions déjà eu droit durant le travail.

J’étais donc installé dans un coin, près de Kahlan, un Membre que je connaissais surtout de vue. Assis sur une pierre, je faisais rouler mon skate du bout du pied d’avant en arrière, mâchouillant machinalement un bout de pain.
Soudain, des cris commencèrent à se faire entendre, et les gens se ressemblèrent autour d’un même point, me cachant ainsi la vue sur l’objet de cette agitation. De toute façon, je ne cherchais pas vraiment à savoir ce qu’il se passait non plus. Mais lorsque Noâ prit la parole, je tendis tout de même l’oreille afin de saisir tous ses dires. Apparemment, l’un des principaux rebelle était offert sur un plateau d’argent aux Membres qui souhaitaient se défouler. Je me redresse légèrement et tante d’en voir un peu plus. Kahlan, lui, n’a pas bougé de sa place non plus. Me levant à mon tour, je prends la parole en grimaçant.

Cette histoire va mal tourner…

Je n'aimais pas travailler. Faire des efforts à l'entraînement était une chose, mais je trouvais ce que je faisais aujourd'hui contre-productif. En plus, j'avais dû me coltiner un imbécile de Soumis qui s'était avéré être en plus particulièrement désagréable. Un certain Kira ou un nom du genre. Nous nous étions séparés sans un mot à la fin de notre tâche et je le voyais maintenant manger non loin. De mon côté, j'avais choisi de m'installer au côté de Reed, peu encline à traîner avec les jeunes de mon âge. De toute façon, les trois quart des Membres et Soumis se contentaient de se nourrir, l’œil hagard, dans le silence. Ils n'étaient pas beaucoup à pouvoir se targuer de rester de bonne humeur après tout ce qu'il s'était produit. De mon côté, je n'étais pas particulièrement affectée. Oui, il y avait eu des morts, mais cela avait éliminé un bon paquet de faibles ce qui n'était pas une mauvaise chose. J'aurais probablement affiché un sourire s'il n'y avait pas eu le problème de mes oreilles. J'entendais toujours un peu mal. Les sons étaient étouffés et parfois il y avait ce sifflement qui me donnait mal à la tête. Charly m'avait brièvement examiné et il pensait que cela passerait vite. Par après, il avait un peu parlé seul avec Reed alors je craignais que ce ne soit pas tout à fait vrai. J'étais un peu inquiète, je devais bien l'avouer, mais je n'avais pas pu me résoudre à confronter ma mère. Il était encore trop tôt pour cela.

Je mangeais donc aussi silencieusement que les autres en essayant d'identifier tous les sons que je percevais. Lorsque les hurlements de la foule commencèrent à émaner des groupes autour de moi, je sursautais légèrement. Cela n'échappa pas à Reed qui me lança un regard surpris avant de se lever pour voir ce qu'il était en train de se passer.

- C'est Abel.

Le nom de l'homme m'arracha un long frisson et je me redressais d'un bond en tentant de voir par-dessus les têtes des autres. Seulement, des géants avaient eu la bonne idée de prendre place devant moi et je dû me dénicher un bout de muret pour prendre de la hauteur et ainsi pouvoir observer ce qu'il se passait. Noâ était en train de faire une annonce devant Abel qui avait été attaché. Je ne perçus pas chacune de ses paroles, mais je compris au moins une chose : nous avions le droit de lui en faire baver. Cette idée me fit monter un sourire. Abel ne m'avait jamais touchée, mais il avait été complice. C'était le principal suiveur de Joshua, il méritait donc que je m'occupe un peu de son cas avant qu'il ne meurt. Je descendis du petit mur et retournais près de Reed qui s'était rassise. Les actions de Noâ ne semblaient pas lui plaire, mais comme toujours elle s'efforçait de ne pas se mêler des décisions de sa successeur. Lorsque j'attrapais mon arc, elle se saisit durement de mon poignet.

- Il est hors de question que tu ailles te donner en spectacle de la sorte. Assieds-toi !

C'était un ordre, mais je l'ignorais. Je n'étais plus une gamine, je pouvais prendre mes décisions toute seule. Je lui retournais un regard dédaigneux et m'arrachais à sa poigne de fer.

- Je fais ce que je veux ! En plus, c'est l'occasion rêvée pour leur prouver de quoi je suis capable. Je suis prête depuis longtemps à devenir Membre, il est temps que les autres le sachent aussi et qu'ils me remarquent. Je dois briller dès ma première année si je veux devenir Chef plus tard.

Ma répartie laissa Reed silencieuse. Satisfaite de lui avoir damer le pion, j'en profitais pour filer. Elle ne resterait certainement pas inactive très longtemps. Je jouais des coudes pour me frayer un passage entre les Jaguars et me retrouvais sur la petite place, non loin d'un trio bien connu. Je ne percevais pas leurs paroles, mais il n'était pas difficile de deviner à leurs têtes qu'il y avait un soucis. Jude et Dryss ne devaient pas être très favorables à cette histoire, ce n'était même pas étonnant. Je ne pu m'empêcher de laisser échapper un ricanement. Ces pacifistes étaient d'un chiant lorsqu'ils s'y mettaient.

- On est des fauves et notre monde n'est pas doux, il serait peut-être temps de le comprendre.

Sur ces mots, j'encochais une flèche et me tournais pour viser la cible vivante qui tenait à peine sur ses pieds plusieurs mètres plus loin. Je pris quelques secondes pour viser avant de tirer. Le projectile alla se planter à hauteur de la cheville du traitre dont je perçus à peine les gémissements. Ce problème d'audition commençait sérieusement à me taper sur le système.

See the demon in his eyes Ψ

La matinée avait été particulièrement difficile. Même s'il travaillait au côté d'un ami, Ezekiel avait eu du mal à se remettre de la tâche qu'il avait du effectuer. Devoir discerner dans les corps morts les bons grains de l'ivraie était cruel et sous la lumière du soleil, le massacre paraissait plus meurtrier encore. Il y avait eu tellement de jeunes sacrifiés pour un combat qui n'était pas le leur. Des gens étaient morts pour un affrontement qui n'avait pas de sens. Certains avaient été manipulés, d'autres avaient subits, mais Zeke ne pouvait s'empêcher de voir beaucoup d'innocents même du côté de la rébellion. Ils avaient tous été des victimes d'Abel et des résidus du règne de terreur de Joshua. Depuis sept longues années, le clan vivait sans lui, mais son ombre n'avait jamais réellement quittée le territoire. Les monstres avaient cette force. Il restait présent dans les mémoires bien plus longtemps que les héros.

Adossé à une façade, l'Ancien observait d'un regard absent ce peuple auquel il appartenait. Les visages étaient sales et fatigués, parfois blessés comme le sien, mais l'étincelle était toujours là. Les Jaguars avaient survécus à cette nuit infernale et il lutterait encore et encore jusqu'à faire disparaître toutes traces du massacre. Zeke se sentit fier d'appartenir à ce clan. Il avait toujours été fier d'être un Jaguar, mais la sensation qu'il éprouvait aujourd'hui était encore différente. La huée soudaine qui monta dans la foule le sortit pourtant de ses pensées. Autour de lui, les gens se levaient pour observer un spectacle qui lui échappait. Il en fit rapidement de même et s'approcha de la rangée de corps qui se massaient pour voir ce qu'il se produisait. Il vit Noâ au milieu de la place et l'entendit prendre la parole. Médusé, il l'écouta dicter ses instructions et en suivant son geste, il découvrit Abel. Il avait été sanglé à deux poteaux et semblait peiner à rester debout. Malgré la distance, Zeke pouvait voir qu'il avait déjà été torturé. Durant l'espace d'une seconde, il fut satisfait du sort qu'avait reçu cette ordure, mais la culpabilité le rattrapa bien vite. Aucun homme ne méritait un tel sort. Même pas Joshua en son temps.

Avant que Zeke ne se rende compte de ce qu'il était en train de faire, il avait déjà fendu la foule et marchait à toute hâte vers Noâ. Elle avait été apostrophée par Dryss qui fut juste après rejoint par Jude. Ils semblaient tous deux du même avis que lui ce qui ne l'étonna guère. Avant qu'il ne puisse se placer à leur côté, il fut pourtant arrêté par une voix féminine et assez jeune qui s'était permise de s’immiscer dans leur discussion. Ses yeux se posèrent longuement sur l'adolescente qu'il reconnu sans mal même s'il ne l'avait plus vue depuis des années. Johanne. Son attitude à l'égard d'Abel ne l'étonnait même pas. Avant qu'elle ne puisse tirer une nouvelle flèche, Zeke combla la distance entre eux et lui arracha son arc d'un geste impérieux.

« - Ça suffit ! Il avait haussé la voix pour forcer la jeune blonde à l'écouter. Je crois que c'est toi qui n'a rien compris. »

Du regard, il la défia de tenter de reprendre son arme, puis pivota vers le trio.

« - Cette mascarade doit cesser. Il ne faut pas envoyer de mauvais signaux à ces jeunes ou tout ce qu'ils comprendront est que le sang doit appeler le sang. »

Habituellement, Zeke ne se dressait pas de la sorte devant sa Chef, mais il la savait aujourd'hui dans l'erreur. Il ne pouvait admettre qu'elle ait une bonne raison pour agir comme elle le faisait. C'était impossible. Elle ne pouvait être guidée que par la colère.

Noâ s'était doutée que son choix n'attirerait pas la sympathie de tout le monde. Les Jaguars n'étaient pas connus pour leurs punitions, mais plutôt pour leur laxisme. Et ce laxisme existait bien jusqu'à un certain point. Abel avait très largement dépassé les bornes et il en payait les conséquences. La punition était donc intraitable, cruelle, mais limitée. Ce soir, il serait mort. Elle aurait pu le garder en vie pendant des années et le faire torturer quotidiennement, mais elle lui offrirait pourtant la mort dès la tombée de la nuit. Elle le laisserait même choisir le moment où il succomberait. Elle ne se glorifiait pas et savait pertinemment qu'elle n'était pas gentille. Elle admettait même qu'elle posait ici un acte typiquement dragon. Mais elle n'en avait pas honte. Et elle ne comptait pas revenir sur sa décision. Aussi, en voyant Dryss venir vers elle, elle s'arrêta et se campa sur ses jambes en attendant la déferlante. Elle l'écouta avec patience, sans chercher un seul instant à le couper pour imposer son point de vue. Elle admettait celui de son ami et elle préférait qu'il lui fasse face de la sorte plutôt que de ronger son frein au milieu de la foule, mais cela s'arrêtait là. Jude se présenta à son tour, prenant naturellement position au côté de Dryss. Sa répartie n'avait rien d'étonnante, la Chef connaissait suffisamment sa sœur pour savoir qu'elle ne la suivrait jamais dans une telle direction. Noâ ne lui avait d'ailleurs jamais demandé de le faire. Elles avaient toujours eu des points de vue assez divergents sur certains points et la violence en était un. Elle n'avait pas non plus la capacité à pardonner de Jude. Elle le pouvait bien sûr, mais il y avait certaines choses qu'elle peinait à accepter. Une attaque directe contre son clan, sa famille, en faisait naturellement partie.

Avant même qu'elle ne puisse prendre la parole, la Chef sentit une présence discrète s'imposer dans son dos. Elle jeta un regard par-dessus son épaule et constata la proximité de Roxanne. Cette dernière était silencieuse et gardait le visage fermé, attendant sûrement les ordres pour s'animer. Si elle était venue, c'était qu'elle avait senti une menace ou une réaction inappropriée et qu'elle s'attendait à devoir agir. Noâ secoua brièvement la tête, autant pour lui indiquer qu'il était inutile d'intervenir que pour chasser les arguments de ses proches. Comme si la tension n'était pas déjà assez conséquente, Johanne se mêla de l'affaire en lâchant une remarque qui arracha à la blonde un regard agacé en direction du ciel. Elle avait toujours le mot qu'il fallait, il n'y avait pas à dire. Elle allait lui dire d'aller voir ailleurs en la remettant à sa place, mais Ezekiel cru bon de le faire d'une façon plutôt brutale. Ce comportement l'étonna, mais elle n'en montra rien. Elle commençait à en avoir marre d'être interrompue à chaque fois qu'elle tentait de prendre la parole. Un brin énervée, elle pinça sa lèvre inférieure de ses canines, mais Zeke ne sembla pas voir l'avertissement tacite. Bien au contraire, il en remit une couche en s'opposant clairement à elle. Si elle tolérait les interventions plus ou moins discrètes de Dryss et Jude, elle ne pouvait décemment pas laisser passer l'outrage de Zeke. Pas maintenant alors que les cendres de la rébellion étaient encore brûlantes. Alors même s'il était son ami et son ancien Second, elle allait prendre une mesure qui s'imposait. Elle se détourna ostensiblement de lui pour donner son ordre.

- Roxanne, conduit-le en cellule pour affront à l'encontre de son Chef et outrepassement de ses fonctions. Au vu de la situation, il ne devra néanmoins y croupir que jusqu'à la fin de la pause et sera ensuite assigné à une tâche au QG.

La punition n'était pas exemplaire, mais elle en posait au moins une. Les cachots étaient déjà bien garnis et ils avaient besoin de travailleurs, Zeke échappait donc à des conséquences plus graves. Dans le fond, c'était son comportement à lui qui l'affectait le plus. Il s'était élevé contre elle de façon directe alors qu'il savait pertinemment que sa position était instable et qu'elle n'avait pas besoin de ça en plus après les évènements de ces dernières heures. Pendant que Roxanne se déplaçait pour aller le mettre aux arrêts, elle pivota vers Jude et Dryss à qui elle n'avait toujours pas pu répondre. Elle était en colère, mais elle s'efforça de ne pas parler trop fort et de ne pas se montrer agressive avec eux. Elle énonça juste la vérité d'une voix tranchante.

- Vous n'étiez pas là. Vous ne l'avez pas vu parader comme un roi devant la moitié des Membres. Vous n'avez pas vus non plus les attaques vicieuses qu'il a orchestré. S'il ne s'en était pas pris à Nuka, ce fumier serait déjà mort depuis longtemps, mais il a été trop loin.

Elle serra les poings et prit quelques instants pour refouler la rage qui l'habitait. Noâ ne supportait pas d'avoir à revivre les évènements. Ce mec avait voulu s'approprier son territoire, il avait malmené les siens et il aurait fallu qu'elle arrête les Jaguars ?

- Vous ne savez pas comme leurs rugissements étaient coléreux. Certains se calmeront naturellement, mais d'autres auront besoin d'évacuer sur quelqu'un leur volonté de vengeance. En leur servant Abel comme le coupable de tous les crimes qui ont été commis ici, peut-être qu'ils ne se retourneront pas sur les autres clans, voir sur leurs propres frères. Toute cette rage doit être canalisée sur lui et uniquement sur lui. Comme vous pouvez le voir, ils ne sont pas nombreux à aller au contact. Ces jeunes ont vécus sous le règne de Joshua et ils sont suffisamment intelligents pour tirer leurs conclusions eux-mêmes et prendre la décision qui s'impose. Rien ne les force à faire quoi que ce soit. Ils ne sont même pas obligés de regarder.

Elle est va apparaître dans un sujet important.

On l'avait empêché de parler jusqu'ici et maintenant, elle peinait à s'arrêter. Même si le moment n'était pas vraiment idéal, elle continua à vider son sac puisqu'ils y étaient.

- Et même si Johanne n'est qu'une peste, elle n'a pas tort sur tout. La présence des Dragons et des Vipères derrière nos frontières n'est qu'un avant-goût en comparaison des évènements qui nous attendront peut-être dans les prochains jours. Chad a été tué et, demain, les Dragons marcheront peut-être sur nous pour anéantir notre clan. Vous êtes bien placés pour savoir que face à leurs monstres, nous n'avons pas beaucoup de chances. Alors, ceux que vous voyez en train de s'acharner sur Abel seront peut-être notre seule chance de persister. Leur rage et leur volonté de nuire n'a rien à voir avec la rébellion. Ils ont ça en eux. Et je n'hésiterais pas un seul instant à les utiliser pour sauver mon clan en les dirigeant vers la bonne personne.

La conséquence de la rébellion la plus difficile à avaler était sa propre faiblesse. Elle n'avait pas été assez attentive et elle avait laissé les évènements se produire. Elle se sentait aussi coupable que Abel était coupable d'avoir fomenter cette insurrection à son encontre. Si s’auto-flageller avait pu avoir un bon impact sur le clan, elle l'aurait fait, mais c'était inutile. Les Jaguars avaient besoin d'un leader fort pour se remettre. C'était donc ce qu'elle s'appliquerait à devenir pour les protéger.

Dryss ne s'étonna pas de voir Jude le rejoindre. Son amie se dressa à ses côtés face à Noâ, tout en conservant une certain discrétion qui était de circonstance. S'ils se permettaient de contester les ordres de leur chef en privé, afficher cette insubordination au vu et su de tout le monde aurait pu leur coûter cher. Noâ pouvait se montrer partiale et autoriser certains écarts, mais l'Ancien la savait particulièrement à fleur de peau. Il y avait de quoi.

Jude renchérit et demanda à sa soeur d'arrêter ce massacre inutile. Roxane crut alors bon de se poster aux côtés de sa supérieure en signe de soutien. L'espace d'un instant, Dryss craignit que sa chef ne les écarte de force. Mais il constata avec soulagement que Noâ signifia à la gradée qu'une intervention serait inutile. Apparemment, la blonde n'avait pas totalement perdu patience, c'était plutôt bon signe. Soudain, Johanne - que Dryss n'appréciait pas vraiment - fit irruption, lançant une remarque aussi acerbe qu'inutile avant de placer un tir précis dirigé vers le condamné. Dryss afficha un air à la fois dégoûté et excédé. Il espéra que Noâ ne laisserait pas passer cet affront cuisant. Mais Zeke surgit de nulle part et se chargea de remettre l'adolescente à sa place. Bien que satisfait, Dryss s'étonna de voir son ami dans un tel état de nervosité. Zeke semblait particulièrement remonté et fit savoir à Noâ que ce lynchage était une erreur. Mais Noâ ne laissa pas passer cet insubordination flagrante et ordonna à Roxanne de l'enfermer jusqu'à la fin de la pause. Dryss se dit qu'en temps ordinaire, l'intervention de Zeke aurait pu passer, mais la chef ne tolèrerait plus le moindre écart, désormais. Il baissa la tête, conscient qu'il ne pouvait contester cette sanction soudaine et lança un bref regard d'encouragement à son ami. Ce n'était pas une punition déplacée ou atroce, il savait donc que l'ancien finirait par l'accepter.

Enfin, Noâ se tourna vers Dryss et Jude afin de leur répondre au mieux. Elle justifia sa décision en insistant sur le fait que les actes d'Abel étaient particulièrement cruels et impardonnables - le fait qu'il s'en soit pris à Nuka l'avait profondément blessée, et Dryss fut désolé d'apprendre que son fils avait été pris pour cible par l'ancien Jaguar... Elle se tourna ensuite vers les membres massés autours des piquets enchaînant le traître. Selon elle, ils avaient besoin d'extérioriser leur rage et leur frustration sur le principal coupable de ce massacre et précisa qu'elle n'obligeait personne à prendre part au lynchage. Elle conclut en confiant ses inquiétudes quant à d'éventuels assauts des autres clans et affirma que cette rage présente chez les jeunes membres leur serait utile dans un futur affrontement contre les autres factions.

Dryss écouta patiemment les paroles de sa chef et en vint presque à comprendre sa décision. Mais il ne pouvait décemment admettre que l'acte posé par Noâ était la meilleure solution. Il secoua la tête d'un air dur.

Je comprends. Tu as tes raisons. Et d'ailleurs je suis désolé d'apprendre qu'Abel s'en est pris à Nuka. Il respira un bon coup avant de poursuivre : Mais je ne pense pas que lyncher Abel soit bien utile. Je connais ces jeunes et je sais qu'ils sont assez matures en grande majorité pour canaliser leurs émotions sans participer à une séance de torture collective. Si les autres clans devaient attaquer demain, est-ce que tu penses que tout ceci aura vraiment servi à quelque chose, si ce n'est à semer la violence et la zizanie dans le clan? Je ne conteste pas ta décision mais leur donner cet exemple ne rendra pas le clan meilleur et ça ne leur permettra pas d'oublier, bien au contraire. Je pense que ce qui est en train de se passer pourrait encore en traumatiser certains ou leur faire passer un mauvais message. Il se tut quelques instants et ajouta ensuite :Maintenant tu sais ce que je pense de tout ça. Mais la décision finale te revient. Et peu importe sa nature, je m'y rangerai.

Il avait absolument tenu à exprimer ses sentiments à Noâ. Lui donner son avis aurait pu permettre de la raisonner mais l'ancien ne se bernait pas : si les premiers arguments ne passaient pas, il serait inutile d'insister. Il se contenterait alors de rester à l'écart de cette scène qui lui donnait plus envie de vomir qu'autre chose.

Zeke voulut arrêter Noâ, et il le fit de manière bien moins discrète que Dryss et moi. Noâ n'eut d'autre choix que de le mettre aux arrêts pour la durée de la scène. Je jetai un regard compatissant à Zeke mais je ne pouvais rien faire d'autre, même si j'étais d'accord avec lui.

Noâ eut enfin l'occasion de nous répondre. Je l'écoutai attentivement. Je pouvais comprendre son point de vue, bien sûr. Mais il n'était pas le mien. J'avais toujours pris à cœur le pardon, et j'essayais de faire en sorte que ce soit le cas autour de moi. Pourtant, lorsqu'elle parla de Nuka, je fus inquiète. Nuka avait-il été menacé par Abel ? Mon instant de tante avait du mal à l'accepter. Mais je voulais rester sur mes positions, pourtant.

Elle continua en nous décrivant les diverses réactions des Jaguars, qui pourraient, selon elle, être calmées par la torture et l'exécution d'Abel. Pour elle, cela éviterait que les Membres ne se retournent contre les autres clans, voire contre leurs propres frères. Son raisonnement était logique, mais il ne me plaisait pas. Il devait y avoir d'autres moyens de les canaliser. Leur parler, par exemple. Leur expliquer. Ils n'étaient pas des animaux, ils savaient réfléchir. Mais en les poussant à faire de telles choses, qui nous disaient qu'ils ne laisseraient pas leur raison de côté ? Qui nous promettait que l'escalade de violence s'achèverait avec sa vie ? J'avais peur pour la suite.

Les Dragons allaient nous attaquer ? Je devais avouer que sur ce point, je ne pouvais pas opposer un refus catégorique d'y croire. Après ce qu'il s'était passé cette nuit avec Samuel et Chad, je craignais que cela puisse arriver... Quant aux Vipères, cela m'aurait plutôt étonné qu'elles le fassent, Annabella n'étant pas si stupide pour se lancer dans une guérilla si soudaine sans alliés, au risque de se mettre les autres clans à dos en quelques secondes. Non, Samuel me paraissait plus menaçant en cet instant, car je ne l'aurais jamais cru capable de ce qu'il avait fait durant la nuit, et pourtant ce fut le cas.

Alors que je restais silencieuse, Dryss intervint : lui non plus n'était pas d'accord avec sa décision. Il expliqua sa pensée, que je découvris être la mienne. Il n'acceptait pas, moi non plus. Lorsqu'il eut terminé, je repris :

- Noâ, tu ne fais que renforcer leurs envies de vengeance.

Mais il était trop tard, nous ne pouvions plus reculer, hélas.

- Mais ta décision est prise, et tout comme Dryss, je ne m'élèverai pas contre celle-ci. Mais, comme toujours, je suis sincère avec toi et je veux que tu saches que je désapprouve totalement ce qui est en train de se passer. Quel exemple donnes-tu à Nuka ?

S'il avait été mis en danger, menacé par Abel, quelqu'un qui comptait peu à ses yeux et dont il ne cherchait pas l'approbation, l'exemple que lui montrait Noâ, sa propre mère, aurait sans doute plus d'impact qu'elle ne le pensait sur lui.

Abel avait peur. Il était même mort de trouille. Durant cette nuit, il avait blessé d'une façon ou d'une autre un nombre incalculable de personnes et ces personnes pouvaient désormais s'en prendre à lui. Sa seule protection était une mort qui ne devait pas venir immédiatement. C'était bien maigre et d'autant plus inquiétant. L'échec, il ne l'avait jamais vraiment envisagé alors il vivait d'autant plus mal cet instant. Les cris des Jaguars le faisaient frémir et lorsqu'il vit les premiers arriver, il poussa un gémissement rauque. Il était la proie de prédateurs, il en avait la certitude désormais. L'approche d'une brune qu'il ne connaissait que très peu ne lui dit rien qui vaille. Elle feignait de se soucier de lui, mais il voyait clair dans son jeu. Seulement, lorsqu'elle parla de lui donner de l'eau, il ne put s'empêcher d'espérer. Il mourrait de soif et une bonne rasade lui faisait envie. Il en salivait presque. La voir s'offrir ce qu'il attendait le fit d'autant plus rager. Il s'agita un peu, faisant teinter ses chaînes, mais il ne pouvait rien faire. Il ne put rien faire non plus lorsqu'elle lui écorcha sans ménagement la joue de ses ongles en lui passant la bonjour de Zayne. Dans son esprit, la lumière se fit alors. Elle était l'élève de l'Ancien. L'élève de ce traître qui avait abandonné trop vite l'homme qui l'avait découvert et lui avait offert une voie royale dans le clan. Il n'eut néanmoins pas le temps de penser plus longtemps à l'Ancienne Fine Lame car un projectile vient s'écraser brutalement sur son torse. Le coup lui fit expulser tout l'air qu'il avait dans les poumons et il toussa bruyamment en tentant de reprendre son souffle.

- Fais comme tu veux. Je suis sûr qu'il t'a bien dressée...

Il avait craché ces mots à l'encontre d'Asha. La provoquer était stupide, mais ce n'est pas comme s'il avait quoi que ce soit à perdre. Ce soir, il serait mort de toute façon. La flèche qui vient se ficher dans sa jambe lui coupa pourtant le sifflet durant un moment. Les traits crispés, Abel endurait la douleur sans pouvoir formuler le moindre mot.

Tirer sur une cible attachée était moins drôle que ce que j'avais pu faire durant la rébellion, mais j'appréciais néanmoins cette sensation nouvelle. Jusqu'ici, les entraînements consistaient à atteindre des objets, alors passer sur des personnes bien vivantes était intéressant. Cela avait nettement plus de sens. Comme si cela justifiait enfin les heures passées à viser des planches pour améliorer ma précision. J'encochais une nouvelle flèche, réfléchissant à l'endroit que j'allais viser, lorsque quelqu'un s'interposa. Je n'avais pas vraiment vu venir Ezekiel qui m'arracha mon arme en me gratifiant d'un discours creux. J'allais lui hurler dessus pour ce geste, mais la voix froide de ma Chef m'arrêta. Je restais prostrée, tentant de me concentrer de toutes mes forces sur mon audition pour comprendre la totalité de ses paroles, mais la plupart m'échappèrent. Je notais par contre que Zeke s'était mis dans de beaux draps. Particulièrement satisfaite, je récupérais mon arc dans sa main sans douceur et lui adressais une grimace. Ça lui apprendrait à se prendre pour quelqu'un qu'il n'était pas.

La rébellion… C’est ce qui m’avait déchirée et pourtant, aussi paradoxal que ça puisse paraître, c’était le meilleur moyen pour moi de faire preuve de bon sens et de tactique. J’avais prouvé ainsi que je n’étais pas faible. J’étais tout simplement différente. J’étais bien plus meurtrie au fond de moi que ne pouvaient l’imaginer les autres. J’avais bien pris soin de garder ce fardeau pour moi et moi seule. Ce n’était évident ni de trouver les mots qui sonnent justes ni d’avouer quelque chose d’aussi humiliant. En plus, je refusais de le partager pour ne faire souffrir personne d’autre que moi. Ce n’était clairement pas un acte égoïste mais je ne me voyais pas comme quelqu’un d’aussi héroïque que ça. Qu’y a-t-il d’héroïque dans le geste de soumission ? Parce que je m’étais sacrifiée volontairement pour mes amies ? Au fond, qui ne le ferait pas ? Des tas de personnes moins empathiques ? C’était dans ma nature. C’était naturel. Je n’avais rien dû forcer pour ça. Même six ans après la fin de toutes ces horreurs, je ne parvenais pas à m’apprécier, à me vanter d’avoir fait quelque chose d’aussi symbolique et énorme pour des filles qui ont vite oublié cela ou, alors, tout simplement, sont-elles passé à autre chose, elles. Ce qui n’est pas mon cas. C’est certain. Je ne me leurrais pas à ce sujet. J’étais encore trop sensible. Ça m’a même joué des tours lors de la rébellion. Les mots, les paroles et les gestes de Joshua et son petit préféré m’avait littéralement bouffée. « Tu n’es capable de rien sinon de te soumettre comme une petite traînée », tant de haine, tant de condescendance. Il y a encore deux ans, j’avais subi la même chose. Abel ne m’avait jamais aimée. Cela ne l’empêchait pourtant pas de me siffler. Il était écœurant. Il était dégueulasse. Et malgré tout, il se permettait encore de former une rébellion contre le clan qu’il avait détruit depuis sa source avec son cher et tendre Joshua. Il ne valait décidément pas mieux que lui, c’était certain. « Les poupées servent à se défouler et seulement ça. Tu as rapidement compris ton rôle, Alice », il n’était pas mieux… cet ancien Chef. Au moins, je ne pouvais plus ni le voir ni le croiser. « Il aurait fait de toi une reine parmi les souillons. Je suis sûr qu’il t’aurait encore aimé, même si tu as grandi », ces phrases m’avaient littéralement hantée quand j’avais dû faire mes preuves. Néanmoins, j’avais défendu le clan comme n’importe qui d’autre. J’avais été efficace et je pouvais en être fière. Je ne l’étais pas. J’étais encore rongée par tout ça. Quand on a quelque chose dans la peau, il est souvent bien difficile de s’en défaire. Surtout quand ça date de si longtemps. Les bonnes habitudes sont bien plus évidentes à prendre que les mauvaises à perdre. Durant cette courte pause entre la fin de la rébellion et le message de Noâ, encore, j’avais fait cauchemars sur cauchemars. Cette tête, Joshua, me hantait. J’en avais pleuré, crié mais je ne m’étais toujours pas ouverte à qui que ce soit. Ça m’aurait écorché la gorge, je crois bien.

Je pourrais vous expliquer tout ce que j’ai fait pendant la rébellion mais ça ne vous servirait pas à grand-chose. En plus, je ne suis jamais très loquace au sujet de mes prouesses. J’ai toujours été quelqu’un de renfermé. Comme toujours, je m’étais entrainé, à ma manière. Des coups envoyés ci et là. Des dagues envoyées dans des cibles inhumaines, juste ce qu’il faut pour me défouler. Je n’avais pas encore imaginé que j’allais pouvoir le faire sur une cible humaine et immobile, une cible qui méritait tous les châtiments possibles. J’avais croisé Alice dans un état pathétique. Elle souriait mais je voyais clair dans son jeu. Je savais qu’elle n’était ni en forme ni franchement réjouie. Je remarquais à ses cernes qu’elle avait encore passé une nuit infernale. Quelques fois, elle me mentait me disant qu’elle avait tout simplement fait des cauchemars sans importance ou qu’elle avait mal dormi parce qu’elle pensait à ses parents sur le point d’y laisser leurs peaux. Je savais qu’elle s’inquiétait sincèrement pour eux, mais je savais aussi qu’elle avait vécu bien pire. Je le savais de source sûre puisque c’était ce chien galeux du nom d’Abel qui s’en était vanté. Une véritable raclure ce gars. Il me faisait presque penser à celui qui m’avait servi de père. Tu parles d’une comparaison… Après quelques corvées matinales, histoire d’aider au mieux le clan, je m’étais bien évidemment rendu à la convocation de Noâ au sujet des dernières nouvelles après ce qui nous avait tous secoués.
Plus important encore, je m’étais rendu un peu plus tard dans l’après-midi à une nouvelle convocation au quartier général. Là nous attendait un ancien Membre, un renégat tout ce qu’il y a de plus révulsant, attaché tel un morceau de gibier à deux poteaux, les bras bien écartés. Il était aussi pitoyable que son esprit pervers et bas. Il n’était plus rien. Il n’était plus qu’un morceau de viande laissé aux éventuels Jaguars assoiffés de vengeance. Si ce n’était pas très glorieux comme réaction, je comprenais le raisonnement sans aucun problème. Je n’étais pas de ceux qui chipotaient sur ce genre de détails. Et, ça tombait particulièrement à point puisque j’avais besoin de ressortir toute ma haine. Le fait de le voir dans cette position de soumission me fit tiquer. Il s’était moqué d’elle. Il l’avait trainée plus bas que terre. Il avait rigolé de ses années de souffrance et d’agonie. Les rôles étaient désormais inversés. Si j’avais peur qu’Elle ne se défende pas, qu’Elle n’en profite pas, j’étais certain de pouvoir au moins le faire pour Elle. Quelques fois, je me trouvais pathétique, accroché à cette fille si différente, mais je sentais une réelle force en elle. Si je le masquais bien jusque-là, j’avais dans la tête de le faire encore longtemps. De toute façon, avec ce qu’elle avait vécu, jamais elle ne voudrait s’approcher d’une brute comme moi. C’était peut-être mieux ainsi. Je m’étais rapidement approché de ce corps répugnant et puant à des kilomètres à la ronde. Il était faible, épuisé et les comportements de Asha, une jeune Membre, et Johanne n’avait rien arrangé. Je ne souriais pas. Je ne rigolais pas non plus. Je n’étais pas du genre à afficher un sourire carnassier dans ces moments-là mais intérieurement je bouillonnais. J’avais l’instinct d’un chasseur, d’un bagarreur et d’un véritable félin calme en apparence mais aussi féroce que cruel. Je n’en étais pas fière. Je ne valais peut-être pas mieux que Lui, celui qui hante mon esprit, dans le fond. C’était pour ça aussi que je faisais tout pour faire fuir Alice. Ce n’est qu’une fois les tours des deux demoiselles passés que je m’attelais à la tâche que je m’étais donnée ; celle de lui rendre la pareil, au moins un minimum. Mes yeux étaient noirs, remplis de haine et ma fureur pouvait facilement se déceler. Je n’écoutais que partiellement le discours de notre Chef parce que j’étais pris dans le feu de l’action. J’avais mes dagues avec moi, j’en aurais recours si l’effet des autres objets éventuels ne me satisfait pas. Je m’étais approché suffisamment de lui pour le fixer dans le blanc des yeux, le prenant par la gorge que je serrai dans un sang-froid le plus total. Je serrais, je serrais encore et je le regardais de haut. Je pouvais sentir sa peur mais aussi simplement son odeur clairement exagérée par ces chaleurs démentielles. « Qu’est-ce que ça fait d’être le pantin à son tour ? », demandais-je étrangement calme. C’était sans doute ce qui effrayait le plus mes victimes. « Qu’est-ce que ça fait d’être le parfait soumis, de n’être qu’un vulgaire chien, que dis-je, un vulgaire morceau de pâté pour ces Membres assoiffés de sang, mon petit Abel ? », je choisissais avec précision mes mots. Il était question de l’effrayer. « Alice est bien trop stupide pour te frapper, pour te saigner mais crois-moi, je suis bien moins tolérant et il s’avère que j’ai besoin de me défouler, aujourd’hui. », sur ces mots, je décochai un premier coup au niveau de son ventre, puis un autre plus bas encore et finalement un dernier au niveau de son visage. Il sembla saigner, à moins qu’il ne saignât déjà. Je ne faisais évidemment que commencer. Je trouvai un caillou généreusement gros et fendu un peu partout, qui serait donc suffisamment tranchant, que je lançai sur sa pauvre tête. Il ne pouvait pas rester intact après ça. J’étais à peine plus loin que lui, désormais, je lui tournais autour tel un fauve se jouant de sa proie. J’étais fait pour être un Jaguar.

Je n’avais pas dormi de la nuit à cause de la rébellion mais je n’avais pas su dormir après non plus. Dans le feu de l’action, j’avais fait mes preuves. J’avais beau être du genre à faire beaucoup de bruit, je n’avais pas été choisi comme Membre sans raison et j’avais pu le démontrer. Je n’étais peut-être ni le meilleur de ma fournée ni le plus intelligent mais j’étais tout de même suffisamment fort et résistant pour tenir face à des Jaguars qui avaient complètement pété les plombs en se rebellant contre le clan-même. J’avais eu peur mais j’avais tenu le coup. Je suis une bête hargneuse et je suis mesquin, même en combat. J’en étais ressorti à la fois triste, parce que je n’ai jamais été insensible malgré tout ce que l’on peut raconter sur moi, et fier d’avoir prouvé que j’étais l’un des miens. Je n’avais pas imaginé que ce qui suivrait me permettrait encore de faire mes preuves. Noâ nous laissait carrément l’opportunité de nous défouler sur ce déchet qu’était devenu Abel, ancien Grand des Jaguars du temps de Joshua. Je n’avais rien de personnel contre lui mais je n’allais pas cracher sur une telle occasion. Je devais même démontrer, et surtout, à ce cher Kahlan que je n’étais pas qu’un bleu. J’étais bien plus que ça ! C’est donc fièrement, le regardant, lui lançant un message très clair que je m’avançai jusqu’à ce corps en miettes, déjà. Deux autres Membres s’en étaient déjà occupés ainsi que Logan. Je ne pouvais pas le piffer et lui non plus mais à cet instant nos différends étaient clairement insignifiants. Alors, je passai, le regardant rapidement et lui faisant comprendre que j’en avais besoin, moi aussi. « Tu peux partager ou tu veux à tout prix lui faire une tête au carré ? », il devait comprendre entre les lignes. Il devait avoir compris que je voulais, moi aussi, me défouler et me vider un peu la tête. Je n’avais pas entendu un traître mot de ce qu’il avait dit mais j’avais remarqué le regard qu’il avait lancé à Alice, tout comme j’avais entendu vaguement son prénom. Si j’y réfléchis deux secondes, je m’étais déjà replongé dans mon idée principale ; détruire, au moins partiellement, Abel pour gagner encore en estime de la part des autres. Mon attaque, moins personnel, était plus détachée, du coup. J’avais pris soin de prendre un arc pour viser d’un peu plus loin. Je n’avais pas l’intention de déranger plus que ça Logan quand il avait un tel regard. Même moi je ne faisais pas le fier dans ce genre de cas. Surtout quand il parle de cette fille qui me sort par les trous du nez. Je décochai une flèche dans la cuisse gauche du traître. C’était rapide et efficace à en voir sa grimace. J’avais beau me dire qu’on s’acharnait sur quelqu’un de bien incapable à se défendre, je trouvais tout cela logique, presque jouissif. Il ne méritait que ça, après tout.

Une fois arrivée sur les lieux de l’action, j’avais été perturbée à la fois par la silhouette dégradante d’Abel, ancien bourreau, que par celle de notre Chef actuelle, Noâ. J’avais émergé de ce mauvais rêve éveillé au sujet de Joshua, face à Dryss mais je ne m’étais pas encore tout à fait remise. Ça me remuait encore les tripes. C’était violent et succinct comme nouvelle. Je n’avais jamais pu mettre ni de visage ni de nom sur mon sauveur. Je m’étais même dit, pendant des années, que peut-être il n’était même pas au courant de m’avoir sauvée. Je ne savais comment amener le sujet. Je ne savais comment avouer quelque chose dans ce genre. Je n’avais jamais facile quand il s’agissait de tout ça. Je m’étais pourtant péniblement approchée d’elle, malgré la foule et le fait qu’elle soit un peu en retrait. Comment lancer ce sujet ? Comment lui avouer qu’elle m’a sauvée sans aucun doute d’une fin atroce ? Avait-elle seulement envie d’entendre ça ? Et si ces Membres avaient faux ? Si ce n’était pas elle, dans le fond ? Quand je lui fis face, ainsi qu’à Dryss et Jude, dans un état pitoyable, les épaules et la nuque en sang, je fus immobile et muette au départ. Je devais avoir l’air débile. C’est certain. Les mots ne venaient pas. En plus, Dryss m’avait vue pendant un état si critique que je ne savais pas si je devais encore plus montrer de mes faiblesses. Alors, dans l’espoir d’oublier tout ça, je m’étais retournée vers Abel. C’était pénible mais quelque part, j’avais espoir que ce soit une étape importante pour le deuil que je n’avais pas encore pu faire depuis six ans déjà. Je croisai son regard mais aussi celui de Logan. Je savais lire entre les lignes de ses yeux et il semblait avoir une haine si profonde que ça ne pouvait être personnel mais quoi ? Je le suppliais du regard pour comprendre mais c’était en vain, pour le moment. Alan se défoulait, lui aussi. Cela ne m’étonnait pas tant. Ce que j’allais faire, par contre, dépassait de loin toutes mes attentes. Au lieu de rester plantée là, je m’étais approchée d’Abel, je l’avais fixée dans les yeux avant de lui cracher au visage. C’était symbolique. Ensuite, je lui avais arraché les cheveux avec une telle ferveur, ferveur que je n’avais encore jamais eue depuis bien longtemps. Je pleurais déjà. J’étais en colère et en larmes. Je revivais certaines scènes mais avant tout, je prenais du poil de la bête, je reprenais de la force, chose qui m’avait tant manquée. « Je comprends mieux. Je comprends pourquoi tu as fait toutes ces horreurs… Tu n’as pas apprécié ce qu’elle a fait. », je le griffai, finalement. « Ce jour-là, il y a deux ans, quand tu as failli dire son nom avant que Roxanne n’arrive… Je sais de qui il s’agit, Abel ! », je lui criais littéralement dessus. Je ne me contrôlais plus. Je n’étais plus la gentille Alice soumise. « Elle a toujours été mieux que lui ! Elle le sera toujours ! Elle m’a sauvée, sauvée de vous et vos horreurs ! Regarde-la en face, espèce de monstre ! », je m’étais alors retournée vers Noâ. Seuls ceux qui comprenaient le lien qui unissaient réellement Noâ et Abel pouvaient comprendre mais je savais que les principaux concernés pouvaient déchiffrer tout ça. Quant à Logan, il me regardait, perdu et toujours tout près de cette victime qui avait perdu de toute sa hargne et son charisme, si je puis dire.

Asha s'était attendu à plus. A plus de haine, à plus de sang, à plus de colère, de cris, de violence. Mais il n'en était rien. Elle ne comprenait pas. Ce type avait fomenté et mené ou du moins participé à activement à la rébellion qui avait décimé tant de jaguars. Pourquoi alors n'étaient-ils pas tous debout à lui faire payer ? Noâ leur offrait un des bourreaux sur un plateau et toujours rien. Elle n'était pas une native, elle n'avait perdu personne et pourtant elle comptait bien se défouler sur lui. Au fond, tant pis pour les autres, ça en ferait plus pour elle, pensait-elle quand une flèche vint s'enfoncer au niveau de la cheville du rebelle. Asha se tourna, à la fois satisfaite et dérangée. Elle espérait que cette flèche ne provienne pas du carcan d'Alessandra. Et visiblement, il ne s'agissait pas d'elle mais de la blonde dont elle avait souvent entendu parler. Cette dernière se fit rapidement confisquer son arc et Asha haussa un sourcil. Rêvait-elle où Noâ devait-elle faire face à des protestations ? Trop loin, elle ne pouvait entendre ce qui se disait mais elle n'en pensait pas moins. Alors qu'elle se retournait vers Abel, pressée de lui faire regretter ses mots, elle fut devancée par de nouveaux arrivants. D'abord un certain Logan, si elle se souvenait bien, un gars qu'elle avait vu traîner parfois prêt d'Aiden. L'adolescente garda ses distances ; elle commençait à regretter d'avoir souhaité plus de réactions. Elle ne voulait pas perdre la main mise sur ce crétin. Croisant les bras, elle observa le membre se défouler sur le tas de chair qu'était devenu Abel. Quand il sembla s'être plus ou moins calmé, ce fut au tour du crétin qu'elle avait vu lors du banquet de lui envoyer une flèche en pleine cuisse. Quand elle pensa enfin pouvoir lui faire cracher ses dents, ce fut la sainte-nitouche Alice qui s'en prit à lui. Et pour le coup, Asha ne cacha pas une mine exaspérée, qu'est-ce qu'elle comptait faire ? Lui glisser des fleurs dans les cheveux ? La jaguar s'apprêta à faire un pas en avant afin de l'arrêter quand cette dernière sembla complètement péter les plombs. Elle divaguait complètement, elle devait avoir été trop secouée par la rébellion, ce qu'elle disait était décousu, n'avait aucun sens. Quand elle impliqua Noâ, Asha décida que c'était trop. Elle était folle et elle se donnait en spectacle. Sortant son couteau, la jaguar l'envoya valser droit dans la cuisse libre d'Abel, non sans lâcher une remarque à l'égard d'Alice. On est pas là pour discuter.

Toute cette histoire te dépasse un peu. Tu peux te montrer violent mais tu n'es pas vraiment friand de violence aussi gratuite. Frapper un homme à terre au cours d'un combat est une chose mais s'acharner sur un gars attaché en est une autre. Tu n'es pas assez en colère pour agir de cette façon. Tu n'es pas contre le fait qu'il souffre par contre. Abel mérite ce qui lui arrive et bien plus encore après cette nuit mais tu n'es pas certain de vouloir prendre part à cette mascarade. Ce n'est juste pas ton trip. Tout comme regarder. Tu te contentes de surveiller tout ça du coin de l’œil pour le moment mais tu n'es pas certain que tu vas rester très longtemps dans les parages.

KIRAN – Cette histoire va mal tourner…

On t'adresse la parole et ça te surprends. Tu te tournes vers celui qui a parlé. C'est un jeune gars vers les seize ans que tu connais de tête mais pas de nom. Il est frappant parce qu'il a toujours une drôle de planche à roulette avec lui quand tu le vois traîner sur le territoire.

KAHLAN – Probablement.

La situation dégénère mais pas comme on aurait pu le croire. Certains sont déjà occupés avec Abel mais ce qui fait le plus de boucan c'est un Ancien. Comme beaucoup tu observes en silence la scène sans trop comprendre ce qu'il s'est passé dans la tête de Zeke. Qu'il pense que la décision de Noâ est mauvaise est une chose mais là il vient carrément de le dire devant tout le clan. Tu grimaces. Un tel manque de contrôle de sa part t'étonne à vrai dire.

KAHLAN – C'est pas vraiment ce à quoi tu devais penser mais on peut dire que tu es clairvoyant en quelque sorte.

Tu ne regardes même plus dans la direction d'Abel et de ses bourreaux d'un jour, c'est un détail.

KAHLAN – Circonstances étranges pour faire connaissance mais bon... Salut moi c'est Kahlan.

Tu lui tends la main avec un sourire que tu veux sympathique. Autant saisir l'occasion. Il est jeune et peut-être deviendra-t-il Membre alors autant faire partir une potentielle future relation de boulot sur de bons rails. Après la rébellion resserrer les rangs semble aussi capital.

Alors que Kahlan vient de me répondre, les choses partent en effet en vrille, mais pas vraiment comme je l'attendais. En effet, c'est un Ancien qui fit le plus de grabuge, affichant ouvertement son désaccord avec Noâ, devant tout le monde... Je ne voyais pas très bien d'où j'étais, mais j'en saisis assez pour savoir que le gars avait été con. Même moi je n'aurais pas agis ainsi devant la plupart des Jaguars réuni, c'était un coup à se faire lyncher...
C'est la voit du brun qui me fait quitter la scène des yeux. Sa remarque me fait sourire : si j'étais vraiment clairvoyant, ça se saurait...

Ce n'était pas vraiment ce à quoi je m'attendais en effet, mais bon, ça reste idiot...

Kahlan reprend alors la parole, se présentant tout en me tendant une main, le tout avec le sourire. Je lui serrait la main tout en continuant de sourire et pris la parole à mon tour.

Kiran. Et est-ce qu'il y a vraiment des circonstances mieux que d'autres pour faire connaissance ?

Je lançais un nouveau regard vers le prisonnier et grimaçais avant de revenir vers le Membre. Oui bon, la situation n'était pas des meilleurs en effet... mais s'il fallait attendre un jour parfait pour faire des rencontres, on pouvait toujours attendre en fait...

Le gamin ne semble pas trop traumatisé par ce qu'il se passe. Il sourit même suite à tes paroles. Il a un certain sang-froid et ça ne fait que renforcer ton impression qu'il pourrait faire un bon Membre. Tu ne le connais pas vraiment et tu te trompes peut-être sur toute la ligne mais ton instinct semble assez sûr de lui. Pas sûr que tu puisses réellement lui faire confiance pourtant. Parfois tu devrais plutôt apprendre à te fier à tes secondes impressions.

KIRAN – Ce n'était pas vraiment ce à quoi je m'attendais en effet, mais bon, ça reste idiot...
KAHLAN – Il y a beaucoup de trucs idiots aujourd'hui. A commencer par lui.

Tu désignes Zeke d'un coup de menton. Il a vraiment déconné ce coup-ci. La rébellion a sûrement fait des dégâts en interne qui vont se manifester progressivement et c'est peut-être ce qui a poussé l'homme à réagir de la sorte. Tu ne réfléchis pas plus sur la situation, plus concentré sur ton interlocuteur. Tu lui serres fermement la main alors qu'il sourit.

KIRAN – Kiran. Et est-ce qu'il y a vraiment des circonstances mieux que d'autres pour faire connaissance ?

Tu réfléchis quelques secondes. En fait il n'a pas tort.

KAHLAN – Tu as le point Kiran. J'ai toujours tendance à rencontrer les gens dans des circonstances percutantes. Je suppose que j'ai besoin d'excuses pour ça. Comme beaucoup. Sûrement une histoire de se laisser vivre sans se laisser trop prendre par l'aspect survie qui ne nécessite pas de créer de vrais liens.

Tu parles plus que d'habitude. Tu réfléchis aussi plus. C'est peut-être les conséquences de la rébellion sur toi.

KAHLAN – Désolé je suis peut-être trop bavard.

Kahlan renchérit sur le fait que le gars avait été idiot avant de me serrer la main, m'accordant un point sur le fait que les circonstances n'étaient ni bonnes ni mauvaises au finales pour une nouvelle rencontre. Par contre, je perdis un peu le file dans la suite de ses paroles, et cela se vit sur ma façon de le regarder, les yeux plissés et les sourcilles froncés, mon sourire disparu. Finalement, le brun s'excusa d'être trop bavard, et je ne pu m'empêcher de rire.

Non mais en fait j'ai pas tout suivis... Mais j'ai compris le principale, je crois.

Je retournais m'asseoir près de mon skate, gardant le regard sur Kahlan et ayant retrouver le sourire.

C'est important d'avoir des liens, particulièrement ici et vue la situation actuelle. Maintenant les circonstances qui font qu'ils se créent importent peu au final, tu ne crois pas ?

Pour ma part, je n'étais pas le plus sociable de Paris selon beaucoup. Je m'étonnais d'ailleurs de mon comportement envers le brun. En temps normal, je me serais ouvertement moqué de lui, sûrement... Mais aujourd'hui était un jour spécial, marquant, et si j'avais d'abord voulut m'isoler, je me rendis compte que la compagnie de Kahlan était plutôt bienvenue. Parler un peu, sans s'insulter je précise, cela ne pouvait jamais faire de mal...

Tu viens de faire une erreur. Tu le sais et pourtant tu n'as pas de regret. La situation te galvanise et tu restes fort face à Noâ. Se dresser contre son Chef en lui disant qu'il a tort est dangereux mais ce n'est pas tellement contre la Chef que tu te dresses mais bien contre la personne derrière le masque de dirigeante. Mais ça ne change rien. Quand tu vois Noâ qui se détourne tu devines plus ou moins ce qui va se produire. Tu vas payer les conséquences de tes actes.

NOÂ - Roxanne, conduit-le en cellule pour affront à l'encontre de son Chef et outrepassement de ses fonctions. Au vu de la situation, il ne devra néanmoins y croupir que jusqu'à la fin de la pause et sera ensuite assigné à une tâche au QG.

La sanction n'est pas énorme. C'est juste une tape sur les doigts mais elle n'en reste pas moins significative. C'est la première fois que Noâ te place dans cette position. La première fois qu'elle se détourne ainsi de toi parce que tu l'as déçue. Peut-être pas en tant que personne mais en tant que Jaguar sous son commandement c'est certain. Roxanne est à tes côtés rapidement et tu vois une sorte de déception mêlée de pitié dans ses yeux. Oui d'Ancien Second à Seconde actuelle tu sais que tu as déconné en parlant haut et fort. Elle te saisit le bras mais sa poigne n'est pas forte. Elle te tient par principe et tu l'as suis à l'intérieur du QG sans faire d'histoire. Tu as déjà assez fait parler de toi inutile de te faire traîner en cellule par la peau du dos en plus.

Asha leva les yeux au ciel et regretta presque d'avoir plus au moins défendu la sainte-nitouche le jour du banquet. La jeune femme ne ressentait plus aucune once de sympathie envers Alice. Elle la trouvait fatigante à hurler des mots qui ne regardaient qu'elle. Fatigante et extrêmement ridicule. Alors elle répondit sèchement. L'air de brailler ? Tu brailles et tu te donnes en spectacle. Elle se fichait de la façon dont la brune prendrait ses mots, elle la trouvait simplement envahissante à souhait. Elle monopolisait encore et toujours Abel, toujours en racontant n'importe quoi. Elle était contradictoire, elle le savait. Elle s'était étonnée de voir si peu de participation mais elle ne supportait pas quand l'une des membres les plus calmes se réveillait enfin. Elle haussa les épaules, il y avait d'autres façons de se réveiller, des façons qui n'impliquaient pas de hurler à tout va pour attirer l'attention. Non, vraiment, Alice se donnait en spectacle. Et Asha grogna, s'apprêta à pousser la brune hors du chemin mais l'intervention salvatrice d'Ella lui épargna le problème. Sa grimace se changea en sourire alors qu'elle arrachait son couteau dans la cuisse d'Abel. Il n'était à présent plus qu'un tas de chair, même plus une personne, juste un défouloir. Laissant Alice près du futur cadavre, Asha rejoignit Ella. Je t'en ai laissé, tu devrais me remercier à la place de râler, répondit-elle tout aussi amusée. Les deux jeunes femmes faisaient la pair. Elle avait été l'une des premières à lui tendre la main quand elle avait débarqué au sein des jaguars, il y a dix ans de ça. Prépare-toi à perdre alors, lança-t-elle alors qu'elle envoyait une nouvelle fois son couteau sur le traître, la lame vint se planter juste un peu au-dessus de sa clavicule. Et elle ricana une nouvelle fois aux paroles d'Ella. Plus joli ? Ce type est tellement horrible, à son niveau, on ne peut plus rien pour lui, continua-t-elle. Ce qui ne l'empêcha pas de s'avancer vers Abel, de retirer une nouvelle fois son arme et cette fois, elle s'attaqua à son visage. D'une main, elle sécurisa sa mâchoire afin qu'il ne bouge pas trop, de l'autre, celle armée, elle traça une ligne partant de sa joue jusqu'au coin de sa lèvre droite, dessinant un sourire dans sa chair abîmée. C'est un peu mieux, là ?

Noâ entendait bien ce qu'ils disaient. Elle comprenait leur discour, l'acceptait, mais tout ça n'aurait pas pu la faire revenir sur ce qu'elle avait lancé. Oui, il était trop tard. Qu'elle regrette ou non, il n'existait pas de marche arrière sous peine de passer pour une faible changeant d'avis à chaque contestation. Si elle avait réellement fait une erreur, elle l'aurait accepté et aurait fait le nécessaire pour réparer ce qui était encore réparable, mais ce n'était ici pas une erreur. Ils avaient juste des opinions différentes. Ils n'avaient pas non plus le même point de vue. Ils se trouvaient à des positions radicalement différentes et avaient été influencés par des expériences tout aussi différentes. Ils avaient tous les trois faits du chemin depuis leur enfance chez les Dragons. Noâ les avait toujours encouragé à être sincères. Même en tant que Chef elle avait voulu qu'on puisse lui dire clairement quand elle faisait un faux-pas de façon à pouvoir se rattraper avant d'en arriver à un règne comme celui de Joshua, mais elle aurait aujourd'hui aimé pouvoir compter sur leur soutien. Juste pour aujourd'hui, elle aurait aimé qu'on ne souligne pas ses erreurs car il était déjà assez difficile de se tenir debout après tout ça sans en plus avoir à essuyer les critiques. Noâ pinça les lèvres et encaissa le tout en silence, le regard glacé. Lâchement, elle attendait que la vague soit terminée. Autour d'elle, les discussions et les vociférations des Jaguars semblaient se faner et elle se demanda un instant pourquoi. Juste un instant. Et puis tout revient avec une force assommante quand Jude prononça six petits mots pourtant dévastateurs. Quel exemple donnes-tu à Nuka ? Cette remarque la blessa bien plus encore que tout le reste. Nuka avait toujours été un sujet sensible, difficile, et le voir mit sur le tapis en cet instant la frappa. C'était un coup-bas que Noâ oublierait difficilement. Désormais, il n'y avait plus aucune chaleur dans ses yeux et il n'y en eu pas plus dans sa voix quand elle s'exprima enfin.

- Vos inquiétudes sont légitimes et j'entends bien vos avis, mais tout ça ne change rien à ma décision.

Son ton laconique était un indicateur suffisant quand à son humeur. Elle était blessée et se refermait pour enfouir la douleur loin et ne plus y penser. Elle n'avait pas ce luxe, le clan n'attendrait pas qu'elle ait récupéré, il avait besoin d'elle maintenant. Le brouhaha derrière elle s'intensifia et elle ne put s'empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Abel était désormais bien entouré et parmi ses agresseurs il y avait une personne que la Chef n'aurait pas cru voir là. Alice. La Membre semblait hors d'elle et elle criait sur le prisonnier avec une rage presque vengeresse. Un léger froncement de sourcils orna le visage de la blonde lorsque l'autre fille se tourna vers elle tout en continuant à parler à Abel. Elle ne croisa son regard qu'une seconde, mais ses paroles avaient été fortes et marquantes. Si elle avait été dans un meilleur état d'esprit, Noâ aurait sûrement poussé la réflexion à ce propos plus loin, mais elle ne ressentait aucune curiosité bienveillante en cet instant. Elle aurait voulu, sincèrement, mais elle ne pouvait pas. Alors elle se détourna simplement, laissant à ses chatons le loisir de continuer à jouer à leur aise.

- Si tout ceci vous déplais vous êtes libres de partir.

Elle ne disait pas ça de façon à congédier Dryss et Jude, c'était inutile puisque c'était elle qui partait. Après un dernier regard aux deux, elle les dépassa et retourna vers l'entrée secondaire du QG d'une démarche rigide. Elle ne savait pas trop comment, mais il allait falloir qu'elle évacue tout ça rapidement si elle voulait être capable de se concentrer par la suite. Foutue journée qui n'en finissait pas...