Dernièrement, le clan avait subi plusieurs changements plus ou moins importants. Il aurait fallu être entièrement aveugle pour ne pas l’avoir remarqué. Le Chef était à l’hôpital, dans le coma et Eli avait provisoirement pris la direction du clan. Nathanaël, quant à lui, était assez sceptique sur ces choix. Il ne connaissait pas Eli personnellement et ne savait rien de sa personne ; si ce n’est ce que les gens peuvent dire à son sujet. Il ne prenait pas garde aux rumeurs généralement mais là, il s’agissait de quelque chose qui avait une plus grande ampleur. Alors l’Aigle faisait parfois fi de certaines de ses habitudes pour en savoir autant que ses camarades. Du reste, il ne dirait rien sans être certain de ses informations. Et même en ayant les confirmations de ce qu’il peut penser, Nathan’ ne serait pas du genre à aller les partager comme ça ; devant tout le monde. Il préférait largement jouer sur la discrétion et jusqu’à maintenant, il ne se rappelait pas l’avoir déjà regretté, ne serait-ce qu’une seule fois. Il ne pouvait qu’espérer que ça continue ainsi. Et s’il y avait le clan d’un côté, il y avait également encore et toujours ses deux sœurs de l’autre. Il savait qu’elles étaient parfaitement capables de se débrouiller par leurs propres moyens mais ça ne le rassurait pas à cent pour cent. Surtout avec les changements radicaux qui se produisaient petit à petit à l’intérieur même de leur territoire. Néanmoins, il parvint à prendre sur lui et décida de leur faire confiance sur ce coup-là. Nathan’ n’était pas un idiot. Il se doutait bien qu’elle finirait par en avoir marre d’avoir leur grand-frère sur le dis de façon systématique. Il devait lâcher un peu de lest. Il n’avait plus le choix. Et il s’en rendait compte. Alors il lui arrivait de se préparer psychologiquement à les laisser vivre leur vie et en tentant de les surveiller le moins possible du coin de l'œil. Un objectif ardu. Il en avait conscience. Mais sa décision était prise. A partir du lendemain, il essayerait de moins porter son regard sur les travaux d’Elyse et d’Alex… Il ignorait si c’était la bonne solution et il n’avait pas franchement envie de se le demander actuellement. Après tout, Nathan’ verrait les résultats de sa petite tentative, n’est-ce pas ? A ce moment-là, si c’était réellement nécessaire, alors il aviserait. Pas avant.

C’est sur cette décision irréversible et déterminante que Nathanaël acheva sa journée. Une fois de plus, il avait accompli sa part du travail pour le clan et il n’en était pas peu fier. D’ailleurs, il aurait sans aucun doute mérité d’aller se reposer mais pour lui, c’était encore trop tôt. La soirée allait à peine débuter et il ne voulait pas se priver pour au moins une ou deux heures. La vie lui paraissait trop courte pour être uniquement vouée au travail pour lui et pour les autres. De temps en temps, il était aussi bien de se détendre et de simplement profiter de leur chance d’être encore là. Mais pour Nathan’, profiter, ça voulait aussi dire : être tranquille, seul, loin de la foule et de ses bruits qui bourdonnent jusqu’à vos tympans. Et pour que ces conditions soient toutes remplies, il avait déniché l’endroit idéal. Surtout à cette heure-là. Sans attendre l’avis de quiconque, l’Aigle marcha jusqu’aux postes de surveillance et arriva à sa destination en quelques minutes. Il avait la ferme intention de grimper sur l’un d’eux lorsqu’une voix féminine et familière lui parvint de derrière. Nathanaël se retourna et fut immédiatement plus apaisé quand il reconnut celle qui lui faisait désormais face. Une fille du clan qu’il considérait comme une amie, une véritable amie, quelqu’un d’important à ses yeux. « Salut Swann. », répondit-il en s’avançant un peu plus vers elle. Elle n’était pas au meilleur de sa forme et il n’y avait pas besoin d’avoir une vue particulièrement perçante pour s’en apercevoir. Il lui rendit son salut en effectuant exactement le même geste et se mit à côté d’elle pour la soutenir en cas de besoin. Il ne la laisserait pas tomber. Pas elle. Pas alors qu’ils avaient appris à s’ouvrir l’un à l’autre. « Tu vas bien ? Tu veux discuter un peu, peut-être ? » Il était attentif au moindre de ses mouvements et si jamais elle faisait mine de vaciller, l’Aigle était prêt à réagir. « Viens, ne restons pas ici et allons dans un endroit plus paisible et plus confortable. Suis-moi. » Doucement, il l’emmena pour monter en haut du poste de surveillance. Là, les chances qu’on vienne les déranger étaient relativement minimes. Et dans le cas où Swann ne voulait pas aller en haut eh bien, Nathan’ n’insisterait tout simplement pas et ils iraient ailleurs. C’est tout.

En y regardant de plus près, on pouvait remarquer que Swann et Nathanaël n’étaient pas si différent l’un de l’autre. Ils étaient tous les deux du genre à conserver leurs problèmes pour eux, et à se renfermer sur eux-mêmes. Sans aller parler à personne d’autre. C’est peut-être pour ça qu’ils s’entendent aussi bien, cela dit. Et qu’ils n’ont pas peur de s’ouvrir l’un à l’autre. Après, il est vrai que leurs problèmes respectifs ne sont pas les mêmes, ils n’ont pas non plus la même portée en ce qui les concerne eux et les autres. Mais l’un comme l’autre, ils avaient parfaitement conscience que, dans les deux cas, ce n’était pas si évident de porter un fardeau, quel qu’il soit. Parce que dans ces cas-là, il n’y a pas vraiment de problèmes qui soient moins lourd que les autres. Disons que chacun vaut son pesant… Pourtant, Nathan’ ne s’en plaignait pas. Il acceptait le fait de devoir s’occuper de ses petites sœurs. Et il acceptait également toutes les autres tâches que le clan pouvait lui donner. Il n’avait pas trop le choix, en tant que Membre. Alors Nathan’ se taisait. Parce que de toute façon, il le sait, il y a encore bien pire que lui dans ce monde. Il ne cherchait même pas la gloire ou la reconnaissance du clan. Il n’attendait même pas un merci de leur part. Non, il ne voulait rien de tout cela. Il voulait simplement ne pas être lui-même un poids pour les autres. Et sans mentir, on peut dire qu’il ne se débrouille pas si mal que ça, dans l’immédiat. Enfin quoi qu’il en soit, il était quand même bien content de pouvoir avoir ce type de discussions avec quelqu’un, surtout avec Swann. Elle était bien la seule avec qui il se permettait ces choses-là, d’ailleurs. Alors quand elle a dit oui, Nath’ n’a pas pu s’empêcher d’esquisser un grand sourire plus que sincère. En plus, ils avaient l’endroit idéal pour pouvoir être en paix. Rien que tous les deux.

Pourtant, lorsque Swann répondit à la première question de Nathan, ce dernier commença à se sentir assez mal. Evidemment, si elle était là, c’est que quelque chose clochait. Sauf qu’il n’y a repensait qu’après coup. « Excuse-moi, c’était malvenu de ma part de poser cette question. » Surtout que son état était suffisamment visible. N’importe qui d’autre ne se serait pas permis de la questionner à ce sujet. Pourtant, elle ne s’en est pas formalisée et, à la place, elle a même retourné la question à Nathan… L’Aigle devinait sans mal à quoi, ou plutôt, à qui, elle faisait allusion en lui demandant ça. Il haussa les épaules avant de lui répondre. « La routine. Mes sœurs ne changent pas et c’est toujours aussi compliqué avec Elyse mais je fais ce que je peux pour gérer ma vie de Membre et ma vie de famille. Je pense que je ne m’en sors pas trop mal pour le moment. Jusqu’à une éventuelle nouvelle crise… » Nathan’ n’avait pas besoin d’en dire davantage. Il savait que Swann comprendrait tout ce à quoi il faisait allusion. Ils avaient déjà eu l’occasion d’en discuter à plusieurs reprises. Et puis, Nath’ n’avait aucun secret pour son amie. Il lui disait tout et il aimait se dire que c’était un sentiment réciproque. Et puis, ils se sont retrouvés tous les deux au sommet du poste de surveillance. C’était confortable et la vue était imprenable. Et Nathan’ était bien, avec elle. « Je ne pense pas. Et si j’en ai, tant pis. J’assumerai les conséquences de mes actes. Ne te triture pas l’esprit avec ça, c’est moi qui t’ai invitée ici, c’est moi qui paye si je fais une erreur. En attendant, profite simplement pour passer du bon temps avec un bon ami, d’accord ? » Il n’avait pas peur de faire engueuler en emmenant une Soumise dans un coin non-autorisé. Il ne pensait pas ça. Nathan’ cherchait seulement à ce qu’elle oublie ses problèmes, l’espace d’un instant, aussi bref soit-il.

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Nathanaël avait toujours à se plaindre de ses sœurs. Pas qu’il en faisait trop pour peu de choses, loin de là. Je savais bien que ce ne devait pas être évident tous les jours quand on avait deux sœurs dans leur genre. L’une avait des mœurs bien trop légères et ça se savait dans tout le clan – après tout, elle ne faisait rien pour masquer ses venues et départs bien trop réguliers – et l’autre n’allait pas suffisamment bien dans sa peau pour s’occuper d’elle-même. Il devait souvent s’occuper des deux quand il ne devait pas s’occuper de lui-même et de sa tâche de Membre. Avant tout ça, même moi j’étais capable de me gérer seule malgré toutes mes conneries. Je ne m’imaginais pas avoir sa patience face à de tels éléments dans ma propre famille. En ce moment, c’était certain, je ne me voyais pas m’occuper de ces deux filles. J’avais déjà trop à gérer de mon côté. Je devais me rattraper mais pas au point de sacrifier mon énergie à électrons libres, parfois bien trop libres, d’ailleurs. « Je suppose que ce n’est pas évident d’envoyer balader ses sœurs mais si elles prennent trop de ton temps et de ton énergie, tu devras songer à prendre tes distances. » J’aurais bien envie de lui dire qu’il valait mieux qu’il en fasse de même avec moi mais pour l’instant, c’était de ses sœurs qu’on parlait. Je pouvais bien essayer de le conseiller moi aussi, à ce sujet. Après tout, nous n’étions pas là que pour mes problèmes, n’est-ce pas ?

Comment ne pas me soucier de mes faits et gestes quand on savait que j’avais fait des erreurs énormes récemment ? Je n’étais plus une simple Soumise, j’étais une Soumise surveillée et qui attendait une punition sûrement conséquente. Je n’avais pas envie d’entraîner les autres dans mes bourdes. Sauf peut-être ce Libre qui l’aurait mérité sans aucun doute. Il m’agaçait celui-là. « Si tu le dis. » Depuis que nous avions dévié du sujet concernant ses sœurs, j’avais peur qu’on ne parle de moi et de mes bêtises. D’habitude, je parlais mais là, c’était autre chose. Alors, j’étais soudainement muette. Je préférais m’attarder sur les étendues que nous voyions de là où nous étions postés. C’était grand, immense. Nous étions petits, si petits face à tout ça.

En y réfléchissant, il n’était pas rare de croiser des gens avec une vie particulièrement pourrie, dans les Ruines. C’était même quelque chose d’assez récurrent et c’était ça le pire. Tout le monde pouvait se plaindre de quelque chose… Certains le faisaient sans aucun scrupule, d’autres le faisaient seulement avec certaines personnes dites de confiance… Et enfin, d’autres gardaient tout simplement tous leurs tracas pour eux. Quelle est la meilleure solution, la meilleure chose à faire ? Difficile à dire. Les solutions peuvent plus ou moins se valoir. Quoi qu’il en soit, chacun devait composer avec ses propres problèmes. Et pour Nathanaël, son problème majeur, c’était bien entendu ses deux sœurs. Il se débrouillait généralement très bien pour ne pas les évoquer et pour garder leurs soucis dans un cadre familial… Mais des fois, il éprouvait cette envie de discuter. Pas avec la première personne venue, non. Avec des personnes qu’il considère comme étant proches. Comme Swann, par exemple, même si beaucoup ne la considérait pas forcément comme une personne très fréquentable. Lui, il s’en fichait. Il s’était fait son propre avis sur cette jeune fille et ce dernier était positif. Cela dit, il n’imposerait jamais ce sujet-là. Si la personne qui se trouve en face de lui ne veut pas en parler, il n’insistera pas et n’imposera jamais à quelqu’un d’entendre ça. Même si au final, tout le monde, dans le clan, savait à peu près ce qu’il devait endurer avec ses sœurs. Qui ne connaissait pas au moins Elyse de réputation ? Elle et sa non-gêne. Et puis, Alex était quelqu’un qui savait bien faire parler d’elle quand elle le voulait… Alors oui, ça pouvait paraître étrange mais… C’était lui le garçon, c’était lui le Membre de la famille… Mais c’était aussi lui le plus calme et le plus raisonnable de la fratrie. Voire même le plus responsable. Un contraste assez étonnant, oui. Enfin… Il faisait de son mieux pour elles mais ses sœurs n’étaient pas ses seules préoccupations. Il y avait aussi son devoir envers le clan. Il ne pouvait pas tout le temps être avec elles à réparer leurs conneries et ça, elles semblaient avoir du mal à le concevoir… Parfois à son plus grand désespoir, il faut le dire. Quand Swann parla, il leva les yeux vers elle. Il aurait pu être étonné voire choqué par sa remarque mais ça n’était pas le cas. Parce que cette solution, il y avait déjà songé plusieurs fois, sans jamais passer à l’acte pour autant. « J’envisage de faire ça depuis un petit moment… Mais je t’avoue que ça me pose un cas de conscience. Je me dis que sans moi, elles vont peut-être encore plus s’enfoncer dans leurs bêtises… Sans plus aucun espoir pour redresser la pente. Et j’ai l’impression que les laisser franchir une certaine limite sans rien tenter, ce serait égoïste… » Trop bon, trop con, comme on dit. Mais il était comme ça et il ne pouvait pas s’en empêcher.

Mais il avait suffisamment parlé de lui. S’étendre trop longuement sur ses problèmes, c’était pas non plus son genre. Se plaindre, il préférait aussi éviter, malgré tout. Du moins, dans la mesure du possible. Maintenant, il voulait pouvoir aider Swann ou à défaut, au moins tenté de la réconforter, de lui apporter de la tranquillité. Quand elle lui adressa quelques mots simples, Nathan’ lui répondit avec un sourire et avec l’assurance qu’il pouvait utiliser. « Je le dis. » C’était simple et peut-être pas si convaincant mais tant pis. Puis, un silence s’installa entre les deux Aigles. Nathan’ suivit le regard de Swann pour finir par fixer ce qui s’étendait en face de lui. Oui, ils n’étaient rien face à tout cela… Mais d’un autre côté, ils étaient là malgré tout. Ils faisaient parties de ce monde et même en étant de moindre importance, il faut tout de même vivre. L’Aigle poussa un soupir et tourna la tête vers la Soumise. « Swann… Mes sœurs, c’est une chose… Mais je pense être plutôt bien loti contrairement à certaines personnes. Si tu vois ce que je veux dire. Tu es sûre que ne rien dire te convient ? » Il faisait une tentative mais là, si elle lui répondait qu’elle ne voulait rien lui dire, alors il l’accepterait… Et il se contenterait d’admirer le paysage du haut de son perchoir…