Naveen n'était pas un romantique. Mais il se souvenait de leur rencontre. Celle qu'ils devaient à Charlotte. Une Charlotte particulièrement agitée, trop occupée, débordée par les plaintes et les suppliques, dans ce temps où elle se forgeait encore : ses premières années d'infirmière. L'incident avait eu en journée. Charlotte s'occupait des membres qui en avaient besoin, il y en avait eu beaucoup ce jour-là. Et James, elle, rattrapait son sommeil, profitant de son jour de repos après son service aux frontières. Et lui, il faisait partie des blessés. Une plaie sanguinolente qu'il devait à l'un de ses collègues trop distrait. Mais Charlotte s'occupait déjà des membres. Elle avait soufflé, s'était retroussé les manches mais avait fini par quitter la pièce en trombe. Ses pas avaient résonné dans les escaliers. Et Naveen l'avait entendu crier. Et puis, elle était redescendue, lui demandant de patienter. Il avait patienté. Cinq minutes, dix minutes avant qu'elle n'apparaisse sur le pas de la porte. Non, il n'y avait pas eu de coup de foudre, d'amour immédiat. Juste la certitude qu'il allait passer un très mauvais moment vu la mine affligée qu'elle arborait. James était énervée. Devoir se lever pour aider sa sœur, passait encore...mais pour aider un soumis ? Elle avait soufflé, râlé et il avait passé un très mauvais moment. James n'y avait pas été de mains mortes. Elle avait désinfecté sa plaie à l'arrache, sans le prévenir, avait recousu sa chair sans aucun tact et tout ça, le visage fermé. Alors il avait voulu détendre l'atmosphère, juste un peu. « Le prochaine fois, j'essayerai de mourir sur le chemin », avait-il lancé alors qu'elle s'apprêtait à le panser. Elle avait relevé la tête, l'avait observé pour la première fois depuis qu'elle était entrée dans la pièce...et il lui avait offert un sourire auquel elle n'avait pas répondu. Et elle avait repris son travail. « La prochaine fois, je te tuerai moi-même », il avait souri, ajoutant. « Je tâcherai de m'en souvenir. Merci quand même. » Et puis, il s'était relevé et s'en était allé comme il était arrivé, sans se plaindre et en silence.

Naveen n'était pas un romantique mais il se souvenait de leur rencontre alors qu'encore une fois, James s'afférait à rattraper les dégâts qu'il s'était fait à la main en construisant une nouvelle étagère pour la famille de James. La blonde n'avait pas changé, elle manquait toujours autant de douceur mais il s'en fichait parce que c'était comme ça qu'il avait appris à l'aimer.

Leur premier baiser a le goût de sang. Il est brutal, sans tendresse. Les lèvres s'écrasent avec violence. C'est à celui qui gagnera la bataille. Aucun des deux ne souhaitent perdre du terrain. Les regards sont fiévreux, brûlants. Quand ils se séparent enfin, il a cet air mi-moqueur, mi-satisfait qui lui donne envie, à elle, de le tuer. Elle ne le tue pas. Elle se contente de lui mettre un poing dans la figure. Un coup qui laissera des traces. Comme sa lèvre qu'elle avait mordue jusqu'au sang. Il s'agissait d'une marque, ça, il le devinait. Pas à l'attention des autres vipères mais à son attention à lui. Un souvenir pour lui rappeler qu'à présent, il était à elle. A personne d'autres. Et Naveen n'était pas idiot au point de tenter le diable. Ça ne lui viendrait même pas à l'esprit. Elles paraissaient toutes si fades en comparaison à James. Qu'elle ne se méprenne pas, elle n'avait pas été la seule à marquer son territoire. La marque sur son cou n'avait rien d'accidentel. Pensée, réfléchie, il avait choisi sa place en toute connaissance de cause. Elle était à lui tout autant qu'il était à elle. « Je te hais », avait-elle affirmé avant de lui tourner le dos et de s'en aller. Pas suicidaire, il avait attendu qu'elle soit assez loin pour lui répondre. « Non, tu m'aimes ! » Mais elle ne s'était pas retournée et il avait attendu qu'elle disparaisse de son champ de vision pour rentrer chez lui. 

Des baisers, il y en avait eu d'autres au fil des années, toujours uniques, toujours différents. Si Naveen était certain d'une chose, c'était qu'il ne se lasserait jamais du goût des lèvres de sa vipère. Et il ne pouvait qu'espérer que les sentiments soient réciproques.