I know you. I walked with you once upon a dream.
I know it's true that visions are seldom all they seem.

Il y avait forcément quelque chose qui m'avait extirpée de mon sommeil. Quelque chose de grave s'était produit. Quelque chose d'horrible. Mon coeur pulsait fort à ma poitrine. Si fort... Kim. Peut-être était-ce son état instable? Non. Il ne m’avait jamais effrayé, et même si son âme errait entre deux mondes, je ne me sentais pas menacée par lui. Triste, tout au plus, de le savoir piégé dans son propre corps. Je se forçai a fermer les yeux et me concentrer sur mon voyage onirique. Oublier les éclats de soleil qui éclaboussaient ma chambre. Préserver ce sentiment de panique et d'alerte pour mieux comprendre son origine. Pourquoi mon corps cherchait ainsi à me mettre en garde? Contre quoi? La présence d'un homme sans visage et sans ombre pesait contre moi, lorsque je cherchais à me souvenir de mon rêve. Vif, il m’échappait, entre deux pensées, se défilant un peu plus loin, hors de portée de mes souvenirs. Un frisson glacé me traversa, lorsque je ressentis à nouveau sa présence. Une mise en garde, j’en était certaine. J’allais tôt ou tard rencontrer cet être sans visage et sans ombre. Il ne me restait plus qu'à comprendre ce que cela voulait bien symboliser, et être assez attentive pour ressentir sa présence dérangeante lorsque je la croiserai.

La journée avait été éprouvante, d'autant plus que ma dernière nuit avait été mouvementée par la présence de cette ombre. Les enfants étaient agités par les récents événements dont ils ne comprenaient vraiment ni la portée, ni l'origine. Leur esprit n'étaient pas ouverts à l'apprentissage mais plutôt aux dernières rumeurs. Papa avait dit que, maman avait pleuré parce que, la soeur d'un tel avait juré voir le chef criblé de balles alors que le petit machin assurait que le Grand Eli allait déclarer la guerre au Nord. C'est avec un réel délice que je pris enfin congé de mes tâches pour profiter d'un peu de quiétude. Mes rêves de la nuit précédente me taraudaient encore, alors que le soleil déclinait dangereusement. Même si les images de mes songes s'étaient estompées, le sentiment, lui, restait bien présent et m’imprégnait comme une seconde peau. Cette angoisse, cette appréhension sans origine, était pourtant bien réel, au fond de ma poitrine. Mon corps, tendu, exigeait un peu de calme et de méditation.

J’ouvris les yeux et battis les cils contre les dernières lueurs de soleil. Je glissai mes doigts sur la terre pour en sentir la tiédeur et m’étira et remua jusqu’à ce que le soleil cesse de m'éblouir. Personne n’avait pu m’accompagner dans ma sortie, pour une rare fois. J’étais seule, non loin du lac, avec pour seules compagnes ma méditation et mes inquiétudes. Mes amis les plus loyaux courraient d'entraînement en entraînement, de rencontre en rencontre, pour comprendre les nuances de cette affaire sordide. Comprendre comment Kim avait quitté ce monde, même partiellement. Trouver un détail, une nuance, pour excuser et justifier la prise de pouvoir soudaine d’Eli. Travailler leur corps à en perdre le souffle, pour se fixer un but nouveau. Les mâles réagissaient toujours aussi bêtement: rien de ce qu’ils faisaient n’allait ramener le Chef des Aigles. Rien de ce qu’ils faisaient n’aller ramener la quiétude qu’ils avaient connu, jusqu’à présent. Rien de ce qu’ils faisaient ne pouvait maintenir les femmes et les enfants dans une réelle sécurité. L’enfance et sa douceur appartenaient au passé. Malgré leur entêtement, leur acharnement et leur jeu de guerre, rien ne serait plus pareil, désormais. Je m’enveloppai de mon châle fin, mes bras enserrant mes longues jambes galbées.

Là-bas, une ombre se mouvait avec lenteur. Elle contournait le lac, pas à pas, inexorable, en se rapprochant de foulée en foulée. Je l’avais vu, du coin de l’oeil. J’espérais secrètement que l’ombre pivote et retourne là d’où elle venait, qu’elle ne vienne pas troubler la fragilité de ma quiétude. Dans quelques pas, il serait trop tard. Je devrais au moins se redresser pour aviser la présence de l’homme. Sourire, peut-être, s’il me semblait sympathique. Jouer la parade des civilités. Me détacher de ma méditation. Renoncer à mes pensées. Malgré mon souhait, l’homme approchait, mètre après mètre, suffisamment pour que je détaille son allure, puis son visage. Les sourcils froncés, les yeux fins et acérés, la dégaine de celui qui n’a jamais douté de ses capacités. J’avais cette impression de me tenir devant un chasseur, un prédateur.

Puis, soudain, j’ai su. Les griffures de l’inconfort et du doute se faisaient sentir, à ma poitrine. Ce sentiment, je le connaissais pour l’avoir vécu, la nuit dernière. L’homme sans visage et sans ombre m’avait traqué dans mes songes, et mon angoisse était celle d’une proie piégée. Toutefois, je savais qu’il ne fallait pas se fier aux apparences des rêves, qu’il ne s’agissait que de symboles à déchiffrer, que le vrai et le faux s’entremêlaient et que les plus faibles se laissaient prendre. Je n’étais pas faible, loin de là. J’étais celle qui percevait la profondeur des âmes.

Je me redressai dans une lenteur calculée pour lui faire face, à son approche, drapée de mon châle comme une reine bienveillante d'une soierie. La tête haute, surmontant mon sentiment de crainte avec majesté, j’arborais à la naissance de ma poitrine ma plume striée.

- Je te connais.

L’ombre d’un sourire se profilait sur mes lèvres, appréhendant déjà sa réaction avec un amusement diffus.

- Qui que tu sois. J’ai déjà vu ce moment, au milieu d’un rêve.

Il était sorti sans raison particulière. La journée avait été fort longue à cause des deux entraînements intensifs concoctés par la hiérarchie, mais, malgré la fatigue physique, Kaiden n'avait trouvé aucun intérêt dans le fait de se reposer. Comme souvent, son esprit était trop actif et il préférait de loin faire quelque chose jusqu'à la tombée de la nuit, avant de dormir quelques heures pour se relancer ensuite dans quelques petits exercices nocturnes. Pour faire tout ça, il n'avait pourtant pas besoin de quitter ses frontières, mais cela faisait un moment qu'il n'avait plus mis le nez dehors et il était curieux de voir par lui-même les dégâts causés par la rébellion. Il ne s'approcherait pas des Jaguars, il n'était pas idiot, mais un petit aperçu de loin lui donnerait peut-être des idées. Après tout, il n'avait pas abandonné son objectif d'en apprendre plus à propos de toute cette histoire, il voulait la comprendre, et pour ça il fallait bien qu'il commence quelque part. Le chemin jusqu'au Sud était long, mais cela lui ferait les jambes. De plus, Kai n'était pas désintéressé par le paysage urbain. Il se sentait à son aise dans le centre neutre où il existait tellement d'endroit pour se cacher, pour prendre de la hauteur, pour chasser en somme. Ses armes étaient comme toujours invisibles sur lui, mais prêtes à être dégainées en cas de danger. Pour autant, il n'avait rien d'hostile. Son humeur avait été un peu sombre au cours de l'après-midi à cause d'une intervention inutile de Shira et de l'habituel comportement du numéro un des Tireurs, mais il se sentait plutôt calme. Naturellement, il ne pouvait rien contre cette attitude qu'il baladait partout avec lui. Kaiden étant Kaiden, il ne se séparait pas de cette carapace si dragonne de fierté orgueilleuse et de cette aptitude à se sentir chez lui partout. Cela faussait généralement la première impression qu'on avait de lui. Pas qu'il n'était pas une teigne, il reconnaissait sans mal qu'il n'avait rien d'un gentil garçon

Il abordait le lac quand il découvrit pour la première fois un autre vivant. Une silhouette se trouvait au loin et sa méfiance le poussa à la scruter avec attention. Il s'agissait d'une femme, mais ce n'était pas une raison pour relâcher sa garde. Pour autant, il n'allait pas contourner le problème. Elle se trouvait dans la zone par laquelle il devait passer pour rejoindre plus rapidement les Jaguars et il n'allait certainement pas faire un détour. Au pire, que pouvait-il bien se passer ? C'était le centre neutre, ils avaient tous les deux le droit d'être ici et ils ne s'adresseraient probablement même pas la parole de toute façon. Il continua donc sa progression sans changer son rythme, ni son comportement, le seul signe de reconnaissance qu'il offrait à la fille étant de réguliers coups d’œil pour s'assurer qu'elle ne lui préparait pas un coup en douce. L'attitude de l'inconnue évolua pourtant à son approche. Il était presque sur le point de la croiser et voilà qu'elle se levait, lui adressant même la parole. Il n'était pas fondamentalement contre un peu de bavardage, mais quelque chose chez elle lui hérissait un peu le poil. Elle lui avait déclaré le connaître, mais lui ne voyait rien chez elle de connu. On ne pouvait même pas dire qu'elle était de ces personnes facilement oubliables car il y avait sa beauté, mais aussi cette aura étrange qu'elle dégageait. Kaiden se trouvait perdu. Sourcils froncés, il la regarda avec d'autant plus d'attention, cherchant le moindre petit détail qui aurait pu lui mettre la puce à l'oreille, mais non. Il n'y avait rien. Finalement, il haussa légèrement les épaules alors même qu'elle continuait en souriant. La déclaration de l'inconnue fit pendre une seconde sa mâchoire avant qu'il n'arbore une moue sceptique. Se moquait-elle de lui ? Tentant de reprendre un peu de contenance, il se racla la gorge et passa la main dans ses cheveux courts.

- Tu as rêvé que tu me rencontrais ? Ici ? Je savais que je hantais les rêves de certaines personnes, mais généralement elles me connaissent.

Les mots étaient sortis accompagnés d'un sourire goguenard, mais ce n'était rien d'autre qu'un air qu'il se donnait. Malgré tout, il restait intrigué par tout ça. Qui ne l'aurait pas été ? C'était étrange comme manœuvre d'approche déjà. Et puis, ce mystère planant au-dessus d'elle avait quelque chose d'irrésistible.

- Et qu'est-ce qu'il se passait dans ton rêve ?

À chaque sourire goguenard que cet homme esquissait, le coeur d’une femme devait soupirer, se serrer et saigner. La beauté était un concept qui m'échappait souvent, mais le charisme et l’assurance me happaient toujours avec violence. Cette confiance, ces manières… Il ne devait pas avoir déjà été soumis à qui que ce soit. Je l’éloignais intuitivement des Vipères. Probablement un Dragon, ou alors un Jaguar particulièrement inconscient de la faiblesse de son clan. Comme plusieurs, il usait de l’humour comme d’un raccourci, un bouclier fragile à son malaise. Main dans les cheveux, la gorge raclée, décontenancé. Quoi qu’il puisse dire désormais, j’avais vu le destin et le hasard lui faire perdre pied, durant quelques secondes au moins. J’avais néanmoins adouci mon sourire à sa réplique. Je n’en doutais pas. Elles devaient être nombreuse à rêvasser de lui, autant qu’ils étaient nombreux à le craindre dans leur cauchemar. Comme moi, la nuit dernière.

- Tu traquais. Et tu n’avais pas d’ombre…

Je craignais qu’il devine la crainte sourde que m’avait inspiré ce rêve. Qu’il se doute que ce soit moi, qu’il traquait, toute la nuit durant. J'évitais donc soigneusement de lui dire qu'il n'avait pas de visage et que je l'avais reconnu au sentiment d'angoisse qu'il m'inspirait. Plutôt, je resserrais étroitement le châle sur mes épaules fines, m’occupant les mains dans des gestes naturels et justifiables pour ne pas trembler. La nuit tombait, il est vrai, et avec l’arrivée de la lune venait aussi sa morsure fraîche. Je me répétais mentalement qu’il n’était qu’un homme, à ma hauteur, puis je reprenais mes explications, alors que j’en avais honnêtement bien peu à lui offrir.  Pour le moment.

- Les rêves ne sont que des symboles, le reflet de ce qui fut ...ou de ce qui pourrait être. C’est à nous de bien les interpréter et d’en extirper le sens.

D’un geste de la main, j’invitais l’étranger à se poser en ma compagnie, à l’endroit même où je m'étais installée pour méditer un peu plus tôt. L’espace que j’avais occupé était dénué de petites roches ou de branches perdues, ne laissant qu’un tapis de terre sableuse et d’herbes séchées pour un confort relatif. Je savais aussi que c’était un endroit que j’appréciais, et que tôt ou tard, si je traînais trop à rentrer la nuit venue, l’un de mes protecteurs viendrait à ma rencontre et passerait forcément par ici. Je me détournai de lui pour approcher l’endroit désigné, tâchant de mettre un terme à mes appréhensions et mes plans de survie. Je n’étais plus dans ce rêve, j’étais bien éveillée et ancrée dans la réalité. Je devais laisser cette pointe d’angoisse passer et ne pas m’y attacher.

- Dans ton cas, toutefois… Le destin semble nous rapprocher: je rêve de toi la nuit, et tu te présente à moi le jour. Si tu as le temps, peut-être aurais-je des réponses?

Je m’assurai d’un coup d’oeil par-dessus mon épaule que mon traqueur me suive et ne se désintéresse pas totalement de moi. Je pouvais comprendre que l’étrangeté de la situation le fasse fuir. Mais je souhaitais obtenir des réponses et m’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une mise en garde d’un événement plus terrible et plus sanglant encore que la Rébellion.

Il y avait indéniablement chez elle quelque chose de dérangeant. Kaiden n'aimait pas ne pas être capable de former une explication valable pour expliquer cette sensation qui venait le picoter et c'était probablement car il n'y en avait pas. Elle ne semblait pas menaçante, pas armée, pas particulièrement forte, mais il y avait son aura et c'était elle qui le poussait d'instinct à se tenir sur ses gardes. Dans ce monde, l'instinct était une aptitude cruciale qui s'était un peu plus développé chez lui durant la saison précédente. Son instinct combattif avait toujours été là, mais les ravages de Silas l'avait fait grandir plus méfiant vis à vis des autres. Surtout vis à vis de ces gens qui dégageaient un charisme ou un magnétisme particulier. Il était donc au fond assez logique qu'il ne soit pas très à l'aise en présence de cette fille. Sa révélation lui donna pourtant une occasion de se rassurer en se camouflant derrière son attitude bravache. Traquer lui ressemblait bien. Pourtant, cette histoire d'ombre ne lui semblait pas de bonne augure. Tout le monde avait une ombre, même les objets inanimés, alors pourquoi pas lui ?

- Pas d'ombre...

Les mots étaient sortis dans un souffle sans qu'il ne s'en rende réellement compte. Il l'avait pensé et n'avait pas prévu de le dire, mais à force de voir ces mots dans son esprit, sa bouche avait fini par les former. Il était beaucoup plus ébranlé par ce simple fait - pire par cette rêverie d'une inconnue - qu'il ne l'aurait voulu. Alors, quand elle parla de sens, il espéra qu'elle pourrait lui en dire plus. Elle n'avait pas le droit de lui balancer ça pour ensuite disparaître. Il la suivrait, si cela signifiait de voir apaiser cette crainte primale qu'elle avait réveillé en lui. Kaiden n'aurait jamais cru qu'il pourrait croire à tout ça. Le Destin n'était pour lui qu'une fadaise pour faire rêver ou apaiser les douleurs de ceux qui n'osaient pas ou avaient échouer. Il n'y avait pas de Destin, seulement du travail pour arriver à cet endroit que l'on visait. Mais là, face à cette personne étrange, il devenait difficile de croire que cette rencontre était hasardeuse. C'était idiot, il aurait pu juste s'agir d'un canular ou des délires d'une folle, mais au fond de lui il y croyait et c'était cette graine occulte et superstitieuse qui le poussait à croire et à s'enfoncer plus loin encore dans ce moment étrange. D'une démarche miraculeusement assurée, il la suivit et après une inspection minutieuse de l'endroit, il se posa sur le sol sans jamais regarder l'inconnue. Son regard se fixait partout sauf sur elle, scrutant les ténèbres naissant. L'obscurité venait au bon moment, il n'était jamais plus à l'aise que dans la nuit et ce petit détail le rassura un peu. Il s'était assis de façon à pouvoir se relever rapidement, une jambe repliée contre la terre et l'autre pliée devant lui, et frottait machinalement ses côtes, sentant au travers du tissu souple de son t-shirt la forme réconfortante de son pistolet de secours. Finalement, il appuya son coude sur son genou de façon à soutenir son menton dans sa paume et se força à regarder la fille, feignant mal l'ennui. Il fallait qu'il se reprenne. Il était un Dragon, il n'avait aucune raison d'être aussi fébrile.

- Qu'est-ce que ça signifie ? Ne pas avoir d'ombre.

Le lac était plus serein que d’ordinaire, comme si sa quiétude faisait écho à ma propre nervosité. Je me posai devant lui, agenouillée en seiza, comme on me l’avait appris depuis mon arrivée chez les Aigles, les mains sagement posées sur les genoux. Je  constatais que plus aucun rayon ne brillait sur la surface de l’eau. L’homme, le traqueur, se posa devant moi, m’arrachant par le même fait à  ma brève inspection du lac sombre. Il m’avait suivi sans me questionner ni argumenter et j’y voyais là un peu de réconfort: il était sans doute ouvert à ce que j’avais à lui dire. Ce n’est qu’une fois installé à son tour, en une position étrange, prêt à bondir, qu’il revint sur les fameuses ombres. Ou plutôt, sur l’absence de celles-ci. Un pâle sourire peignait mes lèvres; son questionnement était légitime.

- J’ai d’abord cru que tu avais perdu un proche, pendant la traque. Que tu avais perdu ton ombre, le symbole de protection. Comme plusieurs autres...

Bien que ma voix n’hésitait pas, je parlais avec une douceur certaine de manières à lui laisser le temps de réagir, de me questionner ou d’argumenter, si l’envie lui prenait. Je voyais ce moment comme un échange afin de mieux comprendre, pour lui comme pour moi, le sens de notre rencontre. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrions avancer. Il devait comprendre pourquoi son ombre et son visage l’avaient quitté, le temps d’une nuit, et je devais trouver la réponse à ma question : pourquoi lui? Tout au fil de notre conversation, quelques idées fugaces pouvant expliquer ce mystère traversèrent mon esprit. Je lui en fis part, réfléchissant à voix haute.

- L’ombre symbolise pour certains la plus grande angoisse d’un homme. Pour eux, nous ne devrions pas marcher sur l’ombre d’autrui, car il s’agit de notre propre lien avec la mort.

Il s’agissait d’un groupe de libres que nous avions fréquenté, ma mère et moi, lorsque j’étais toute petite. L’écho de leurs hurlements, lorsque nous enjambions leurs ombres par inadvertance, m’avait d’abord terrifié puis finalement intrigué. Le faisaient-ils pour chasser les mauvais esprit, lorsque leur ombre n'était plus intacte? Je secouai la tête avec une lueur d’amusement, l’oeil brillant. D’une part, je lui signifiais par ce geste que j’étais consciente de l’improbabilité de mes paroles, d’une autre, je voulais chasser cette explication de la conversation. Je m'égarais, et j’en étais bien consciente.

- Peut-être est-ce parce que tu as non seulement perdu un proche, mais que tu t’es aussi affranchi de ta plus grande peur?  

J'inclinai mon visage sur le côté tout en observant les yeux fin et calculateur de l’inconnu. Un brin méfiante, je m’attendais à un sarcasme à peine voilé, mais je ressentais de moins en moins cette crainte qu’il m’avait d’abord inspiré. Il était un chasseur, c’était indéniable, mais en échangeant quelques mots avec lui, je me sentais m’éloigner du rôle de la proie, je me distançais des impressions vécues dans mon rêve.