Au fil des ans, j’avais fini par diviser mes amis en deux groupes distincts. Dans le premier groupe, il y avait ceux avec qui je me sentais confortable de parler de Tatie Lucie. Le deuxième, tout bêtement, comprenait les autres. Tous les autres. Je crois que le fait de me sentir en confiance, suffisamment, pour me livrer sur cette entité mythique de ma famille, laissait entendre que mes confidents étaient des amis très proches et intimes. Ils n’étaient pas particulièrement nombreux, cela dit. Ce premier groupe comprenait des personnes telles qu’Icare ou April. C’était ceux qui m’auraient éventuellement aidé à aider un libre en vadrouille. C’était ceux qui me connaissaient par cœur, à qui je racontais mes petits soucis de la vie quotidienne, mais aussi les gros drames de mon existence. Ils m’écoutaient sans se plaindre, l’oreille attentive, sur mon incompréhension totale des guerres claniques, sur mes rêves bizarres de moutons, mais aussi sur mes incertitudes quant à Samuel. Ils n’allaient pas me trahir, j’avais parfaitement confiance en eux. Le deuxième groupe comprenait les autres : Anton ou Raphaëlle, par exemple. Nous nous appréciions, nous nous amusions beaucoup, nous avions toujours un mot gentil ou un regard tendre, mais il était très rares que nous nous confions réellement sur nos vies ou les épanchements de nos cœurs. C’était avec les gens de ce groupe que je pouvais plus facilement oublier mes problèmes. Je ne préférais pas leur en parler. Il n’y avait qu’avec Raphaëlle que je m’étais laissée prendre. Je lui avais parlé, sans trop m’en rendre compte, de l’Homme. De l’Unique. The only one. Et elle avait deviné toute seule qu’il s’agissait d’Icare. Purée.

Toujours est-il qu’avec les récents événements, la tension était palpable partout, chez les Dragons. Jusqu’à la citerne, je ressentais la pagaille qu’avait provoquée la rébellion, chez les quatre clans. Nous parlions à demi-mot de ce que nous avions vécu et traversé, avec les nôtres, sans réellement se dévoiler complètement. Je crois que nous voulions surtout éviter un climat difficile, dans notre petit oasis qu’était devenue la citerne, au fil des tours de garde. Nous nous entendions bien, tous les quatre, et je soupçonnais chacun d’entre nous de ne pas vouloir envenimer les choses. Même Tom et Samantha ne s’étaient pas lancés de regards assassins. Jackson s’est sans doute rendu compte que je balisais grave, avec la guerre froide entre les clans qui nous cantonnaient chacun à nos frontières, parce qu’à un moment, il est venu me dire que je pouvais probablement revenir chez les Jaguars, pour retrouver mes amis. Que, de toute façon, la majorité d’entre eux ne me considéraient pas comme un Dragon. Ça tombait plutôt bien : J’avais un réel besoin de retrouver mes amis et de m’amuser un bon coup, sans me préoccuper de la situation.

Les mains dans les poches de ma veste, j’avais traversé la frontière que je connaissais par cœur. Une sentinelle m’avait salué d’un sourire, sans doute aussi ravie que moi de voir les vieilles habitudes revenir à la charge. Après… Après, je ne savais pas où aller. Ma seule certitude était que je désirais relâcher la pression qui me crispait les épaules depuis cinq jours. Il était sans doute trop tard, désormais, pour suivre Syd ou Jackson. La nuit tombait peu à peu. J’ai donc laissé mes pas me guider dans l’obscurité, un bon moment, dans leur quartier, jusqu’aux abords de leur petit lac, tout au Sud. Je m’y suis accroupie pour y tremper ma mimine, les sourcils froncés. Les vieilles histoires de Tatie Lucie me revenaient en tête, quant aux lacs de la ville. Elle m’avait longtemps assuré qu’aucune vie n’était possible dans le lac du centre, mais que celui des jaguars avait permis à une créature d’évoluer, au fil des ans, pour devenir aussi abjecte que sournoise. Affamée. Perfide.

C’était faux, bien sur. Peut-être. Peut-être pas. Enfin… Je n’étais pas tout à fait certaine, mais je croyais bien avoir vu l’eau s’agiter, du bout des yeux, au centre du lac. Difficile de déterminer l’affaire avec exactitude, vu la fine bruine qui couvrait l’étendu d’eau. Par simple précaution, je retirais ma patte de l’eau avec diligence.

Sait-on jamais.

Ma' told me never to be afraid of monsters, cuz' they are not the worst..

Une séries de cris retenti autour d'elle lorsqu'elle se leva sèchement pour les faire sursauter. Une vague de protestation s'ensuivit qui lui arracha un rire clair. La jeune femme épousseta la poussière du sol sur lequel elle s'était assise et offrit aux enfants un sourire moqueur avant de lever les mains en l'air en signe de reddition.

- Si c'est comme ça, je ne vous raconte plus rien. Je vous ai donner ce que vous m'aviez demandé.

La Jaguar fit mine de bouder et croisa les bras, bientôt déséquilibré légèrement par les quelques gamins qui venaient de se jeter sur ses jambes en protestant de nouveau. Un autre rire lui échappa alors qu'elle posait doucement sa main sur la tête blonde d'un des jeunes qui s'accrochait à elle. Plusieurs supplications fusèrent alors que Raphaëlle tentait de se dégager.

- D'accord, d'accord. Je reviens à la condition que vous soyez sages et que vous écoutiez sagement. Si j'apprends que vous avez fait trop de bêtises, oubliez moi !

De nouveau les petites voix fusèrent pour argumenter sur la nécessité qu'elle vienne les voir. Après les avoir assuré de revenir, la slave s'éloigna un léger sourire sur ses lèvres. Ce que les gosses ne savaient pas c'était que c'était elle qui avait besoin de venir les voir. Ils lui rappelaient que le monde n'était pas composé que de douleur et de perte. Qu'il y avait encore de la joie et des rires. De l'innocence et de la pureté. Et ça.. La Ravitailleuse ne l'aurait pas abandonné pour rien au monde.

Les mains dans les poches de ses pantalons rouge sanguin, la jeune femme plutôt dans un up d'énergie préféra faire le tour du lac qui se trouvait sur son territoire au lieu de se retrouver seule dans sa chambre à ruminer ses souvenirs et imaginer ses plus noirs démons prendre forme dans l'obscurité de la pièce.

Tout valait mieux que ça de toute façon.

Toujours prise dans ses penser qu'elle tentait de garder fixes sur des sujets qu'elle considérait comme sain, Raph' mit du temps à apercevoir la silhouette accroupie au sol proche de l'eau. Quand elle la remarqua, elle s'arrêta et la regarda curieuse. Pourquoi cette personne mettait sa main avec autant de prudence dans l'eau ? Ce n'était certainement pas avec cette chaleur de malade que le lac risquait d'être glacé. La brunette reprit son chemin pour découvrir graduellement à la faveur de la lune qu'il s'agissait de nul autre que sa compagne Louise.

Beaucoup de choses s'expliquait ainsi. Raphaëlle appréciait énormément la Dragonne qui tenait plus du félin que du reptile. Cette dernière devait sans doute avoir une raison farfelues...

- Euh... Loulou... Tu sais que l'eau va pas te manger hein ?

Lâcha-t-elle simplement en la voyant retirer sa main avec précaution. Finalement, elle avait bien fait de ne pas rentrer de suite. Être avec la blondinette avait toujours des avantages. Dont celui de la faire rire et de lui permettre d'être aussi fofolle qu'elle l'était.

J’avais sursauté lorsque Raphaëlle m’avait interpellée. Accroupie devant les eaux, le regard posé fixement sur les ondes du lac, je rêvassais à l’ancienne histoire de Tatie Lucie concernant ce fameux monstre. Il me semblait évident qu’elle racontait ce bobard uniquement pour faire son petit effet sur la gamine un peu crédule que j’étais… Enfin, pas si évident, puisque l’histoire me semblait passablement plausible, même maintenant. Les jaguars étaient réputés pour leur humanité, leur gentillesse et leur tolérance. Donc lorsqu’elle me racontait qu’ils avaient laissé un monstre évoluer à sa guise au fond du lac, je me disais “pourquoi pas?”. Je voyais mal Syd ou April exterminer un pauvre lézard géant, une abominable victime de la nature. Puis après, le fait que cette bestiole ait grandi et grossi et doive se dénicher des proies plus intéressantes que des algues, comme des nageurs étourdis, par exemple, me semblait parfaitement logique. J’étais donc là, à ne voir que mon reflet dans ce lac placide. Pas de lézard, pas de poisson mutant. Du moins, pour le moment. J’avais cru voir l’eau se troubler un peu plus loin, jusqu’à ce que Raphaëlle surgisse dans mon dos.

- Euh... Loulou... Tu sais que l'eau va pas te manger hein ? 

- Purée, t’es un ninja ou quoi? 

Je gardais précieusement ma main humide contre mon coeur qui tambourinait encore, hilare, les yeux en croissants de lune. Je ne comprenais pas très bien les femmes qui s’offusquaient d’être prises par surprise par leurs amants ou leurs amis. L’inattention était drôle. La montée d’adrénaline et l’angoisse engendrées devaient être relâchées, et rire était définitivement la seule option qui m’aille. Je riais donc, aussi amusée que stupéfaite, à détailler ma petite teigne d’amie jaguar. Il me fallu de longues secondes pour reprendre mon souffle et mon calme et lui montrer, d’un geste vague, l’étendu d’eau derrière nous.

- Ce n’est pas l’eau qui va me manger… C’est le monstre qu’il y a dedans, tu sais bien.  

Après cette révélation, toujours souriante mais un peu plus songeuse, je pivotais une fois encore vers le lac. Ce satané crustacé - ou poisson, ou reptile, allez savoir - allait peut-être profiter de la distraction de Raphaëlle pour nous attaquer à revers. Je guettais, en vain, comme si la simple lourdeur de mon regard allait le faire surgir d’entre les eaux, pinces claquantes et regard fauve.

- On m’a raconté qu’il y a un monstre qui avait évolué dans ce lac, et qu’il mangeait parfois les nageurs. Bon, c’est un Dragon qui m’a partagé l’histoire, ça ne doit pas être très objectif, comme légende. Mais…  ...T’as rien remarqué, juste comme ça, par hasard? 

Évidemment, je n’avais même pas songé à lui demander comment elle allait, ni si les affaires de la rébellion l’avaient retourné, elle aussi. Mais notre amitié n’était pas portée sur les confidences, nous étions des compagnes de soleil et de fou-rires, rien de plus, mais rien de moins non plus. Cela dit, j’étais fichtrement heureuse de la retrouver, et je souriais désormais à m’en creuser les fossettes. Tout redevenait comme avant. Tout pouvait encore redevenir comme avant.

La stupéfaction et l'incrédulité furent sans doute ce qui transparu en premier sur les traits de la féline devant la réaction de la blondinette. Puis elle avait simplement éclater de rire avec son amie, mais loin de se calmer, son rire ne fit que s’amplifier devant la fameuse théorie de la Dragonne.

Un monstre dans le lac ? Raphaëlle n'avait jamais rien entendu de plus stupide et irréaliste depuis un moment. La slave ignorait bien d'où pouvait lui venir une telle idée, mais nul doute que celui ou celle qui avait raconter avait bien réussis à faire son petit effet. Louise était trop naïve. C'était souvent rafraîchissant dans un sens. La ravitailleuse avait du mal à trouver son air et des larmes de joie perlait au coin de ses yeux. Tant de sincérité pour une histoire si peu crédible. Et la conviction avec laquelle la blonde en parlait... Avaient eu le mérite de casser son stress. Ce fût seulement une fois que ses épaules eurent terminées de sauter que la membre pu répondre.

- Loulou... Déjà t'as vu la taille que j'ai ? Tu crois vraiment que je peux faire du bruit même en y mettant toute ma volonté et mon poids ? C'est à toi d'être plus alerte ma vieille ! Ensuite... Mais peux-tu me dire où tu as entendu une telle connerie ? Je veux dire un monstre dans notre lac ? Tu y penses un peu ? J'ai nagée dedans plusieurs fois, je l'ai même déjà fait avec des blessures fraîches qui devaient sans doute sentir le sang et pourtant, rien, nada, niet ! Tu crois vraiment que mon clan laisserait une bête grandir sur leur territoire ? Ah... Non ne répond pas.

Son visage étiré dans un sourire narquois en coin et elle s'approcha près de sa compagne avec visiblement une idée derrière la tête. Après avoir croisé ses mains dans son dos, Raph' prit un air innocent et enfantin.

- T'as peur Louise ? Si tu ne me crois pas vas faire un tour dans l'eau avec la chaleur qu'il y a... Aucunes chances que ça ne puisse pas te faire de bien...

Mais incapable de résister, la Jaguar avait bien en tête de la pousser dans l'eau, mais n'étant pas certaine que Lou' ne verrait pas l'attaque venir, une légère moue de déception lui tordit les lèvres. Mieux valait s'y prendre autrement. L'idée germa dans sa tête comme une fleur sous engrais magique. La féline commença à retirer ses vêtement, sans aucune pudeur en sifflotant.

- Si tu me crois pas je vais y aller moi te prouver qu'il y a rien dans ce lac, sinon de l'eau !

L'air passa sur sa peau désormais nue et un frisson remonta dans sa colonne. Après un sourire immense, Raph' sauta dans l'eau en tâchant d'éclabousser la blonde de son mieux.

J’avais franchement rigolé en voyant la réaction de Raphaëlle, c’est vrai. Même si plusieurs auraient pu prendre la mouche devant ses éclats de rire, je peinais personnellement à garder un air buté et mon hilarité faisait écho au sien. C’était évident que cette histoire, sitôt verbalisée, devenait ridicule. Mais j’étais convaincue de sa véridicité tout de même! Il ne me restait plus qu’un large sourire lorsqu’elle se calma enfin.

- Bah, la furtivité, c’est pas une question de petitesse, tu sauras.  

J’aurais pu argumenter sur mes facultés à repérer les curieux et le fait que je sois plutôt douée, même, dans mes tâches, mais je sentais que j’aurais l’air de celle qui cherche à se justifier, et que Raphaëlle n’en avait probablement rien à faire. Elle avait sans doute parlé en l’air, comme souvent, sans se soucier de piquer ou non la fierté dragonne qui sommeillait en moi, sous pas mal de couches de bonne humeur. Je haussais donc les épaules, sans en ajouter davantage. À l’entendre traiter ma petite légende de connerie, là encore, j’avais adopté un air détaché, même si au fond de moi, je me sentais vaguement comme une dinde dardée par une broche en attente de son méchoui pour la fête des Orages. La belle affaire.

- Peut-être qu’il veut s’en prendre seulement aux autochtones et laisse les locaux en paix, hein! T’en sais quoi, au final? Et puis, si ça se trouve, c’est qu’un poisson borgne qui mordille les orteils des vilaines ninjas.  

Même si elle ne voulait pas m’entendre, je m’étais prononcée, les sourcils froncés, mi-amusée, mi-sérieuse. À la voir s’approcher, j’avais glissé mes pattes sur la terre sableuse pour maintenir mon appui. Je sentais l’arnaque et le plouf final, et je n’avais aucune envie de crapahuter dans les eaux troubles en compagnie du poisson monstrueux du lac. Visiblement, Raphaëlle avait appréhendé ma propre méfiance et me souriait étrangement. Trop, pour être honnête.

- Si tu me crois pas je vais y aller moi te prouver qu'il y a rien dans ce lac, sinon de l'eau ! 

- Mais je t’ai dit qu’il attaquait peut-être pas les Jaguars..!  

Un élan de panique me tenaillait de l’intérieur. Vraiment, elle allait plonger nue comme un ver dans le lac des Jaguars, malgré mes mises en garde, seulement pour jouer au plus malin? Les lippes ouvertes, incrédule, je la regardais m’asperger d’eau sans rien y trouver d’amusant, pour une rare fois. Bien au contraire, je fouillais le lac des yeux. C’était évident qu’il allait surgir d’un remous pour la bouffer. Je me voyais déjà expliquer la situation à ses proches. Puis je l’ai vu. Enfin, je crois l’avoir vu. C’était peut-être que l’éclat lunaire sur les eaux agitées du lac, mais il y avait quelque chose! Purée!

Je n’avais pas pris deux minutes pour virer ma veste, mes pompes et mon short, que déjà je sautais à l’eau à mon tour, dague au poing, en criant un : “ATTENTION! DERRIÈRE TOI!” bien paniqué. C’était malin. À ce rythme, nous allions finir la nuit autour d’une cheminée, enrhumées et trempées.

Elles auraient facilement pu être plus proches. Elles auraient aisément être particulièrement et étroitement liées. Mais ce n'était pas ce dont elles avaient besoin, ni une, ni l'autre. Non, elles avaient besoin de quelqu'un avec qui il était possible d'agir en enfants et ce malgré les derniers évènements, au moins l'espace d'un instant afin d'avoir le sentiment que rien de négatif ne pouvait se produire. Afin de croire que tout était une vaste blague et que personne n'était réellement mort.

Elles avaient un besoin mutuel d'espoir.

Si bien que cette distraction, cette connerie sur un monstre dans le lac, lui permettait d'oublier que des gens avaient crevé sous ses yeux. Encore. Et que c'était trop régulier.

L'eau caressait sa peau légèrement à chaque mouvements et Raphaëlle avala quelques gorgée tellement le fou rire la prit devant le visage paniqué de Louise qui sautait à l'eau visiblement pour... La sauver ? Mais la sauver de quoi exactement ? C'était bien là la question.

- Mais Loulou ! Y'a rien je te dis !

La slave nagea agilement vers la blonde et s'arrêta non loin d'elle en se retenant de glousser de nouveau.

- Y'a rien qui vit dans ce lac, y'a pas de quoi se nourrir et crois moi si y'avait eu des disparitions, on s'en serait rendu compte. La seule chose dangereuse avec ce lac, c'est de ne pas savoir nager et de se noyer. Outre ça, l'eau est très bonne et la largeur du lac assez plaisante pour nager et s'entrainer.

La brunette se laissa flotter sur le dos en nageant doucement, très peu dérangée par sa nudité ainsi exposée. Il y avait tellement de chose pire que ça...

- Qu'est-ce que ça va prendre pour te convaincre ?

C'est que la blondinette avait la tête dure et le mythe ancré !

À chaque vague que je créais, des promesses de monstres marins revenaient avec les remous. Je sentais les algues entourer mes orteils mais aucun poisson, en effet, ne me les grignotait. Il me fallu bien plus que les éclats de rire de Raphaëlle et ses explications pour me rassurer, cela dit. Je sursautais pratiquement à chaque mouvement suspect dans les eaux et pivotais en entendant le moindre glougloutement aquatique. En prenant mon courage à deux mains, je plongeai dans les eaux sombres du lac. Vu l’obscurité du soir et la pollution probable, je ne voyais rien du tout. Pas même l’ombre inquiétante d’un monstre. Plusieurs minutes plus tard, la lame toujours entre mes doigts, je devais me rendre à l’évidence : Tatie Lucie s'était payée ma tète durant de longues années. Et nager en slip et en débardeur, c’était sexy que dans les histoires de coin du feu. J’avais l’impression que mon fond de culotte m’aspirait vers le fond du lac et que ma poitrine voulait se faire la belle loin du tissu imbibé.

- T’as de la chance pour cette fois, Raphaëlle..

Je gratifiais la Jaguar d’un clin d’œil et d’un sourire de bonne perdante. À quoi bon faire la tête pour une broutille pareille, et surtout de faire payer ma partenaire de méfait? Je la laissais à ses entraînements et ses brasses pour revenir vers la berge. J’étais une enfant du feu et du soleil, étroitement liée à sa chaleur. L’eau, ce n’était pas vraiment mon truc, même si je savais nager. Je préférais sentir la terre gorgée de la chaleur solaire sous mes pieds plutôt que l’eau m’apesanter. À quelques mètres du lac, j'essorai mes cheveux à deux mains tout en fouillant le sol des yeux. Les vêtements ne devaient pas être très loin, je ne m’étais pratiquement pas éloignée dans ma traque au monstre marin.

- Raphaëlle, dis…?

Question de ne pas la déranger pour rien, je couvais une fois encore les environs d’un regard perçant, celui-là même qui me permettrait de dénicher les libres trop curieux non loin de la citerne. Pas de fringue.

- Le monstre, il nous a peut-être pas bouffé, mais il a piqué nos vêtements.

C’était assurément un coup de Syd. Ou même d’April!

Si Louise était une enfant du soleil et de la lumière, Raphaëlle avait tout de l'enfant d'orage et de tempête, l'eau et l'obscurité avait longtemps été son quotidien. Et les choses n'avaient pas vraiment changées à vrai dire. Si son amie ne semblait pas trop à l'aise, la brunette elle, nageait avec facilité et plaisir.

Elle s'approcha en quelques brasses de la blondinette dont la voix semblait inquiète.

- T'as vue quelque chose ?

Alors que la féline se tirait de l'eau avec une certaine grâce, exposant la peau nue de son ventre à la lumière de la lune, la réponse vint. Banale et plutôt sans intérêt, du moins pour elle.

- T'es certaine que t'as regardée partout ?

En simple sous-vêtements, la chaleur ne semblait plus l'accablée autant, mais c'était plutôt moche de se faire piquer ses fringues de la sorte.... La slave essora ses cheveux en fouillant à son tour du regard l'espace où aurait du se trouver ses vêtements. Merde. Raph' termina la tresse qu'elle avait commencer et posa ses mains sur ses hanches. Même leur souliers avaient disparut ce qui s’avérait être encore plus désagréable. Avec la rébellion beaucoup de débris trainaient, invisibles sous la poussière du sol.

- Ça, ça doit être un coup d'une emmerdeuse, parce que Syd il se serait déjà trahi en se marrant derrière un arbre.

Plusieurs noms défilèrent dans sa tête, mais n'ayant aucunes certitudes, la ravitailleuse fit la moue en secouant la tête.

-Je crois que je vais devoir aller te chercher des vêtements, je dois en avoir quelques uns dans lesquels tu devrais rentrer. Viens.

Marcher en petite culotte et soutient-gorge ne semblait pas l'affecter outre mesure, la Jaguar bailla même en prenant tout de même les ruelles les plus sombres pour ne pas exposer son amie. Si elle était tout à fait à l'aise avec son corps, ce n'était pas toujours le cas de tout le monde. Si la brune avait demandé son avis à la Dragonne ? Pas vraiment... Mais avaient-elles d'autres options ? Pas vraiment non plus.

- Je vais lui faire regretter à cet abruti qui à piquer nos fringues, je l'aimais moi ce jeans merde !

Certains se souciait de se faire voir en dessous, d'autre de la perte de leur pantalons préférés.... Visiblement, ce n'était pas tout le monde qui avait les mêmes priorité. Si Raphaëlle se sentait en danger ainsi désarmée ? Non. Elle pouvait toujours grimper au toit ou courir. Elle connaissait le coin et ce n'était pas parce qu'elle batifolait dans les eaux qu'elle n'en était pas pour le moins tout à fait apte à se défendre de façon très respectable.

Mes cheveux détrempés s’enroulaient sur moi comme une seconde peau. Je sentais ma peau réagir à la fraicheur de la nuit et bientôt une chaire de poulette m’enveloppait totalement. Je croisais les bras sur ma poitrine par excès de pudicité, alors que Raphaëlle gambadait  sous la lune sans gêne aucune. J’avais bien regardé, très bien, même, et je me doutais que sa question soit une simple rhétorique. C’était Raphaëlle, après tout.

- Il a peut-être suivi des cours en discrétion, c’est pas impossible…

Je parlais distraitement, peu convaincue de la propre possibilité du fait que j’avançais. Mon regard balayait plutôt l’endroit, à la recherche d’une tierce silhouette. Non pas que je cherchais le voleur de fringues, celui-là, c’était un gros malin qui voulait se marrer, probablement, mais j’étais un peu inquiète qu’on tombe sur moi avec une dague à la main, sans le moindre fourreau pour la cacher. M’accepter à bras ouvert l’arme rangée était une chose, mais voir une Dragonne, la nuit tombée, armée d’une dague, c’était tout de suite une autre histoire. Je dérogeais enfin de ma posture de sainte-ni-touche pour celle d’Ella-couche-toi-là, exhibant mes atouts les meilleurs frigorifiés par la nuit. Après tout, il valait probablement mieux qu’on discute de ma poitrine demain matin plutôt que de mon arme. Je la dissimulais de mon mieux le long de mon avant-bras, tout en suivant Raphaëlle dans sa promenade labyrinthique. Je connaissais plutôt bien le quartier, à force d’y trainer, et j’étais reconnaissante envers mon amie de m’épargner les routes les plus fréquentées. Heureusement pour nous, nous avoisinions de peine le mètre soixante, toutes les deux : femme petite, cachette fortuite, comme le disait le dicton.

- C’est quand même incroyable, on vous traite de chatons au Nord, comme si vous étiez incapables de faire le moindre coup bas! C’est plutôt bon signe, non, que certains sortent les griffes?

Bon, je tentais de trouver le positif dans la situation, et c’était plutôt difficile. Au moins, je gagnais un peu en assurance à mesure que mon débardeur séchait et que les minutes défilaient. Il n’y avait personne qui nous avait surpris, jusqu’à présent.

- Je suis sure que t’as des robes toutes roses à me prêter. Des tas, même! Avec des rubans et des franges sur les manches…

Je lui collais un coup de coude gentillet tout en laissant un petit rire s’échapper.  Je tentais de dédramatiser la perte de son fute de mon mieux. Mon amusement fut de courte durée, toutefois, puisque nous nous arrêtions devant le Quartier Général des Jaguars.

La chair de poule lui était rapidement remontée le long de la colonne vertébrale. La différence de température entre l'air nocturne et la chaleur écrasante de la journée, risquait de lui donner le rhume... Non risquait de donner le rhume à Louise qui portait plus de vêtements qu'elle était qui se retrouvait coincée dedans. Raphaëlle avait grandie avec le froid, la neige et les tempêtes qui n'avaient rien de sympathiques. Sa famille et elle s'était souvent retrouvée assiégé par des montagnes de blanc glacial qui les avaient empêcher de circuler librement. Parfois, la Jaguar enviait sérieusement ceux qui vivait hors du champs terrestre, ils devaient avoir la belle vie là-haut.

- Ouais, on est pas des chatons, enfin y'a des exceptions hein, mais je dirais plutôt... Ben en fait on est des jaguars. On à l'air bien sympas comme ça, mais enfin...

Enfin, elle n'allait pas lui dire des informations sur son clan ! Louise n'était pas des leurs et ça la brunette ne l'oubliait jamais, ce qui ne l'empêchait pas de ressentir une profonde affection pour la blonde avec qui elle pouvait être aussi déjantée qui lui plaisait.

- Tu déconnes ? J'ai même les souliers qui viennent avec et les perles pour finaliser le style. AH ! Même que j'ai des boucles pour les cheveux. Et t'as oublié la dentelle. Une tonne de dentelle.

Non. La slave était plutôt dans les teintes sombres. Oui ça attirait le soleil et parfois elle crevait, mais les roses et couleurs pastelles... N'était pas ce qui lui allait le mieux au teint. Alors qu'elle approchait du QG, elle pouvait sentir le sol, vibrant, sous la plante de ses pieds. La circulation allait bon train dans le bâtiment, c'était les changements de quarts, la relève des sentinelles et de ceux qui rentraient des entrepôts. Une chance qu'elle connaissait les ruelles les moins fréquentées et savait se fondre dans l'ombre...

- Je reviens vite !

Raphaëlle se retourna une dernière fois vers son amie pour évaluer ses mensurations, juste pour être certaine, puis entra dans la lumière.

Les réactions de ceux qui l’aperçurent furent multiples. Certains, eurent un sourire amusés connaissant les frasque de la jeune femme, d'autre restèrent bouche bée, la mâchoire presque décrochée. Elle sentie les regarda sur sa nuque alors qu'elle montait les quelques marches menant à l'intérieur en appréciant le contact du sol sur sa peau nue. En montant les marches vers sa chambre, son regard croisa celui d'un ami à elle, ce dernier s'approcha de lui et écarta les mains en signe d'interrogation muette ne trouvant pas les mots pour identifier cette situation. Parfois, Raphaëlle ne semblait pas réaliser qu'elle était une jolie fille et que tout les jaguars n'était pas sympas...

- T'aurais pas vu quelqu'un passer avec un tas de linge mouillé ?
- Si j'ai vu Asha passer av...
- Pourquoi je suis pas surprise que ce soit cette vieille aigrie en pleine pré-ménaupose hormonale qui ai piquer nos fringues ?!
- Je sais pas, mais Raph' tu devrais sans doute faire attention... Y'en à qui pourrait profiter de la situation dans laquelle tu te mets... En ce moment... Tu sais te promener en dessous comme ça...C'est p...
- Okay, j'ai pigé, je pourrais tomber sur Gabriel.... Ouuuuh j'ai peuuuuur. Merci du conseil papa, mais je suis une grande fille.
- Oui, mais Raphae...

Il ne pu terminer sa phrase que la slave s'éloignait déjà sans lui porter plus d'attention. Le jeune homme tenta de l'interpeller une dernière fois mais, levant les yeux au ciel, la ravitailleuse décrocha un sourire arrogant et indécent à son compagnon et continua de monter les marches, les mèches de ses cheveux mouillés laissant des gouttes rouler dans le creux de ses reins.

Elle ne mit pas trop de temps à ouvrir la porte de sa chambre et se changer, pour soupirer d'aise dans des vêtements secs. C'était bien mieux, parce qu'avoir des dessous humides... N'avait rien de charmant. Quelques autres frissons parcoururent son corps pendant qu'elle essorait ses cheveux et ramassait quelques morceaux qui ferait à son amie. Une paire de sandales aux pieds, la Jaguar se pencha ensuite sur le bureau qui occupait une partie du mur face à la porte et dessina rapidement, mais tout à fait agilement, une petite BD d'elle ne trouvant pas ses vêtements, mais rentrant tout de même en sous-vêtements au QG avec un air insolent. Raph' écrivit quelques lignes d'une écriture élégante :

Je sais que t'as piqué mes fringues et celle de Loulou. La prochaine fois prend une victime qui ne se fout pas de se promener cul nu. Je me vengerais de ça.

Bisous,
Ta très dévouée Raphaëlle.

Une fois terminé, elle fit son chemin jusqu'à la porte de la concernée et glissa la feuille sous sa porte puis redescendit les marches en attachant ses cheveux, les shorts et la camisole sur l'épaule.

Puis elle partie retrouver la Dragonne.

Une fois devant elle, les vêtements mouillés dans une main et les secs dans l'autres, Raph' soupira lourdement.

- C'est Asha qui a fait le coup. J'ai récupéré tes vêtements et je t'ai emporter quelque chose de secs. Ah j'ai aussi pris ça pour tes cheveux.

La brunette lui tendit une petite serviette pour que Louise puisse tout de même se sécher un peu avant de se rhabiller. Puis se tourna dos à la blonde pour lui laisser un semblant d'intimité.

J’avais instinctivement avancé de quelques pas, lorsque Raphaëlle avait tourné les talons pour rejoindre le Quartier Général. Je connaissais plutôt bien le siège des Jaguars pour y avoir traîné à plusieurs reprises, sans jamais m’être coltiné le moindre problème. La slave ne m’avait pas même jeté un regard et poursuivait sa route avec assurance malgré sa nudité. Peut-être que les choses avaient changé, qu’il y avait eu de nouvelles directives, et que le mot d’ordre s’était donné : Pas de Dragons à l’intérieur du Quartier Général. Je prenais donc mon mal en patience et tentait de me faire petite. J’avais déposé ma dague contre le muret, à mes pieds, de manière à pouvoir me réchauffer un tantinet de mes bras croisés. C’est dans ces circonstances, à moitié nue, dans un territoire étranger et trempée jusqu’aux os que le temps devient incroyablement relatif. J’étais persuadée que Raphaëlle était disparue depuis au moins deux heures et je bénissais le ciel ou peu importe l’astre de m’épargner une rencontre malheureuse.

Évidemment, il y eut une rencontre.

Deux types étaient passés sans me voir, une première fois. Puis, quelques secondes plus tard, ils revenaient sur leur pas en pressant l’allure, me cherchant des yeux. Je devais sans doute être à l’origine d’un “T’as vu?! J’ai rêvé ou il y a une blonde à moitié désapée dans la ruelle?” Le premier gloussait déjà en me dévisageant. Le second évalua la marchandise puis approcha en se frottant l’arrière de la tête, embarrassé, mais pas autant que moi. Ma culotte a pois n’était pas trouée, heureusement, mais elle semblait tout à coup peser étrangement lourd sur mes reins, comme si elle voulait m'entraîner sous terre pour dissimuler mon humiliation. J’avais chaud, très chaud, et je pouvais presque sentir mon coeur pulser sur mes joues enflammées. Et Raphaëlle qui n’arrivait toujours pas!

- Euh.. T’as pas froid?

Piteuse, je fouillais les environs pour me chercher un repère où mourir en paix. Vaine tentative. Je n’avais vraisemblablement pas le choix d’affronter mes interlocuteurs, deux jaguars pourtant sympathiques, fidèles à la réputation de leur clan, qui n’avaient pas encore tenté quoi que ce soit sur moi.

- Le poids de l’humiliation me tient au chaud…

- C’est joliment dit!

Mon rire fusa sans ma permission, puis mes frissons reprirent environ à ce moment-là. La chaleur de la honte s’était un peu dissipée pour laisser l’air doux de la nuit peser sur mes fringues trempées. Le mec s’est présenté, un nom quelconque que j’ai oublié sur le champ, puis m’a filé sa veste, veste que j’ai prise façon libre devant un gigot de mouton. Elle sentait étrange, un mélange indescriptible entre l’humidité et la sueur. C’était l’odeur caractéristique de nombreux hommes. Mais avant tout, c’était d’une gentillesse incroyable. Après quelques remerciements, une promesse de le revoir -mon oeil..!- et une ou deux explications douteuses sur la raison de ma présence, il m’a enfin laissé à mon intimité de bout de ruelle. Heureusement, car un instant plus tard, Raphaëlle revenait avec des tas de tissus entre les pattes.

Je séchais ma peau fraîche et mes cheveux tout en songeant aux paroles de Raphaëlle. Asha? Asha… Qui c’était, celle-là? Plusieurs minois sans nom défilaient devant mes yeux sans que je n’arrive à trouver à qui appartenait ce nom. Dans un temps record, j’avais réussi à troquer mes rares vêtements trempés pour ceux de Raphaëlle, plus cintrés que je ne le croyais, mais qui me permettaient de retrouver un peu de ma dignité.

- Elle t’a dit pourquoi elle avait fait le coup? .. Elle a dû rire un bon coup.

Mon demi-sourire en étendard, j’annonçais déjà mes couleurs. Je n’allais pas en vouloir à cette Asha, bien au contraire. C’était un sacré tour à joué, et elle avait osé. Je repliais la serviette humide pour la rendre à la Jaguar puis emprisonnait mes effets et la veste moisie entre mes bras.