C'est une mauvaise journée. La chaleur dehors est étouffante comme toujours après la Saison Aride mais à l'intérieur de l'usine elle est carrément suffocante. C'est un temps propice aux problèmes. La trop haute température échauffe les esprits, rend les membres moins réactifs et fatigue. Tu crains à plusieurs reprises de voir une bagarre éclater entre les travailleurs mais malgré une ambiance électrique la violence reste contrôlée. L'un de tes collègues n'est pas étranger à cela. Ce fichu Jaguar. Cet idiot n'a rien trouvé de plus intelligent que de régler un soucis en frappant la mauvaise personne. Lui aussi avait un gros soucis avec la chaleur et il transmettait son stress à tout le monde mais au moins il avait instauré un climat de productivité entre les murs. Peut-être trop productif. En ce début de Saison Tempérée il y avait beaucoup à faire. Ça aussi c'était habituel. La demande était toujours plus forte quand l'activité reprenait. Du coup c'était l'occasion idéale pour prendre des heures supplémentaires et certains en abusaient. Un Soumis en particulier était trop souvent là à ton goût. C'était un Dragon assez sympathique mais qu'on sentait lessivé. La tyrannie de son clan pesait lourd sur ses épaules et il devait trimer ici pour une bonne raison. Quoi qu'il en soit tu l'avais senti plus fatiguée aujourd'hui qu'un autre jour et tu l'avais surveillé pour t'assurer que tout allait bien. Sauf que parfois il ne fallait qu'une seconde d'inattention pour qu'un accident n'arrive. Tu ne savais pas exactement ce qu'il s'était passé. Probablement avait-il fait une fausse manœuvre avec le produit qu'il travaillait. Il devait avoir voulu le récupérer et là il avait été trop loin. Dans tous les cas, quelque chose s'était passé et tu ne savais pas quoi. La seule certitude que tu as désormais c'est que le Soumis hurle et qu'il a la moitié du bras enfoncé dans le mécanisme d'une machine.

THEA - STOPPEZ TOUT ! STOPPEZ TOUT !

Ton premier réflexe est de crier au dessus du bruit des machines et des gémissements de douleur du Soumis. Heureusement on t'entend et un autre surveillant coupe le jus, plongeant l'usine dans le silence - en oubliant les cris - et une semi-obscurité.

THEA - Ouvrez les portes.

Tu en vois quelques un qui se déplacent vers les grandes portes pour les déplacer et faire rentrer la lumière du jour. Pendant ce temps tu trottines rapidement jusqu'à la machine incriminée autour de laquelle les travailleurs forment déjà un cercle. Tu te frayes rapidement un passage et tu viens te placer au côté du Dragon qui pleure à chaudes larmes et ne semble pas pouvoir s'empêcher d'essayer d'ôter son bras du mécanisme qui l'a pris au piège.

THEA - Du calme. Ça va aller. On va trouver une solution pour te sortir de là.

C'est ton premier accident. Tu te méfies des machines depuis toujours car elles sont vétustes et pas toujours très bien entretenues mais jusqu'ici tu avais eu de la chance. Il fallait croire que désormais la chance avait tournée.

THEA - Jace va chercher un mécano. Et Greg trouve nous un soigneur. Quand à toi...

Tu cherches son prénom qui te revient fort heureusement très vite.

THEA - Kalis. Viens ici. Bloque son bras. Il ne faut pas qu'il tire dessus ou même que le poids du membre pèse sur l'endroit coincé. Je compte sur toi.

Kalis obtempère rapidement. Au moins la situation ne l'a pas tétanisé comme certains autres. Il y avait de nombreux profils chez les Soumis. Ceux qui s'échangeaient des murmures, ceux qui cherchaient à comprendre ce qu'il s'était passé, ceux qui s'inquiétaient de l'incidence que tout ça aurait sur leur travail, ceux qui avaient mal pour lui, ceux qui étaient dégoûtés et ceux qui appréciaient cette pause bienvenue. Et encore ce n'était qu'un petit échantillon. Mais Kalis est visiblement fait d'un autre bois et il obéit en suivant parfaitement la consigne. Tu ne regrettes pas de l'avoir choisi lui. Il bloque efficacement le bras de son collègue qui pleure encore à chaudes larmes mais ne s'agite plus pour le moment. Tu n'es pas certaine que ce soit définitif. La panique va revenir par vague et c'est là que Kalis prendra encore plus d'importance.

KALIS - Qu'est ce qu'on va faire ? Comment il a fait ça d'ailleurs ?

C'est une bonne question. Toi aussi tu te la poses même si tu as déjà ta petite idée en tête. Enfin tu sais pourquoi c'est arrivé mais pour la partie pratique détaillée c'est plus complexe. Et tu ne te vois pas demander au type qui à le bras coincé de t'expliquer comment il a fait son compte.

THEA - Sûrement une conséquence de la fatigue.

Tu observes les deux Soumis Dragons et tu ne peux t'empêcher de penser qu'ils sont vraiment mal lotis dans ce clan. Ils sont tous les deux dans un piteux état et auraient besoin de faire un long break. Kalis manquait clairement de sommeil et rencontrer un baquet d'eau et un bon repas ne lui aurait sûrement pas fait de mal. C'est Jace qui te sort de tes pensées en revenant avec à ses côtés une fille de plus ou moins ton âge. Elle trimballe un sac qui tinte avec elle ce qui te fait supposer que c'est la mécanicienne que tu as demandé. Heureusement qu'il y en a toujours qui traîne dans les environs.

MECANO - Oula. C'est vraiment pas joli à voir tout ça.

Elle grimace en observant le tout de loin, puis attrape ses outils et commencent à tourner autour de la machine pour trouver un angle d'approche. Finalement elle l'escalade et s'installe maladroitement au dessus sur le ventre de façon à avoir une vue de haut sur le ventre de la bête.

MECANO - J'pourrais démonter une partie mais ça va prendre du temps. En plus ça risque de pas être agréable pour lui par moment. Faudra bien le tenir. Par contre j'y connais rien en médecine donc je sais pas trop ce qui est mieux à faire.

Le problème était qu'il faudrait attendre un sacré bout de temps avant de voir un soigneur arriver. Même avec une voiture, la zone industrielle était éloignée de l'hôpital. Pour avoir passé pas mal de temps là-bas tu as eu l'occasion d'apprendre quelques notions. Tu sais donc que parfois il vaut mieux ne toucher à rien car c'est la pression ou l'écrasement qui fait le moins de dégâts. Mais à d'autres moments c'est tout le contraire. Face à cette situation tu ne sais donc pas vraiment quoi faire. Tout ce que tu sais c'est que tu ne peux pas ne rien faire et attendre. Tu dois prendre une décision.

THEA - Kalis tu penses que tu arriveras à le tenir ?

Suite à ça le Soumis coincé se mit à s'agiter un peu plus. L'idée qu'on touche à son bras et d'une nouvelle douleur avait relancé sa panique et il rua un peu en pleurant de plus belles.

SOUMIS - Pitié, pitié, sortez moi de là. Mais je tiendrais pas plus de douleur j'ai déjà l'impression qu'on m'arrache le bras.

Hm. Peut-être allait-il falloir songer à l'assommer...

Tu es heureuse de ne pas avoir eu d'accident quand tu bossais encore ici. Lorsque tu n'étais qu'une gamine, juste une Soumise. Tu ne travaillais pas sur ce genre de machines, toi tu étais du côté des soudeuses mais les blessures auraient pu être sacrément moches aussi. Tu avais sûrement eu du bol. Jusqu'à ce que tu deviennes Membre et que durant cette patrouille fatidique la chance te lâche finalement. La chance, cette chienne à laquelle il valait mieux ne pas trop croire. « Oui bien sûr que je vais y arriver. » Kalis est courageux aussi. Tu ne regrettes pas de l'avoir choisi parmi cette foule de Soumis. Ce qu'il fait semble important pour lui, il y met de l'attention et est sérieux. Assurément un bon travailleur qu'il est dommage de voir tailler par les horaires fous des Dragons. « Eh calme toi...Ca va aller, garde ton calme. Ca risque de faire mal mais il faut que tu tiennes bon. » Tu ne t'attendais pas à le voir faire preuve d'une telle douceur. Il rassure ce Soumis comme il le ferait avec un enfant et les caresses qu'il laisse tomber dans ses cheveux te surprennent. Voilà un Dragon pas comme les autres et un jeune homme qu'il sera bon de garder à l’œil. Pendant qu'il le rassure, tu adresses un signe de tête positif à la mécano qui se met au travail. Inutile de faire traîner les choses. Attendre qu'un miracle se produise ne sert à rien. Il faut sortir ce gars de là et relancer l'usine. Le deuxième point, plus pragmatique, tu te l'avoues moins mais tu n'as pas le choix. Tu as besoin que tout roule, c'est ta tâche. C'est aussi important pour les autres Soumis. Le temps que vous pouvez donner à ce Soumis est mince mais c'est le mieux que vous puissiez faire. Le coincé se mit à s'agiter plus fort alors que le travail de démontage continuait. « Je l'assomme ou pas ? » Kalis pouvait lui aussi être pragmatique. A moins qu'il n'ait juste réagis comme ça par pitié pour l'autre gars ? Si jamais il était inconscient il ne sentirait plus la douleur pour un temps. En temps normal il vaudrait mieux qu'il reste conscient pour connaître l'ampleur des dégâts ou si jamais un mécanisme que la mécano démontait meurtrissait trop son bras mais ce n'est de toute façon pas comme si vous aviez un soigneur sous la main pour décrypter. Alors quitte à être dans le noir, autant l'être complètement et cesser de faire souffrir inutilement le Soumis. « Fais-le. » L'idée te plaît moyennement mais c'est vraiment tout ce que tu vois à faire. Pendant que Kalis s'occupe de ça tu te tournes vers les autres travailleurs. « Donnez nous de l'espace les gars. On est pas au spectacle ici. » Le mieux serait de leur donner quelque chose à faire mais tu ne peux pas juste les lâcher dans la nature en leur disant d'aller voir dans les autres usines s'ils n'ont pas besoin de mains supplémentaires. Inutile d'étendre le bordel à toute la zone industrielle. Et puis tu espères toujours que la mécano sera rapide et que le travail pourra reprendre dans pas trop longtemps.

« Bon allez, calme toi maintenant. Tiens toi tranquille, ça sera rapide. » Peut-être que c'est une trop lourde charge que tu laisses sur les épaules de ce gamin. Tu aurais probablement du l'assommer toi-même. Mais tu ne sais pas pourquoi l'idée ne t'est pas venue. Tu l'as laissé faire pendant que tu dispersais la foule. Il l'a proposé lui-même aussi. Tu supposes donc qu'il se montre apte à le mettre proprement dans les vapes. Il t'adresse un regard et l'instant d'après tu entends deux bruits de coups. Le Soumis s'effondre, rapidement attrapé par Kalis qui le garde contre lui. « C'est bon. Vous avez carte blanche pour démonter le machin. S'il se réveille, je l'assomme de nouveau. Si on arrive pas à lui enlever le bras même en démontant la machine... » Tu vois ce qu'il veut dire. Toi aussi tu envisages cette solution bien sûr et tu espères sincèrement ne pas avoir à en arriver là. Si son bras sort de là ce sera déjà une boucherie probablement. Kalis semble du même avis que toi et il semble plutôt retourné à cette idée. « Peut être faudra t-il...lui couper le bras. Non ? » Il formule quand même sa pensée et tu hoches rapidement la tête. En arrière-fond sonore, le cliquetis des outils continue fiévreusement. Au moins la mécano n'a pas perdu de temps. Finalement c'est d'ailleurs elle qui s'exprime. « Vous en faites pas tous les deux j'vais le sortir de là. Il faut croire en la magie des petits travailleurs. » Elle affiche un sourire goguenard tout en faisant tourner une clé à molette entre ses doigts, puis replonge dans l'appareil. Tu ne veux pas trop mettre de foi dans ses paroles pourtant. Même si elle semble confiante, ce n'est peut-être que de la gueule. « Si jamais on doit en arriver là, ce sera à moi de le faire. Vous sortirez tous. » Surtout toi Kalis, songea-tu. Ce gosse en avait déjà fait bien assez comme ça. Tu t'approches un peu pour poser la main sur l'épaule du jeune homme qui n'est pas occupée par le Soumis. « Mais il faut aussi se préparer à la possibilité que même si on arrive à sortir son bras de là, il faille le couper. Si les blessures sont trop graves, il vaut mieux parfois prendre cette décision pour le garder en vie. Mais ça ce sera un choix qui appartiendra aux soigneurs. » Derrière toi tu entends une acclamation victorieuse. La mécano a encore éliminé une autre pièce. Quand elle la passe à un Soumis qui les réceptionne et les aligne proprement sur le sol tu te rends compte qu'elle est ensanglanté. Elle se rapproche donc du carnage. Il faut encore quelques minutes avant que la mécano se redresse en essuyant son front noir de graisse. « On va pouvoir faire un essai. Tirer doucement. » « On y va à trois. Tu le tiens pendant que je stabilise son bras. On va essayer de fonctionner en même temps. » Tu vas te placer le plus près possible de la machine et tu attrapes solidement le bras dépassant. « Un. Deux. Trois. » D'un mouvement régulier tu commences à tirer avec lenteur pour extraire le bras du Soumis. Chaque centimètre qui se dégage révèle de la chair à vif et du sang. Le résultat est assez écœurant mais tu continues quand même jusqu'à arriver à sa main complètement broyée. « Ok on y est. Que quelqu'un lui fasse un garrot au niveau du biceps. » Tu continues à maintenir son bras mais tu vois du coin de l'oeil un autre surveillant qui retire sa ceinture et vient vers vous. Il fait un solide garrot comme demandé et se retire à nouveau un peu plus loin. Tu te tournes cette fois clairement vers Kalis. « Tu te sens capable de m'aider à le déplacer jusqu'à coin là-bas ? On va l'allonger en attendant l'arrivée d'un soigneur. »

Toujours aussi efficace et rapide Kalis fait en sorte que le blessé soit confortable. Décidément il va vraiment falloir que tu fasses récompenser ce gars. Un message aux Dragons va probablement s'imposer. « C'est pas joli à voir. Franchement vaut mieux pas qu'il se réveille pour voir ca... » Tu vas t'agenouiller un peu plus maladroitement de l'autre côté de l'homme en veillant à ne pas t'appuyer sur ta jambe faible. « Espérons pour lui. » Mais la chance n'est décidément pas de votre côté. Le Soumis reprends déjà connaissance et il se plaint de la douleur. Il y a de quoi. Encore une fois le Dragon se charge de le remettre en place pendant que tu réfléchis, cherchant une solution. N'importe quoi. « Le soigneur n'est pas arrivé, qu'est ce qu'il fout?! » Son éclat te sort de ta réflexion. Tu comprends sa frustration mais la ville est grande. « On lui coupe ? » Tu lèves les mains en signe d'apaisement. « Du calme. Nous avons le matériel mais je pense que nous ferons en l'état plus de dégâts. » Il faudrait un miracle pour que cette histoire se termine bien. Et pendant ce temps là le Soumis couine encore de douleur. Les larmes roulent abondamment sur ses joues et il bouge, n'améliorant pas son cas. Tu envisages très sérieusement de faire construire une civière pour vous mettre en route vers le centre hospitalier de façon à combler la distance quand un bruit de frein se fait entendre à l'extérieur. Le moteur rugit encore quand quelqu'un se précipite dans le hangar. Tu te pousses rapidement pour laisser la place à celui qui doit probablement être le soigneur. Il grimace directement en voyant les dégâts. « Transportez le dans la voiture. » Deux surveillants sont rapidement là pour le soulever et ils suivent les instructions du soigneur qui sort une décoction de son sac et la fait avaler au blessé. Tout se finit comme l'accident s'est produit : rapidement. Tu te tiens à côté de Kalis, la respiration encore un peu courte. Tu pousses finalement un soupir. « Il faut croire que ce gars a de la chance dans son malheur. » Tu te tournes ensuite vers Kalis et tu lui tapotes l'épaule. « Bon boulot ! Je tâcherais de faire en sorte que tu sois récompensé pour tout ça. » Les lumières se rallument dans l'usine et les machines recommencent à ronronner. Tu te tournes vers tous les travailleurs et tu frappes dans tes mains. « La pause est finie, on retourne bosser les gars. » Le travail doit reprendre, la production avant tout.

Il faut une première fois à tout
Année 41 – saison tempérée 1

Kalis sourit et tu ne peux pas t'empêcher de l'imiter. Il a ce sourire contagieux après ce moment particulièrement difficile pour l'usine et surtout pour vous deux. Après tout, vous avez été au cœur de cette affaire. « Non non pas la peine d'être récompensé , je n'ai pas fais ça pour avoir une récompense après. c'était juste pour aider, l'important est qu'il aille mieux. » Et pour cette réaction, il mérite d'autant plus quelque chose à tes yeux. Un tel acte ne peut être ignoré et son dévouement est joli à voir dans le monde dans lequel vous vivez. « En espérant que ça ne soit pas necéssaire de lui couper le bras... » « Je tâcherais de te tenir au courant de l'évolution de son état. » C'était le moins que tu pouvais faire après tout ça. Cet incident n'était pas prêt d'être oublié au vu du rapport que tu aurais à faire. Il faudrait aussi réparer la machine et s'assurer qu'elle ne soit plus un danger. Et bien sûr tu devrais faire remplacer ce pauvre gars. Même d'un point de vue humain, tu te serais tenue au courant. A l'occasion tu comptais même lui rendre une petite visite à l'hôpital. Traiter correctement tes Hommes, ça avait toujours fait partie de tes qualités en tant que patronne de cette usine. « Oui il est temps de se remettre au travail maintenant. A plus tard Théa. » A plus tard que tu lui sors aussi en lui faisant un petit signe de la main. Au boulot, oui.