- Gratin de couilles de renard à la con! Sortez-moi d’ici!

Je me doutais que hurler n’arrangerait probablement pas mon cas. Même que d’ici, la tête sous un tas de roches et de débris, personne ne m’entendrait réellement. Ce renard était un réel petit emmerdeur, et je l’avais appris à mes dépends. Mignon, il avait fait mine d’être pris au piège dans cet amas de débris, et moi, naïve dragonne, m’étais improvisée salvatrice des animaux en détresse. Lorsque je m’étais faufilée dans l’entrée pour le moins exiguëe, mon nouvel ami avait pris peur et avait fuit par une faille, non loin. Malin. C’était sans doute par-là qu’il était arrivé, à bien y réfléchir. Grâce aux biscuits salés que j’avais mangé chez Tatie Lucie, depuis la dernière fête des orages, mon popotin s’était galbé et les entraînements assidus d’Icare n’y avait visiblement rien changé. Ou bien j’avais surestimé la taille de la fissure de pierres. Qui donc était à moitié coincée dans une souricière grosse comme le derrière de Syd? Eh bien oui, c’était moi.

Dès l’aube, les astres semblaient s’être alignés pour faire de ma journée une joyeuse petite traînée de péripéties rocambolesques. De repos, j’avais dû me coltiner l'entraînement matinale avec Karl comme équipier, et il me faisait payer sévèrement ma légère altercation avec Henry, quelques jours plus tôt. Il m’avait méchamment éclaté la lippe dans une clé de bras, c’est pour dire! Toute poussiéreuse, je tentais de m'éclipser sans attirer les regards, comme souvent, lorsqu’on m’avait dit que je devais ramasser ce qui pouvait traîner aux frontières du territoire. Fringues, armes, morts. Je comprenais qu’il s’agissait certainement d’une tâche de la plus haute importance et que mes vêtements déjà poussiéreux faisaient de moi une candidate idéale, mais j’avais espéré rejoindre les Jaguars et fuir l’humeur dragonne qui planait par ici. Résignée, j’avais arboré mon éternel sourire et m’étais mise à la tâche sans piper mot. À quoi bon, de toutes façons.

Puis je l’avais vu, pauvre petite bête rousse, terrorisée au fond de son nid de débris. Lorsque j’étais gamine, j’avais développé un talent certain pour éviter les emmerdes et me faufiler partout. J’avais visiblement un peu trop grandi, depuis. Désormais, je sentais les pierres érafler mon ventre au moindre mouvement. Je ne pouvais ni avancer, ni reculer. Il ne restait plus qu’à espérer que le tas de pierres ne s’effondre pas.

Michael est une enflure. Une bonne grosse enflure paresseuse et inutile. En tant que Fine Lame, il est bon, tu ne dis pas mais franchement c'est le pire Lieutenant qui a un jour foulé les terres dragonnes. Il ne vaut pas un clou quand il s'agit de pédagogie. Il ne s'en cache pas d'ailleurs et ne fait généralement aucun effort. Enfin si il en fait un quand il se présente à l'entraînement qu'il doit donné. Pas comme aujourd'hui. Encore un entraînement annulé. Ce ne sera que le quoi ? Quatrième ? Cinquième de la saison ? Cette attitude commence sérieusement à te prendre la tête. Vous êtes des Spécialistes, les troupes d'élite du clan, pas un groupe de conversations. Quand l'information est tombé, tu as juste décollé. Tu savais que si tu restais dans le coin tu allais faire un massacre. Dans les faits tu devrais être contente d'avoir un break après la traque mais tu détestes ces breaks forcés annoncé à la dernière minute. Heureusement le territoire est un peu vide aujourd'hui alors tu peux arpenter la zone tranquillement. Ceux qui ne s'entraînent pas ont été envoyés pour nettoyer les dégâts de la traque. Par chance on n'a pas demandé aux traqueurs d'aller ramasser leur bordel, ça aurait été un peu fort. Vu qu'ils traînent là depuis un moment les corps doivent être dans un piteux état et tu es bien contente de ne pas avoir à les fréquenter. Tu n'as jamais été une grande fan des corps en décomposition. La pourriture, les insectes,... Beurk. Tu as un frisson de dégoût rien que d'y penser. Tu décides donc assez sagement de ne pas trop t'éloigner. En restant aux frontières, tu seras tranquille. Cette petite balade te vide un peu la tête. Depuis la mort de Chad, tu as trouvé une sorte d’échappatoire en te promenant hors de tes zones habituelles. Ça te donne la sensation de changer d'air et t'activer en marchant calme tes ardeurs. Seulement, il faut toujours que quelque chose vienne tout gâcher. Généralement cette gêne prends la forme d'un autre être humain. « Sortez-moi d’ici! » La voix est faible. Étouffée même. Pourtant elle te pousse à t'arrêter et à te poser des questions parce que tu ne vois personne dans le coin. Au bout de quelques secondes tu te dis que ça doit être ton imagination qui te joue des tours mais c'est alors que tu les vois. Il y a deux jambes qui émergent de nulle part. Tu t'avances avec méfiance en te disant qu'il s'agit peut-être d'un Libre qui se meurt depuis la traque mais ça te semble un peu long. Et puis en te rapprochant tu te rend compte que les jambes sont connectées à une paire de fesses qui ne peuvent définitivement pas appartenir à un Libre. Du bout de ta botte, tu secoues un peu la jambe de ce quelqu'un qui est enfoncé jusqu'à la taille dans une sorte de petite cavité rocheuse tu supposes. « Euh... Besoin d'aide ? » Tu ne sais même pas exactement pourquoi tu proposes. Après tout ce ne sont pas tes affaires. Ou peut-être bien que si. Vous êtes encore sur le territoire nord ici alors c'est sûrement un Dragon. Et les affaires des Dragons sont les tiennes. Enfin ce genre d'affaire. Tu n'aimes pas te mêler des bordels internes mais ici ça a l'air d'être une situation particulière. Donc partant du principe que c'est un Dragon, tu vas lui filer un coup de main. Ou plutôt une Dragonne. Tu n'es pas une experte en reconnaissance fessière mais ça ne peut vraiment pas être un mec. « Enfin j'dis ça mais ça va être bien casse-tête de t'aider. » Mais comment est-ce qu'elle a été se fourrer là ? Tu poserais bien la question mais là tout de suite tu cherches une solution pour la récupérer sans la tuer. Pourquoi est-ce toujours si compliqué de garder les gens vivant ?

J'avais tenté en vain de rapatrier mes mains à ma taille afin de dénicher une prise ou une faille, voire même creuser. C'était peine perdue, la cavité où je m'étais fourrée était trop étroite pour me permettre de tel mouvement. Peut-être qu'en me tortillant comme un ver, au risque de m'entailler le bide au sang, je pourrais me glisser sur le dos et qu'il serait plus simple pour tenter de pousser les pierres? Je me doutais que la résilience des roches ne me permettait qu’un mince pourcentage de réussite, mais l’effort en valait probablement la peine. J'en étais environ à ses réflexions lorsqu'on buta contre ma jambe. Il me fallu bien quelques secondes pour comprendre que c’était réel et que j’étais particulièrement chanceuse qu’on passe aussi rapidement près de moi. J'ignorais si ce bottage de jambe était volontaire ou non, mais dans le doute, j'agitais un peu plus les gambettes, question de montrer que non seulement j'étais en vie, mais que j’étais encore assez énergique pour qu’il soit rentable de me sauver les miches. ..Façon de parler.

- Besoin d'aide ?

- Eh! Oui! Carrément! S’il te plaît!

La voix était belle et bien féminine, et je me surpris à en être soulagée. Les gens qui me haïssaient le plus, dans le territoire, était des mâles. Aussi, j’étais mortifiée à l’idée qu’Icare puisse me trouver ainsi. J’aurais sans doute préféré croupir dans ma hutte de pierres que de devoir m’expliquer à la fine-lame... Vraiment, une touche de féminité dans la voix me charmait de plus en plus, et un regain d’espoir m’emplissait le coeur. Assurément, j'allais jurer allégeance à ma généreuse héroïne, je lui en devais bien une! J’allais pouvoir bientôt reprendre ma traque aux cadavres et, qui sait, peut-être même me dénicher une dague pas trop émoussée sur l’un d’eux.

- Enfin j'dis ça mais ça va être bien casse-tête de t'aider.

La situation était donc si critique, même vue de l’extérieur? Je fermai les yeux un temps tout en m’aplatissant contre la terre chaude. Lui demander de creuser pour déloger les pierres du bas risquait surtout de faire s’écrouler le tas de débris sur ma tête, et je me doutais que ma survie pouvait potentiellement être compromise. Je me tortillais encore un peu, difficilement, tout en réfléchissant à une alternative. Elle pourrait toujours tirer un grand coup; être écorchée au sang ne me faisait pas si peur, si on m’assurait la liberté. Par contre, quelque chose me coinçait vraiment les hanches.

- Tu pourrais tenter de virer mon fourreau, pour voir?

La fille frétille comme un ver de terre. Pas de doute elle est bien vivante et donc pleinement apte à accepter ton aide. Inutile de penser au fait qu'elle ne répondra pas et que tu pourras filer en douce. Pas que tu en ais vraiment envie. Ce qui est perturbant. D'un autre côté si jamais tu devais te retrouver dans cette situation - ce qui ne sera jamais le cas - tu aimerais qu'on te file un coup de main pour en sortir. Vu sa position compromettante, elle avait quand même eu du bol. Elle aurait pu tomber sur bien pire que toi. Sur quelqu'un qui aurait voulu en profiter. « Eh! Oui! Carrément! S’il te plaît! » Au moins elle est polie. Et motivée à sortir ce qui se comprends. Juste parce qu'elle a dit s'il te plaît tu vas faire un effort pour la sortir de là sans dommages. Cette fois tu t'accroupis à côté de la prison de pierres pour observer tout ça de plus près. Tu ne t'y connais pas vraiment en matière d'éboulement mais tu es presque sûre que si tu dégages les roches qui bloquent directement sa taille, ça va mal se finir. Peut-être en attaquant par au-dessus ? « Tu pourrais tenter de virer mon fourreau, pour voir? » « C'est dans mes possibilités. » Tu repères le fourreau. Ouais ça devrait le faire. Rapidement tu t'attaques à l'attache avant d'extraire le petit contenant. Ce n'était pas grand chose mais ça occuperait toujours un peu moins l'espace. « T'es ok si j'essaye de tirer un coup ? » Enfin tu demandes mais tu es déjà debout et tu saisis ses chevilles fermement avant de tirer. L'action ne dure pas bien longtemps et elle bouge à peine parce que tu as oublié un léger détail qui te fait lâcher ses jambes. « Bordel de merde ! » C'est juste ce qu'il fallait pour réveiller la douleur au niveau de ton poignet. C'est pas bien malin d'oublier tes blessures mais c'est tout toi. « Bon on va tenter autre chose. Ferme les yeux et la bouche ça risque de devenir poussiéreux. » Ton poing gauche est amoché mais au moins tu peux t'en servir plus ou moins normalement. Tu forces aussi un peu sur la main droite pour te débarrasser plus vite des débris du dessus. « Et sinon tu t'es retrouvé coincée là-dedans comment ? » Oui la question te turlupine. Et oui tu comprends vite que c'est stupide de demander alors qu'elle est censée garder la bouche fermée. « Oublie, question stupide. » Tu soupires un instant avant de continuer le déblaiement. Heureusement c'est pas trop le boxon et jusqu'ici aucune partie de jenga ne s'annonce. « Oh et t'a qu'à bouger les jambes si jamais y a un pépin ou que tu veux que je fasse un break. » Genre si jamais elle est en train de mourir en s'étouffant. On avait tendance à gigoter quand on s'étouffait, franchement ça allait bien t'aider à savoir exactement ce qui n'allait pas et à agir en conséquence. Il n'y a pas à dire tu es au top en matière de secourisme.

Elle m’avait tripoté la taille mais ça ne m’avait pas vraiment perturbé. Je sentais ses doigts s’agiter un tantinet à mes hanches puis un poids de moins sur les reins. Comme une libération, mon fourreau se dégagea de ma taille et me permit d’obtenir quelques centimètres de liberté supplémentaire. Je commençais lentement à voir si je pouvais désormais m'extirper de mon piège à dragons sans trop de casse lorsque je l’ai sentie empoigner mes chevilles. Au moins, elle ne perdait pas de temps et n’allait pas dans la dentelle en situation critique! Je serrai là mâchoire et rentrai mon bide comme jamais, à la limite de l’implosion. Je n’ai pas trop compris, mais ma sauveuse me lâcha aussi soudainement qu’elle m’avait empoignée sans que j’ai bougé d’un poil.

- Bordel de merde!

Dans le doute, fais le mort, que me disait toujours Tatie Lucie. J’ai donc croisé mes bras sur ma tête et j'ai cessé toute activité corporelle dans la crainte que mon scaphandre de pierres s’éboule. Une seconde, deux secondes. Rien.

- Bon on va tenter autre chose. Ferme les yeux et la bouche ça risque de devenir poussiéreux.

J'obéissais donc. C’était elle qui savait ce qui était le mieux pour moi, pour le moment du moins. Je voyais pas trop ma situation, d’ici. Lorsqu’elle me questionna, je commençais tout naturellement à lui répondre un “Ben j’avais cru voir …” avant qu’elle nous ramène à l’ordre toutes les deux. J'étouffais un rire, de peine et misère, qui fit bientôt écho dans ma hutte improvisée. ...Elle avait pas dit “Samuel dit”! Purée, ce qui allait être le plus difficile n’allait pas de devoir me sortir de là mais plutôt de me faire taire pendant plus de dix minutes consécutives.

Mine de rien, même dans cette position et les yeux clos, je sentais les rayons du soleil chauffer bientôt ma tête blonde et mes paupières fermées. Elle virait les pierres du dessus, alors, et ma libération ne devait tarder. Outre le fait que j’étais coincée comme un rat, je commençais à me sentir plutôt bien. Étendue, en confiance, chauffée au soleil. Il y avait pire, non?

- J'peux ouvrir, maintenant, dis?

« Ben j’avais cru voir… » Tu continues à soulever les débris mais quand même son début d'explication te rend curieuse. Elle avait cru voir quoi ? Qu'est-ce qui pouvait bien pousser quelqu'un à rentrer dans un trou ? Peut-être une arme ? Tu t'arrêtes cinq secondes en te demandant si elle ne va pas te mettre cette supposée arme sous la gorge dès que tu auras retiré les décombres mais non c'est stupide donc tu reprends. Ta curiosité est pourtant toujours là et tu comptes bien reposer ta question dès qu'elle pourra l'ouvrir sans manger trois tonnes de poussière. Sa situation n'a en tout cas pas l'air de la traumatiser beaucoup vu comment elle rigole. Drôle d'animal que voilà. Les débris commencent à former un joli tas à côté de toi et progressivement tu découvres un peu la partie haute de la fille coincée. Elle est blonde. Super indication. « J'peux ouvrir, maintenant, dis? » Elle parle alors que tu déplaces le dernier gros morceau ce qui fait tomber pleins de petits gravats sur elle. Ça n'avait été qu'une histoire de secondes. « Ben maintenant oui. » Au moins elle a la tête à l'air maintenant. Il ne reste plus qu'à s'occuper tranquillement des pierres qui la ceinturent. Tu y vas nettement moins délicatement ce coup-ci pour terminer tout ça en vitesse. Dès qu'elle est suffisamment dégagée, tu te redresses en essuyant ton visage légèrement en sueur. C'était du sport tout ça. En passant la main sur ta joue, tu grimaces parce que le côté de ta mâchoire est toujours un peu enflée depuis la traque et que l'hématome est douloureux. « Je suppose que tu es délivrée maintenant. » En gigotant un peu elle pourra probablement se sortir de là. Tu attends donc, pas bien sûre de ce que tu dois faire maintenant.

Heureusement, j’avais fermé les yeux tout le long de l’opération. Même si je crachotais un peu de poussière en toussant, façon chat et boule de poils, au moins, je n’allais pas avoir les yeux explosés par le gravier. Tout en racontant mon histoire, je m’extirpais en me tortillant des derniers débris. Ici et là, une roche ou un morceau de bois retombait, m'écorchant tantôt la taille, tantôt la main. Ce n’était rien de bien méchant, et je ne m’en rendais pratiquement pas compte. Quelques petites roches fines s’étaient d’ailleurs incrustées sur la paume de mes mains et sous mes ongles. Il faudrait que je les vire, après avoir remercié la fille.

- Voilà, donc j’avais cru voir un renard. J’étais franchement perplexe parce qu’il y en a pas en ville. Il venait peut-être de la forêt du Nord..? Bref. Je me suis dit que je pouvais pas le laisser coincé ici, et en me faufilant pour le déloger, il s’est tiré comme un pigeon par une fissure, plus loin. Et moi, j’étais fait comme un rat.

En terminant mon récit, je retirais un peu de poussière de mes pantalons, surtout les genoux qui étaient désormais couvert de terre. Du revers de la main -elle était sale, elle aussi-, je repoussais une mèche de miel de devant mes yeux pour laisser place à mon héroïne du jour. J’ai hoqueté en sursautant. Purée! C’était Violette. La Reine des Fines-Lames. Le membre le plus dangereux des Dragons, probablement, d’un point de vue purement martial. Nous savions tous que d’un point de vue sociologique, c’était probablement Orion. Médusée, je la regardais avec une légère appréhension venue d’on ne sait où. Probablement de mon plan de survie interne. Était-elle du genre à tabasser à mort les membres pour ne pas avoir sauvé un renard en fugue? Malgré moi, et malgré la situation, peut-être parce que j’étais un peu nerveuse, tout à coup, je me suis mise à sourire. Sourire franchement. Je remarquais tout juste qu’elle était mal en point. Elle avait dû morfler sa race dans la traque aux libres, avec les autres spécialistes et bourrins. Et elle avait malgré tout pris sur elle de me sauver les miches.

- Ça doit te sembler stupide comme raison, surtout ces jours-ci et après ce que t’as dû endurer. Genre je bute des libres pour mon clan, et ils se prennent les fesses dans un tas de roches pour sauver un putois anémique. Mais merci… Franchement, merci.

J’étais mal. J’aurais aimé lui sortir une explication rocambolesque et périlleuse avec des coups de feu et un enfant sauvé des flammes. J’avais seulement cette explication un peu bouseuse et surréaliste. J’avais aussi oublié l’essentiel :

- Oh… Je suis Louise.

La blonde sort de son trou et elle est indéniablement vivante. Miracle. Elle crachote comme un vieux malade et se trouve être passablement dégueulasse mais elle respire et c'est bien le principal. Et elle parle. Ô qu'est-ce qu'elle parle. « Voilà, donc j’avais cru voir un renard. J’étais franchement perplexe parce qu’il y en a pas en ville. Il venait peut-être de la forêt du Nord..? Bref. Je me suis dit que je pouvais pas le laisser coincé ici, et en me faufilant pour le déloger, il s’est tiré comme un pigeon par une fissure, plus loin. Et moi, j’étais fait comme un rat. » D'un côté c'est une bonne chose car comme ça elle t'explique la raison de sa présence sous ces décombres. Ta curiosité en est satisfaite alors que tu l'écoutes avec attention. Tu l'observes aussi un peu et tu ne peux pas t'empêcher de te dire que cette tête te dit un truc. Tu as l'impression de l'avoir déjà vu traîner autour de l'équipe. Mais revenons en à l'histoire. Tout ça c'était la faute d'un renard. Un renard ? Tu ne savais même pas qu'il y avait des renards dans ce coin-ci. Tu rigoles légèrement à son jeu de mots parce qu'elle a un meilleur humour que Jayden donc ça mérite des encouragements. C'est fou, il y a des gens rigolos chez les Dragons. Elle termine de s’épousseter et quand elle se redresse tu peux voir le moment exact où elle te reconnait. Uhuh. Tu apprécies qu'on te reconnaisse et tu trouves toujours amusant de découvrir les réactions des gens car elles sont toutes différentes. La sienne par contre te chipote un peu. D'un coup elle n'est plus aussi légère. Il y a de l'appréhension dans son regard. Sérieusement tu ne lui fous quand même pas la trouille juste pas que tu es en face d'elle ? C'est à la fois flatteur et dérangeant. Et puis elle sourit de façon lumineuse comme peu de gens peuvent le faire et tu commences à te poser des questions sur sa santé mentale. « Ça doit te sembler stupide comme raison, surtout ces jours-ci et après ce que t’as dû endurer. Genre je bute des libres pour mon clan, et ils se prennent les fesses dans un tas de roches pour sauver un putois anémique. Mais merci… Franchement, merci. » Tu hausses juste les épaules. En fait tu n'as pas trop pensé à faire cette comparaison. « J'allais pas laisser une fière sauveteuse de putois anémique coincée là. Surtout une Dragonne. T'aurais pas été une Dragonne, je t'aurais peut-être tué après mais bon. » Tu rigoles bien sûr. Ce serait vachement contreproductif. Mais tu gardes ton sérieux durant quelques solides secondes avant de laisser un léger sourire étirer tes lèvres. « Oh… Je suis Louise. » Louise ? Non ce nom ne te dit toujours rien. Par contre ce visage... Tu vas pour te présenter aussi - chose totalement inutile - quand tu as une illumination. Tu claques tes deux mains ensemble - très mauvaise idée, ça fait mal mais tu as plus ou moins l'habitude - et tu finis par pointer un doigt vers elle. « Tu serais pas la fille qui traîne parfois avec Icare ? » C'est la seule explication que tu vois. Il te semble que tu as déjà vu Icare au côté d'une blonde de son style. Distraitement tu souffles sur ta main comme si ça allait faire un peu partir la douleur puis tu détaches la gourde à ta ceinture et tu la tends à la dénommée Louise. « Tu devrais boire un coup. Pour la poussière et tout. »

Les lippes ouvertes, le museau en l’air, les pattes bien ancrées au sol et l’oeil brillant, j’admirais la Reine. Ses mots me semblaient surréalistes, pendant un moment, avant que je n’explose d’un rire joyeux. Elle se fichait de moi, assurément! On ne tuait pas les gens aussi simplement, sans réelles raisons, si ce n’est qu’ils se trouvaient sur le territoire du Nord, tout de même. Après la quantité de virées que je faisais dans les autres clans, jusqu’à m'immiscer dans les recoins les plus précieux des Jaguars, sans jamais n’avoir croisé l’ombre d’un ennui, ça aurait été cruel et injuste que les Dragons se montrent aussi sadiques. Ils étaient violents, brutaux et avaient vraisemblablement un problème de maîtrise de la colère, mais ils agissaient uniquement devant une motivation. Je les voyais mal, même Samuel, tuer gratuitement un pauvre clampin en errance. Malgré l’air sérieux de Violette, mon rire léger ne diminuait pas. Son sourire, qu’elle tardait à m’offrir, me calma enfin, quelques longues secondes plus tard. Ma petite angoisse de rester coincée sous les débris fut expulsée par ce rire, et j’avais l’impression soudaine et délicieuse d’être plus légère. Il s’en était fallu de peu pour que je manque sa grimace diffuse, lorsqu’elle claqua les mains ensemble. Visiblement, mon héroïne était un peu amochée. Pas des masses, mais assez pour réagir à un geste assez banal. C’était d’autant plus gentil et désintéressé de me sortir de mon trou, alors qu’elle peinait à se servir convenablement de ses deux mains. J’allais le lui dire avant de sursauter au nom d’Icare. J’étais surprise qu’elle me reconnaisse, déjà : j’avais longtemps été très peu présente sur le territoire, et même si je redoublais d’effort lors de mes entraînements avec le grand blond, c’était rarement à la vue des autres. J’étais d’autant plus étonnée qu’elle me reconnaisse via Icare. Ça voulait dire que je traînais beaucoup avec lui et que les autres s’en étaient aperçus. Franchement, sur le moment, je ne savais pas quoi dire, et le fait qu’elle m’offre de l’eau m’arracha un sourire de soulagement. J’ai bu goulûment son eau, le temps de me remettre.

- Oui… C’est moi, la fille qui traîne avec Icare.

C’était irrationnel. Violette ne me demandait rien de plus, mais, soudainement, j’ai senti le besoin de me justifier et de lui expliquer pourquoi je traînais autour de lui. Il n’appartenait à personne, ni à moi, ni à elle, mais je trouvais que de lui fournir quelques explications éloignerait toutes ambiguïtés, comme si une simple amitié entre un vrai combattant et moi était improbable. Je ne désirais pas non plus lui nuire au sein de son groupuscule de tas de muscles bourrins parce qu'une petite gardienne lui tournait autour.

- Il m'entraîne depuis quelques saisons. Enfin… J’espère bien qu’il m'entraîne et que ce n’est pas un moyen ingénieux de me frapper sans que je me plaigne! ..Je blague, je blague. On est copain.

J’étais nerveuse, à nouveau. Ce n’était pas d’avoir été prisonnière d’un tas de roches, ni la crainte de me faire ruer de coups par une spécialiste. Violette m’avait simplement impressionnée par sa gentillesse désintéressée. Je ne m’y étais pas attendue et sa bienveillance m’avait frappé en pleine figure. Maintenant, je ne voulais pas lui déplaire, pour rien au monde. Elle me plaisait.

L'éclat de rire de la blonde te fait un peu sursauter. D'accord. Elle a le rire facile et toi tu n'es vraiment pas habituée à déclencher ce genre de réaction chez les autres. Dans le fond de ton esprit, tu balances "hé toc" à ce crétin de Jayden et ses vannes pourries qui ne font marrer qu'Icare. Et encore juste parce qu'il se force pour ne pas le vexer. Mettre Icare sur le tapis perturba d'ailleurs la dénommée Louise. Comme si ça lui avait cloué le bec. Il y avait officiellement quelque chose là-dessous mais tu n'étais pas assez curieuse pour creuser. Ce ne sont pas tes affaires après tout. Même si tu dois quand même avouer que ça t'intrigue. Tu t'es toujours un peu demandé pourquoi ton compagnon d'équipe s'occupait d'une chair à pâtée, c'était une perte de temps à tes yeux mais pas aux siens. Enfin Icare n'était pas la personne que tu comprenais le plus facilement. Il était une sorte d'ovni. Un gentil ovni. « Oui… C’est moi, la fille qui traîne avec Icare. » Et soudain c'était comme ouvrir la boîte de Pandore. La blonde s'était révélée bavarde mais cette fois elle se lança dans une justification que tu n'avais pas attendue et qui te fit hausser un sourcil, un peu paumée. « Il m'entraîne depuis quelques saisons. Enfin… J’espère bien qu’il m'entraîne et que ce n’est pas un moyen ingénieux de me frapper sans que je me plaigne! ..Je blague, je blague. On est copain. » Tu ne sais foutrement pas ce que tu dois dire. Ni si tu dois dire quelque chose. Enfin si il faudrait que tu parles ou que tu partes mais tu ne peux pas juste rester plantée là sans réagir après tout ça. Carrément maladroite tu te lances dans une définition de la relation que tu as avec Icare, il te semble que le minimum soit de lui rendre l'information qu'elle t'a donné. « On est copains aussi. Enfin j'crois. On est pas ennemis en tout cas. Il n'essaye pas de me piquer ma place du coup ça passe mieux. » C'est formulé d'une façon bizarre mais dans ta tête ça semble plutôt logique. Bien sûr il y a des raisons qui font que tu apprécies Icare mais tu as la chance de les apprécier parce que justement il ne te menace pas donc c'est important de parler de ça en premier lieu. « Et donc tu as des plans pour ce renard ? Rien en tête ou il sera une écharpe avant la fin de cette journée ? » Un changement de sujet pour ne pas trop s'enfoncer dans le sentimental, il n'y avait que ça de vrai.

Comment pouvait-on être pote avec un type uniquement parce qu’il ne nous faisait pas d’ombre? Je savais que ça existait, bien sûr, c’était pourquoi je fuguais loin du Nord huit jours sur dix, mais voire une spécialiste l’affirmer avec naturelle était surréaliste. Je ne savais pas quoi lui dire tant j’avais pitié d’elle et d’Icare, quand Violette s’est prononcée sur le sujet. Pas une pitié avec des yeux de chat piteux, ni la pitié méprisante. Non. J’étais juste fichtrement triste de leur réalité qui se trouvait à des kilomètres de la mienne. Je comprenais désormais parfaitement pourquoi Icare était aussi coincé du slip en public et dans les entraînements. Non seulement il savait que de telles personnes existaient, mais il en était étroitement entouré. C’était sans doute pourquoi elle était sympathique avec moi : une chaire à pâtée, ça ne fait pas d’ombre. Cela dit, elle m’avait sortie de mon trou sans savoir qui j’étais, ça prouvait bien qu’elle n’était pas si draconienne que ça, après tout. Je faisais bien de l’apprécier, mais j’allais désormais l’apprécier de loin, question de ne jamais devenir un problème pour elle. Violette à ensuite fait diversion en remettant ce pauvre renard sur le tapis, et l’idée de voir cette bête en doudoune de saison polaire m’arracha un sourire. Secrètement, je lui étais reconnaissante d’éloigner la conversation du sujet sensible qu’était Icare.

- Je lui ai fait peur, il doit être loin. Mon but était qu’il soit pas coincé là, après tout, et qu’il puisse fuir en cas de besoin. ...Et si je recommence pas à bosser, je risque d’avoir des ennuis et ça sera moi qui finira en moufle.

Je lui tendais sa gourde que j’avais vidé de moitié, environ, puis je reposais le fourreau de ma dague contre mes reins. D’un côté, je me disais que si j’allais à la recherche d’un renard avec Violette, je ne risquais rien et je pourrais même me pavaner devant Henry, avec un peu de chance. D’un autre côté, je me doutais que tôt ou tard, on me reprocherait de ne pas avoir effectué ma tâche, spécialiste à mes côtés ou pas. J’étais tiraillée, mais entre deux feus, il était toujours plus intelligent de bien paraître devant les gradés et spécialistes.

- Je t’en dois une, cela dit, j’en suis bien consciente. Merci encore, Violette.

J’étais aussi consciente que je lui devais une obéissance aveugle, aux doigts et à l’oeil, par le simple fait de son grade et de son importance dans le clan. Mais un service de plus, volontaire en plus, ça se refusait difficilement. Pendant une seconde, j’allais lui offrir un conseil médical pour sa mâchoire enflée, mais ma qualification dans le domaine de la médecine étant exceptionnellement basse… Je me suis contentée d’ouvrir la bouche, hésitante, puis de la fermer pour de bon.

Un dernier sourire pour la route et je m’apprêtais à déguerpir façon renard roux. À défaut d’avoir trouvé une arme dans les ruines, j’avais perçu une parcelle d’humanité chez une spécialiste. Il s’agissait d’un trésor bien plus estimable, à mes yeux.

Merde encore une fois elle sourit. Il y a un truc qui cloche avec cette fille. Tu ne fais pas sourire les gens d'habitude. Tu n'as même pas vraiment de sens de l'humour à part le typique à la Fine Lame. Bon c'est déjà mieux que Jayden mais ça c'est vraiment pas difficile quand on voit son niveau. « Je lui ai fait peur, il doit être loin. Mon but était qu’il soit pas coincé là, après tout, et qu’il puisse fuir en cas de besoin. ...Et si je recommence pas à bosser, je risque d’avoir des ennuis et ça sera moi qui finira en moufle. » « Mouais je suis pas sûre que tu ferais des moufles très convaincantes. » Avec la peau on pouvait faire des trucs mais elle n'avait vraiment pas assez de pelage pour tenir chaud durant la Saison Polaire. Sa réflexion te fait dire que vous avez quand même des modes de vie vachement différents. Oui les Spécialistes ont beaucoup plus d'heures d'entraînement mais au moins ils sont peinards par rapport aux tâches. Tu ne te souviens même pas de la dernière fois que tu as dû vraiment travailler. Il y a bien le ramassage des grêlons mais ça tout le monde s'y colle. Tu récupères ta gourde que tu accroches à ton ceinturon pendant qu'elle s'équipe à nouveau. « Je t’en dois une, cela dit, j’en suis bien consciente. Merci encore, Violette. » « Nan t'en fait pas pour ça. » Tu ne vas pas lui dire que c'était agréable de discuter simplement avec elle. Et puis ce n'était pas vraiment une grosse affaire de la sortir de son trou. Malgré tout sa réaction est plaisante parce qu'elle a de l'honneur et qu'elle te semble naturelle. Tu peux aussi comprendre son besoin de rendre la pareille. Donc tu reviens un peu en arrière avec un sourire léger au coin des lèvres. « M'enfin si jamais j'ai un soucis animalier je saurais à qui m'adresser. » Elle sourit aussi et semble vraiment sur le départ cette fois alors tu lui fais un léger signe de tête en guise d'au revoir et tu pars dans l'autre sens. Tu ne sais pas trop ce que tu vas faire pour le temps qu'il te reste mais cette rencontre te donne envie de continuer à errer dans le périmètre. On ne sait jamais ce que l'après-midi peut encore t'apporter.