Can We Still Be Friends?

- J’avais douze ans, la première fois…

Elijah semble mal à l’aise. Il détourne le visage pour se soustraire à mon regard. La sexualité… Non. Ma sexualité le trouble, j’en suis certaine. Les garçons sont souvent arrogants et pédants, lorsqu’ils parlent de la chose, mais quand nous abordons le sujet avec sérieux, surtout si nous sommes charmantes, ils redeviennent puceaux et rougissent. Du moins, Elijah rougit, désormais, alors que le silence perdure.

Je laisse mes doigts courir sur sa nuque et sa peau frissonne sur mon passage. Je ne l’aime pas, il le sait. Mais comment refuser les caresses d’une jeune femme alors qu’il se bat tout les jours et risque la mort aussi souvent? Alors je profite de sa faiblesse, de sa solitude, et je contemple l’effet que mon être peu produire sur lui. Le feu, au creux de mon ventre, m’échauffe à peine. Je suis en parfait contrôle de mon corps, mon temple, et une fois de plus, je ne me cambre pas sous les mains d’autrui. C’est Elijah qui doit s’abandonner. C’est toujours l’autre qui doit s’abandonner, avec moi. Toujours.

Mes pensées s’évadent un peu trop, et je revois le premier. Celui de mes douze ans. Il était plus âgé mais aussi peu expérimenté que moi. Il m’aimait, également. Il m’aimait d’un amour dévorant, d’un amour qui fait mal. Celui-là même qui distrait durant le jour et réveille la nuit tombée. Ce genre de passion qui se serre au fond de notre coeur et qui nous fait sombrer plutôt que tomber en amour. Il me murmurait des mots jolis qui rimaient souvent et me caressait les cheveux durant des heures sans rien espérer en retour. Il m’assiégeait comme on pourchasse une idole sacrée. C’est moi qui avait pris l’initiative, un soir où ma mère était affairée à l’hôpital. Nous nous étions retrouvés dans le logement silencieux. Je ne désirais pas souiller mon lit, ma chambre est un refuge. Sur la table. Vite. Elle va arriver. Plus vite.. Aye! ..Oh?... C’est tout?  C’était pour cela que les hommes perdaient leurs rations et se déchiraient? Vraiment?

J’avais ri. Très fort. La tension du moment et la futilité de l’acte amoureux me rendaient euphorique. Je ris un peu, en y repensant. Elijah relève la tête; il s’endormait et je l’ai réveillé.

A douze ans, je ne voulais pas faire l’amour, oh.. Ça, non. Je ne comprenais pas bien l’amour. Je trouvais fascinant de voir ce sentiment se développer chez un autre, de voir le pouvoir et la confiance aveugle qu’on était prêt à accorder par amour. Il n’y avait que l’aspect purement mécanique qui m’intriguait. J’aurais pu attendre. J’aurais dû, probablement. Mon amoureux transi s’était pétrifié, nu, devant mon rire qui ne tarissait pas. Je l’ai blessé par ce rire qui ne se voulait pourtant pas cruel. Il m’avait quitté, ce soir là, me laissant nettoyer toute seule la table et mes vêtements tachetés de rouge. Il ne m’a plus jamais adressé la parole. Aujourd’hui encore, lorsqu’il me croise, il détourne les yeux et je peux sentir la douleur profonde que je lui ai infligé. Nous ne pourrons jamais être amis.

Maman a su. Elle ne m’a pas grondé mais je pouvais sentir la déception de voir une enfant grandir trop vite. Elle avait peur, je crois, que je doive suivre la même vie qu’elle. Devenir mère sans avoir vécu. Mais elle ne désirait pas me dégoûter de l’amour en me faisant croire que ce que j’avais fait était mal. Si seulement elle avait su combien je n’étais pas amoureuse. Un béguin, tout au plus. Il était joli, il était amoureux, et j’étais curieuse.

Instinctivement, la large main d’Elijah se pose sur mes hanches. Il ronfle un peu, dans son sommeil, et je n’arrive pas à me sentir rebuter par le bruit, au contraire. Il est réconfortant de se blottir contre un homme qui nous apprécie. Le duvet sombre sur le bras qui m’enserre me rappelle Micah. ...Jamais, encore, je n’ai aimé quelqu’un aussi intensément que mes amis. Swann, Axel, Micah. Au-delà de leur corps, au-delà d’une attirance physique, il y a leur âme. Des âmes pures et vibrantes.