Un coup de feu. Ça avait suffi à Anton pour qu’il ouvre subitement les yeux avant de littéralement sauter de sa couchette. C’était quoi ce délire ? Une nouvelle attaque ? Mais comment ce serait possible ? Le chef et dernier des rebelles était mort pendant la soirée. Et il était quasiment certains qu’il n’y avait aucun autre membre de son groupe en liberté. Malgré tout, il se força au calme et prit le temps de respirer plusieurs grands coups. Il n’y avait sûrement aucune raison de paniquer, au final… Cela dit, il était parfaitement conscient qu’il ne pourrait pas se rendormir pour autant. Alors à défaut de pouvoir faire autrement, il commença à s’habiller en prenant soin de n’oublier aucun vêtement… Il prit son couteau par précaution et sortit de chez lui. Seulement, il n'avait pas réellement penser à regarder le temps qu'il mettait pour faire tout ça... Quand il se retrouva à l'extérieur, le territoire était étrangement calme. Il se balada pendant quelques temps à la recherche d'une âme qui vive. Finalement, il parvint à rencontrer un Ancien à qui il s'empressa de demander où les autres étaient passés. Ce dernier lui expliqua qu'il y avait eu un rassemblement avec Noâ et Roxanne et qu'ils s'étaient tous dirigés vers le lac. Là, Anton comprit qu'il était en retard et qu'il était nécessaire qu'il se dépêche s'il voulait éviter les ennuis. Déjà qu'il avait raté le départ...

Anton se dirigea donc vers le point suivant en bonne foulée. Il prit la décision de ne se rater qu'à l'instant où il sera arrivé. Ce fut compliqué de tenir un rythme soutenu mais il y parvint malgré tout. Au final, il arriva donc difficilement jusqu’au lac où Anton fut soulagé de pouvoir enfin prendre une pause. Mais son contentement fut de courte durée lorsqu’il entendit les paroles de la Seconde. Trente secondes de pause ? Seulement ? Pour enchaîner avec des étirements ? Il savait qu’elle était particulièrement dure mais sur le coup, il trouvait qu’elle exagérait un petit peu. Pourtant, il ne dit rien, aucun commentaire. Ça ne servirait à rien, de toute façon. Il préférait économiser sa salive et profiter du ridicule temps de pause qu’elle leur accordait… Plutôt que de gaspiller son temps en paroles qu’elle ne prendrait certainement pas en compte. Il avait déjà tenté de contredire Roxanne en donnant son propre opinion… Il s’en souvenait encore et ne tenait pas vraiment à renouveler l’expérience. A la place, il se tenait donc prêt à subir ces étirements dès qu’elle en donnerait l’ordre… Histoire de pouvoir se rattraper comme il le pouvait.

J’avais bien compris qu’il ne s’agissait pas de traîner, pas maintenant, alors je faisais de mon mieux. Je ne voulais pas faire honte à Roxanne, ni même à Noâ et plus encore, je voulais démontrer que je pouvais me débrouiller au même titre que n’importe quel autre Membre et que je pouvais être forte malgré l’image que je véhiculais. Alors, je faisais mon possible et j’avançais étape par étape. Il n’était pas question que je casse toutes mes chances non plus juste pour épater la galerie. J’étais suffisamment humble pour ça, de toute manière. Quand Roxanne vint à ma hauteur, je ne me crispai pas. Je la connaissais suffisamment maintenant pour savoir qu’elle n’allait pas me faire un coup traître et qu’elle n’allait pas me casser non plus. Elle était drôlement respectueuse et elle affichait même un côté maternel durant les entraînements et en-dehors quand on se croisait, sans trop en faire. Tout ça pour dire que notre relation était saine et même encourageante, ce qui n’était pas le cas de toutes les associations de Mentor et élève ou Formateur et élève. « D’accord. Merci pour le conseil. » Je ne m’étais pas éternisée sur le dialogue parce qu’elle partait déjà après une petite tape dans le dos pour me booster davantage. Me sentir soutenue avait eu l’effet escompté et déjà j’accélérais mais progressivement toujours. Je n’avais que faire des éventuels regards – s’il y en avait – suite à cette petite parenthèse parce que je n’avais de compte à rendre à personne. Et de toute manière, je doutais que ceux qui m’entouraient aient à redire. Ils étaient matures.

Finalement, j’arrivai au lac parmi la bonne première moitié, j’avais même rattrapé une bonne place dans la course. Je me posai, pliant mes genoux et respirant un bon coup. Trente secondes, c’était peu mais je tenais bon. Quand une gourde se tendit au-dessus de ma tête, je me relevai pour atteindre celle-ci, hésitant un instant avant de profiter de la générosité du Membre. « Merci. » Je n’étais pas timide mais ces derniers temps avec les cauchemars qui revenaient trop souvent et le malaise général, je ne m’étais pas encore autorisée à être juste comme ça, la vraie Alice dans le fond. Les trente secondes étaient sans doute déjà passé alors je lui rendis rapidement sa gourde après avoir pris le temps de boire une gorgée. « Je te revaudrai ça. » Je lui avais tout de même signalé ce détail. Après tout, durant un tel entraînement, ça aurait pu devenir de l’individuel ne serait-ce que pour sa propre survie.

Le monde tournait comme un manège. Bien que, soyons clair, je ne savais absolument pas ce qu'était un manège. Par contre, je savais que mon environnement tournait. Oh ça... Ça, je le savais de source sûre. Aussi sûre que le fait que mon père pouvait mettre enceinte une femme en lui jetant à peine un regard charmeur. J'étais allongée dans la caillasse avec une demi-jambe curieusement froide et humide, en plus de ça. Comme si ce n'était pas déjà assez difficile de gérer le tourbillonnement autour de moi, j'allais aussi devoir comprendre et solutionner le problème de ce mollet étrangement mouillé. Probablement encore une idée de Esfir. C'était bien le genre de cette peste de gaspiller des ressources pour faire une farce. Ou alors elle m'avait transporté au bord du lac durant mon sommeil. Lac. J'étais au bord du lac. Sous le ciel matinal. Et ça parlait au loin. Les images de la veille me revinrent en une série de flashs qui me donnèrent affreusement mal à la tête. Hier, nous avions fait la fête. Il y avait eu beaucoup d'alcool, je me souvenais d'un moment passé sur les genoux d'un gars à jouer au carte en équipe, d'une course sur les épaules d'un autre et puis... Plus rien. Peut-être que c'était à ce moment là que je m'étais retrouvé là. Non, ça aurait été trop beau. Il devait y avoir un pendant plus sombre à cette histoire.

- Merde... Mais qu'est-ce que j'ai foutu ?

Assurément pas quelque chose d'intelligent. Je tentais péniblement de me redresser et un effort immense me conduit à m'appuyer sur mes coudes. Ce n'était pas encore la verticale, mais au moins j'avais agrandis mon champ de vision. Ce qui me permettait désormais de comprendre le pourquoi de cette jambe qui s'était retrouvée magiquement dans la flotte. J'avais le pied complètement immergé, le reste de l'humidité était remontée par effet de capillarité. Et c'est là que je le remarquais : l'attroupement de l'autre côté du lac. Le pire, c'était que ça avait l'air d'être officiel. Je traînais mon pied hors de l'eau et entamais la seconde manœuvre à savoir m'asseoir. Quelque chose me disait que j'avais intérêt à rejoindre les autres même si mon corps n'adhérait pas du tout à cette idée. D'ailleurs, il me le fit grossièrement remarquer dès l'instant où j'arrivais à passer de assise à accroupie. En plus de perdre l'équilibre, mon estomac ne trouva rien de mieux que de réclamer une vidange express à ce moment. A genoux, je rendis tout l'alcool qui m'empoisonnait, un moment particulièrement glamour et agréable. Vraiment, le rêve total.

Avec une haleine de chacal, un chuintement régulier venant de ma chaussure droite et une démarche chancelante, j'arrivais finalement à proximité du groupe.

- Qu'est-ce que... DE L'EAU !

Mon cerveau avait littéralement sauté d'une idée à l'autre pendant que je parlais. Terminée la vague curiosité, il n'y avait plus que la vision obsédante de cette gourde. Sans une once de dignité, je m'agenouillais - ou plutôt me laissais tomber lourdement - devant Giovanni et Alice en joignant les mains.

- Ayez pitié, donnez moi de l'eau.

Anton était essoufflé. Il avait couru comme un malade pour éviter de trop se faire remarquer et pour pouvoir se fondre parmi la masse qui était arrivée avant lui. Et maintenant, comme il avait parfaitement conscience que chaque seconde de repos accordé par les Chefs ne pouvaient que lui faire du bien, il faisait tout pour en profiter. Il respirait à fond pour ensuite expirer. Et plusieurs fois, il répétait ce manège dans l’espoir de se sentir un peu mieux après une telle course. Ce qui n’avait pas réellement l’effet qui était escompté même si ça le soulageait un peu, malgré tout. Anton espérait encore pouvoir profiter de cette pause en toute impunité. Mais hélas, c’était sans compter sur le regard aiguisé d’Asha qui n’avait pas tardé à le repérer, bien malheureusement. Le Jaguar poussa un long soupire en entendant la pique de sa co-équipière. Il n’était pas vraiment d’humeur à supporter ces choses-là. Mais il fit quand même l’effort de prendre sur lui pour lui répondre. « La ferme… Oui, c’est maintenant que je me ramène parce que j’ai pris un peu trop de temps pour me préparer, c’est tout. Et je t’interdis de rigoler… ! » Elle allait rigoler. Il en était quasiment certain. Parce que c’était typiquement le genre de paroles qui la faisait rire. Depuis le temps, il commençait à sacrément bien la connaître… Mais cette fois-ci, elle pouvait bien dire ce qu’elle voulait, il s’en moquait complètement. Et puis à l’heure actuelle, il n’avait pas particulièrement envie de chercher le conflit. Même avec Asha avec qui il aime pourtant faire quelques joutes verbales. Là, il préférait largement économiser ses forces pour la suite des événements. Mais comme si ça ne suffisait pas, Ella, qui se trouvait évidemment en compagnie d’Asha vint également mettre son grain de sel. De façon moins agressive cela dit, il est très important de le souligner. Au contraire, elle, Anton savait clairement que c’était de la taquinerie sans arrière-pensée. Alors il se laissa aller quelques secondes et sourit à sa remarque. « J’aime être impeccable même si c’est pour finir par suer, Ella. Tu le sais bien, voyons ! Je ne me voyais pas faire cet entraînement improvisé sans être un minimum présentable. » Heureusement qu’elle était présente. Peu importe les circonstances, Anton aimait être en présence d’Ella même si, la plupart du temps (comme maintenant, par exemple), ça voulait aussi dire qu’il devait se coltiner Asha à ses côtés. Mais enfin soit ! Elles avaient décidé de se moquer de lui ? Que Roxanne annonce la prochaine étape. Anton allait leur montrer ce qu’il pouvait réellement faire !

Je n’avais pas vu venir Oksana. Elle avait l’air particulièrement pitoyable. Elle s’était mise à genoux devant nous pour nous supplier lui donner à boire. Malheureusement, je n’avais pas de gourde. Je me tournai donc en direction de Giovanni. Mais… La pause n’avait vraiment pas duré longtemps, comme l’avait annoncé Roxanne. Je n’avais pas eu l’occasion d’avoir la réaction de Giovanni mais qu’à cela ne tienne, je n’avais plus de temps devant moi. Je retirai rapidement mes chaussures qui me gêneraient plus qu’autre chose et je plongeai dans l’eau après avoir attaché soigneusement mes cheveux qui étaient très longs et avoir fait quelques étirements au passage. Je n’avais pas envie de me péter quoi que ce soit. J’avais insisté sur les jambes que je me fatiguais souvent beaucoup plus vite que les bras et les poignets. Je regardais une dernière fois Oksana, l’invitant alors à se rafraîchir un bon coup dans l’eau du lac. C’était toujours mieux que rien. J’avais de la peine pour elle mais je ne pouvais pas franchement en faire plus. J’insistai suffisamment pour qu’elle me rejoigne, sachant qu’il ne fallait pas traîner avec la Seconde. Pas que je l’avais déjà vue s’énerver parce que ce n’était jamais le cas avec moi, mais elle avait déjà un air plus que sévère en voyant que la plupart mettaient un temps fou à exécuter le simple ordre. Alors, tant qu’elle était encore proche de moi, j’insistais sans parler trop fort. « Un conseil, ne traîne pas. En plus, ça te fera du bien. » Je souriais mais pas franchement, plutôt un sourire inquiet. J’avais d’ailleurs souligné l’importance de ce conseil avec des gestes pressés. Désormais, j’étais là, plantée dans l’eau, dans le célèbre lac du clan à attendre les nouvelles consignes de Roxanne. Et comme je le pensais, au moins, ça rafraîchissait. On avait au moins ça pour nous consoler, surtout ceux qui avaient la gueule de bois.

La petite course a été...intéressante. Pas de soucis de vertiges et de nausées pour toi mais tu arrives essoufflé au lac. La nuit a été trop courte. En plus ton estomac commence déjà à se faire remarquer par quelques grondements. Tu profites avec bonheur de la courte pause avant de t'échauffer comme l'a ordonné Roxanne, un peu à l'écart. Tu te méfies toujours des autres et de leur capacité à tenir l'alcool. Une fois bien étiré, tu te débarrasses de ton débardeur, de tes chaussures et de ton pantalon. Autant garder un maximum de vêtements secs pour le retour ou ça risque de cailler pas mal. Tu ne vas ensuite pas dans la dentelle pour aller dans l'eau. Tu rentres rapidement jusqu'à pouvoir plonger. Pas de petit coup d'eau sur la nuque, tu n'es pas une chochotte. L'eau n'est même pas si froide. Aria et Giovanni te rejoignent et suite aux consignes, vous décidez d'en terminer le plus vite possible. Ce sera la première ligne pour vous. Quand le top départ est donné, tu t'élances avec le groupe de tête et tu nages rapidement. C'est encore le mieux pour éviter les coups de bras des autres. Nager ne t'a jamais posé réellement de problème. Les muscles de ton dos et de tes bras sont bien développés et te permettent de progresser efficacement. Tu es un peu moins doué en apnée par contre mais la distance n'est pas très conséquente et tu ne te sens pas si fatigué quand tu termines les longueurs imposées. Ça semble logique, ce n'est que le début. Roxanne ne va pas vous tuer tout de suite. Après par contre...

Une fois que tu as fini, tu retournes vers le bord pour ne pas gêner le prochain groupe. Tu y es toujours quand Oksana termine enfin, pantoise. « Meurs pas tout de suite hein. » Tu lui proposes un bras auquel s'accrocher si elle ne se sent pas de couler sous la fatigue. « Longue nuit ? » Quand tu étais parti, elle avait déjà bu pas mal et elle n'avait pas dû s'arrêter par la suite. Et pourtant tu avais quitté la fête tôt pour prendre soin d'Alessandra.

Si Oksana était arrivée en bien piteux état, ça ne semblait pas s’arranger. Il faut dire qu’elle en avait tant attendu de Giovanni qui venait tout juste de finir sa gourde sous ses yeux. Il ne fallait pas être spécialement empathique pour comprendre ce que ça devait faire de se faire rouler de la sorte. Giovanni n’était pas méchant mais ce n’était pas le plus altruiste non plus et son air grincheux presque omniprésent n’améliorait pas sa réputation. Si je ne connaissais pas si bien la Membre, je pouvais aisément comprendre qu’il soit dans son collimateur au moins pour le reste de l’entraînement. De mon côté, si je pouvais l’aider, je le faisais. D’où les signes et le conseil donné quand j’étais déjà moi-même dans l’eau. Il valait mieux qu’elle ne boive pas cette eau, même si elle n’était pas toxique, contrairement à celle du centre neutre, mais ça pouvait au moins rafraîchir son corps. Heureusement, elle n’était pas dépourvue de répartie et sa remarque m’arracha un sourire, un véritable sourire, spontané et amusé. Elle ajoutait une petite touche de fraîcheur et ce n’était pas pour me déplaire. Entre Roxanne qui prenait la peine de me soutenir et celle-ci qui soulignait une véritable évidence, la séance me semblait tout de suite moins pénible. « Il faudrait peut-être leur faire cette suggestion pour un prochain rassemblement. » C’était ironique. Je savais bien que ce n’était pas une solution. Mais je jouais le jeu. Sans perdre l’objectif de l’entraînement.

Former des groupes ? Si j’avais cherché à m’y retrouver et à rejoindre un groupe, la cohue générale m’avait poussée bien malgré moi dans un groupe. Je me retrouvais dans le tout premier groupe. Ce n’était pas si mal parce que de toute manière, c’était mon idée dès le départ mais j’aurais aimé pouvoir l’intégrer… calmement ? Sans avoir cinquante mille coups de coude. Je n’eus pas franchement le temps de souffler parce que les autres étaient déjà partis comme des flèches. Ils étaient partis rapidement, oui, mais certains avaient déjà dû faire des pauses ou en tout cas ralentir leur rythme de course. De mon côté, j’y avais été le plus soigneusement possible, y allant suffisamment vite pour ne pas être complètement en arrière mais en prenant la peine de veiller à avoir un rythme respiratoire constant pour tenir sur la longueur. Mes bras n’étaient pas toujours endurants, pas comme ceux de Kahlan ou de Giovanni mais ma respiration aidait franchement. Ce qui n’était pas négligeable. J’étais certaine qu’il n’y avait pas que la force musculaire dans tout ça. C’est ce même contrôle qui me permit de faire la différence quand ce fut le stade de l’apnée. Je n’étais pas arrivée parmi les premiers mais je n’étais pas la dernière du lot de ce groupe et si mes bras et mes jambes me tiraient, j’étais en un seul morceau et je reprenais sans trop de problème ma respiration. « Je vois que je peux oublier le verre en ton nom. » Je lançai cela à l’intention d’Oksana quand je l’avais rejoint, y retrouvant également Kahlan qui l’aidait à se relever. Je m’appuyais contre le bord du lac, pour reposer un peu mes jambes et mes bras pendant ce temps-là.