Tu vois, Jo. L'amour, c'est pas ce que tu crois. Non, pas du tout. L'amour, c'était ce sentiment qui était bien trop surestimé pour ce qu'il apportait. L'amour, c'était idiot, ça rendait complètement aveugle. Et ça, il fallait bien que je lui fasse comprendre. Elle ne parlait déjà pas, n'entendait pas, il ne manquerait plus qu'elle ne voit pas. Mon devoir de grand-frère était donc de la prévenir, de veiller à ce qu'elle ne tombe jamais dans ce panneau. Et si tel était le cas, alors je me devrais de surveiller l'heureux ou l'heureuse élu(e) de près. Ou de mettre un terme à son existence avant que ça n'arrive. Un entraînement de torture chez les fines lames était si vite arrivé, une toute petite erreur, un peu d'emportement et le tour était joué. Tu te souviens de Vanille ? Vanille. Mon premier béguin d'adolescent remuant et encore maladroit. Bah, quand j'y repense, ça me donne des frissons. Déjà, quel parent avait pu avoir la brillante idée d'appeler sa gosse Vanille ? Ses géniteurs devaient avoir au moins été aussi frappés que les miens ▬ rappelons que mes parents étaient à deux doigts de me prénommer Jésus. A l'époque, Vanille avait pris une grande part de ma vie. Dans notre troupe de libres, les jeunes se comptaient presque sur les doigts d'une main (pourtant je mentirais si je disais que les adultes n'étaient pas chauds comme des lapins). Et les jeunes qui réfléchissaient un temps soit peu l'étaient d'autant plus. Vanille en faisait partie. Alors je passais un peu de mon temps avec elle. Au départ, nous n'étions que des amis. A vrai dire, nous n'avons toujours été que des amis. Mais à force de traîner avec elle, je sentais mon cœur battre un peu plus vite. Je devenais aussi tout de suite plus idiot, cherchant à l'impressionner à chaque moment de la journée. Ce que je m'en étais pris des blessures de guerre juste pour ses beaux yeux. Avec le recul, je me dis que l'unique raison de mon intérêt pour cette fille était...la solitude ou le désespoir. Peut-être même le besoin d'attention. Mais pas ses longs cheveux blonds qu'elle adorait tresser, ceux sur lesquels je déposais une couronne de fleurs. Ni pour son sens de l'humour et de la répartie bien trop rares. Tu vois cette cicatrice là ? Celle juste sur mon épaule ? Souvenir de Vanille. Parce que l'amour, ça rend complètement débile. Cette cicatrice-là, je l'avais gagnée dans un défi stupide. Quand ce crétin de Chappo m'avait provoqué. Dévaler la pente dans un tonneau. La plus brillante idée de ma vie. Parce que l'amour, ça rend stupide. Et aveugle aussi ! Complètement aveugle. Physiquement, Vanille n'avait absolument rien d'exceptionnel. Et elle avait d'horribles défauts comme sa façon de manger la bouche ouverte, ou cette manie de dompter les épis rebelles de mes cheveux. Vanille, elle avait une dentition spéciale, des dents manquantes et tordues, et les mains moites. Sûrement une haleine de chacal. Je te parle même pas de ses poux. Et ma petite Jo était bien trop jolie, bien trop saine pour attraper les poux des autres. Jo était trop parfaite, personne ne la méritait. Et puis, de toute façon, elle était encore bien trop jeune. Dis-toi que l'amour, c'est ça. C'est un truc qui te donne des poux, qui ne sent pas forcément très bon et te laisse des cicatrices. Et on n'aime ni les poux, ni les mauvaises odeurs, ni les cicatrices, terminai-je en lui donnant un dernier coup de brosse dans les cheveux.