What hurts the most (PV Sawyer)
Jour 2 - Fin de soirée

Shira marchait rapidement dans les rues. La nuit était tombée depuis un moment déjà, mais elle était dehors à traîner dans une des zones du territoire qu'elle fréquentait le moins. Ici, il n'y avait personne qu'elle avait intérêt à connaître. Malgré tout, elle était là à cause de quelqu'un qui comptait à ses yeux. Il fallait bien ça pour la tirer hors de chez elle alors qu'elle n'aspirait qu'à rejoindre le confort de son lit après une longue journée. Elle s'arrêta finalement devant une maison et marqua une hésitation. Elle scruta les alentours, vérifiant qu'elle ne s'était pas trompée, avant de s'avancer vers la porte à laquelle elle frappa avec vigueur.

— Sawyer ! appela-t-elle sans égard pour les autres habitants de la rue. Tu as intérêt à ce que je ne me sois pas déplacée pour rien.

Appuyée à la porte, Shira attendit. Elle serait bien entrée sans avertissement, mais c'était impossible dans cette maison. Donc elle patienta en maugréant. Elle se doutait que Sawyer ne l'avait pas appelée pour rien. Elle l'avait compris dès que son petit frère lui avait parlé de sa courte visite à la maison. Mais elle avait cru bon de l'avertir quand même. Shira lui botterait sans hésitation les fesses si cette visite était veine. Elle le ferait aussi probablement même si ce n'était pas le cas et que sa présence était belle et bien requise. Ce n'était pas sa faute, cette fille était une incroyable idiote lorsqu'elle s'y mettait et parfois sa patience lâchait. Pour la défense de Sawyer, il fallait dire que la dite patience était bien maigre.

Certaines journées sont cauchemardesques. Tu devrais y être habituée depuis le temps mais il vient toujours un moment où tu craques simplement sous le coup de trop. Ce coup est venu dans la fin de l'après-midi alors que tu revenais de l'entraînement. Maxine venait de te quitter pour rentrer chez elle et tu l'avais laissé faire malgré la piqure du regard que tu sentais sur ta nuque. Il aurait été si simple d'insister un peu pour qu'elle reste avec toi et t'accorde une fragile sécurité par sa seule présence mais tu n'étais pas une lâche qui se cachait derrière quelqu'un. Surtout pas derrière elle. Ainsi tu t'étais laissé coincée. L'altercation n'avait pas été si violente que ça en comparaison des autres fois. Physiquement du moins. Psychologiquement c'était une autre histoire. Ton assaillant avait été vicieux dans ses paroles et t'avait laissé détruite par endroits. Il n'avait rien dit de nouveau mais tout avait été percutant car il avait frappé sur une blessure qui ne cicatrisait jamais vraiment. Et maintenant tu luttais pour repousser toutes les émotions qui se fracassaient contre les protections autour de ton cœur en tentant d'être pragmatique. Ou pas. Sur toutes les personnes que tu aurais pu contacter - bon d'accord elles n'étaient pas si nombreuses - tu avais choisi celle qui serait le moins tendre avec toi. Pas sur un plan physique encore une fois. Shira était plutôt le genre de fille qui t'étalerait tout ce que tu savais et qui te blessait sous les yeux. Pas dans un but malveillant naturellement mais le tout serait douloureux quand même.

Tu sursautes en entendant les coups à la porte. Le bruit vient de t'extraire de tes pensées et au vu de l'obscurité dans la maison et de la rigidité de tes muscles tu dois y être depuis longtemps. Tu te redresses avec une certaine difficulté et tu t'avances à pas de loup vers la porte.

SHIRA - Sawyer ! Tu as intérêt à ce que je ne me sois pas déplacée pour rien.

Elle est en train de rameuter tout le quartier et l'idée t'affole un peu. Tu marches plus vite jusqu'à la porte et rapidement tu te débarrasses des verrous qui la bloquent. Après toutes les expériences que tu as vécu, tu es sans surprise paranoïaque lorsqu'il s'agit de t'enfermer chez toi. Le dernier est le plus difficile car il nécessite que tu t'étires pour l'atteindre ce qui réveille la douleur dans tes côtes. Quand tu ouvres finalement la porte, tu tiens ton torse étroitement d'une main et tu t’appuies sur le chambranle en haletant légèrement.

SAWYER – J'aurais préféré t'avoir dérangée pour rien.

D'autres adouciraient probablement les mots avec un sourire mais ton masque stoïque reste en place. Tu es habituellement à l'aise avec Shira seulement tu te sens bien trop démunie aujourd'hui pour baisser ta garde. Ces idiots ont réussis leur coup, tu viens de faire un bond en arrière.

L'attente ne fut pas trop longue. Quand des bruits se mirent à émaner de la porte, Shira recula prudemment et écouta le déverrouillage avant de voir finalement apparaître Sawyer. Directement, elle comprit que la brune ne l'avait en effet pas dérangée pour rien. Son visage restait stoïque, mais sa position criait la douleur. Haletante, elle s'appuyait au cadre de la porte d'une façon que Shira ne put s'empêcher de trouver inquiétante. Elle avait rarement vu Sawyer faible et pourtant elle la connaissait depuis un certain temps déjà.

— Je suppose qu'il est inutile que je te demande ce qu'il s'est passé.

C'était toujours la même histoire. Shira la trouvait amère, cette histoire. Si elle pouvait comprendre la logique de Sawyer, une part d'elle aurait voulu qu'elle se respecte un peu plus en s'affirmant. Oui, elle était une non-native, mais elle était aussi aspirante ce qui pesait un certain poids dans la balance.

— Laisse moi entrer que je puisse t'examiner.

D'un geste de la main, Shira chassa son amie pour qu'elle s'éloigne et la suivit de près. Elle avait fermé la porte derrière elle, se débattant un peu avec un verrou. Ce serait suffisant pour le moment. Elle ne trouvait de toute façon pas cette sécurisation nécessaire, mais elle n'avait jamais eu à se plaindre de violence et ne pouvait donc pas réellement comprendre.

— Tu as mal autre part qu'au torse ?

Shira avait toujours été une mauvaise soigneuse à cause de son comportement avec les blessés, mais elle avait la théorie et un peu de pratique comme bagage. Elle devait d'ailleurs beaucoup de sa pratique à ses amies qui avait la fâcheuse habitude de se fourrer dans de dangereuses situations où elles récoltaient toujours bleus et coupures. Pour ça, Sawyer et Maxine faisaient bien la paire.

Shira ne se prive pas de t'examiner des yeux sur le pas de ta porte. Tu n'es pas vraiment contre l'insistance de son regard mais tu préférerais qu'elle fasse ça à l'intérieur, là où vous serez un peu plus en sécurité. Un soupir déchiré t'échappe et tu grimaces légèrement. Tu ne sais pas exactement ce que tu as mais tu as la sensation d'avoir un poids sur la poitrine et à chaque fois que ton cœur cogne, il envoie une onde de douleur partout dans ton corps. Tu n'as jamais été dans cet état. Même après t'être faite sauvagement passé à tabac, avec des côtes cassées et les yeux noircis par les coups tu ne t'es jamais sentie aussi mal et démunie. Tu aimerais rentrer mais l'idée de te déplacer t'effraye un peu et tu n'es pas certaine que Shira te suivra si tu te montres trop directive. Elle n'a jamais été très soumise lorsqu'elle ne le doit pas et elle doit bien savoir que dans ce cas-ci elle est en contrôle car tu lui en dois une.

SHIRA - Je suppose qu'il est inutile que je te demande ce qu'il s'est passé.

Inutile en effet. Tu secoues brièvement la tête pour acquiescer mais pas un son ne sort. C'est inutile de gaspiller tes mots et ton souffle. Tu ne le fais déjà pas en temps normal alors tu ne vas pas commencer maintenant que tu es au plus mal. Dans la remarque de Shira, il y avait tout son ressenti. Elle n'a jamais caché être contre ton attitude et tu comptes plus le nombre de savon qu'elle t'a passé. Même si elle laisse les hommes l'utiliser, Shira le fait avec fierté. Elle garde la tête haute. Toi tu te contentes de prendre les coups et de courber l'échine ce qu'elle ne comprend pas. Personne ne le comprend. Personne ne semble se rendre compte que oui tu en crèves parfois de ne pas pouvoir déchirer des gens plus faibles que toi ou même de te mesurer à des adversaires plus forts mais que tu brûlerais de remettre à leur place. Ils ne comprennent pas parce qu'ils ne savent pas au fond pourquoi tu laisses les choses arriver. Ils ne comprennent pas que si tu te laisses aller tu vas perdre le contrôle et que ça ne pourra attirer que le mal. Ça le fait à chaque fois. Si tu te fais trop remarquer, si tu lâches la bride, quelqu'un va mourir et tu as trop peur de la perdre. Ils ont été trop nombreux à succomber, tu ne pourrais pas supporter de la perdre elle.

SHIRA - Laisse moi entrer que je puisse t'examiner.

Tu entends à peine la directive trop prise que tu es dans tes pensées. Mais tu vois nettement le geste esquissé et tu t'enfonces un peu dans la maison pour qu'elle puisse passer. Shira entre et verrouille la porte sans obtenir des résultats fantastiques. Tu observes les verrous qu'elle a loupé mais tu finis par abandonner l'idée de terminer toi-même le travail. Ce n'est que de la paranoïa de toute façon. Personne ne viendra. Plus personne n'est venu depuis longtemps.

SHIRA - Tu as mal autre part qu'au torse ?

Tu ne sais pas exactement quoi répondre. Tu as en cet instant mal partout mais tu n'es pas sûr que ce soit physique et que Shira puisse quoi que ce soit pour toi. Elle pourra t'aider pour le torse mais pour le reste ? Il y a peu de chance. Tu ne sais même pas si tu as envie de lui en parler. Elle ne pourra pas comprendre, tu tentes de te convaincre.

SAWYER – Le bras un peu engourdi. Il m'a agrippée assez durement.

Il. Ta pire plaie. Tu ne comprends pas exactement qu'elle est son problème à celui-là mais c'est celui qui te harcèle le plus. Kaiden te reproche sans cesse d'être proche de Maxine et tu ne comprend pas pourquoi ça le dérange tant. Il n'est même pas son ami et ne semble pas vouloir le devenir. Il reste juste buté sur le fait que tu es une non-native et elle une princesse toute droite venue des quartiers dorés du territoire. Dis comme ça, on dirait un conte de fée débile sauf que Maxine n'est pas une princesse sans défense et toi tu n'es sûrement pas son prince. Tu n'es pas non plus le dragon de l'histoire. Tu es plutôt le fidèle destrier un peu retors. Alors de quoi se plaint-il ? Ce n'est pas comme si tu la dévoyais ou quoi que ce soit, elle était déjà la sauveuse officielle des parias avant votre rencontre après tout.

Sawyer était trop vide. Shira était accoutumée à la voir arborer ce masque qui ne la quittait jamais en public, mais elle ne le portait pas au côté des gens qu'elle considérait comme proches. Et Shira était quelqu'un de proche même si elle aurait été bien incapable de définir leur relation. Tout ce qu'elle savait était que Sawyer lui faisait confiance. Autant confiance qu'elle le pouvait du moins. Shira n'était pas bête non plus, elle savait aussi que derrière cette confiance il y avait aussi de la nécessité. Aujourd'hui, Sawyer était pourtant différente. Si elle pouvait paraître vide habituellement, ce n'était qu'une impression. Elle ne l'était pas. Alors que là elle semblait lessivée. Comme si on avait drainé tout ce qu'il y avait à l'intérieur d'elle. C'était un spectacle peu agréable et Shira ne cacha pas son mécontentement. Elle ne laisserait pas passer ça cette fois. D'une façon ou d'une autre, elle comptait bien faire cracher la vérité à la brune.

Sawyer parla enfin et elle lui révéla un détail de taille. Il. C'était donc un homme. Voilà qui réduisait déjà le champ des possibilités. Naturellement, il y avait plus d'hommes agresseurs dans ce clan que de femmes, mais c'était déjà une bonne chose de pouvoir les éliminer. De plus, Shira pouvait aussi se débarrasser de toutes les mecs plus brutaux qui n'auraient pas laissés Sawyer en aussi bon état physiquement parlant. Tout en réfléchissant, Shira déposa le sac avec son matériel sur le sol et désigna le lit à l'aspirante. Dès qu'elle fut assisse, elle attrapa les bords de son t-shirt et commença à le soulever sans autres indications. Sawyer comprendrait bien qu'elle devait lever les bras pour qu'elle puisse le retirer complètement. Shira n'était pas connue pour sa délicatesse et elle n'allait pas perdre son temps en politesse. Une fois le vêtement retiré, elle le posa sur le bord du matelas et s'agenouilla sur le plancher pour examiner la marque sombre qui s'était formée sur le torse de la brune.

— Joli bleu. siffla-t-elle avec mauvaise humeur. Ça va faire mal.

Shira se mit alors à palper rapidement ses côtes en étudiant les réactions de Sawyer et une fois son petit examen finit, elle émit un soupir de soulagement. En voyant l’ecchymose, elle s'était attendue à pire, mais c'était plus moche dehors que dedans visiblement.

— Il n'y a rien de cassé. Je suis pas une pro, mais je pense que ça devrait aller. Tu respires difficilement à cause des coups et de l'émotion.

C'était bizarre de parler d'émotions. Shira n'aimait pas ça, mais elle allait faire un effort. Elle posa doucement sa main sur la cuisse de Sawyer et leva les yeux vers elle.

— Parle moi. Qui c'était et qu'est-ce qu'il a dit ? Tu as vraiment l'air mal. En fait, je ne t'ai jamais vu comme ça et pourtant on se connait depuis un moment.

Tu n'es pas dupe, la patience de Shira s'annonce limitée. Elle n'a pas beaucoup parlé depuis qu'elle est là et si tu ne t'attendais pas un interrogatoire tu pensais quand même avoir à subir plus. Plutôt que te rassurer, cette constatation t'inquiète car elle te laisse penser que l'autre Dragonne compte réellement te faire passer à la question. Tu es trop fatiguée pour trouver une alternative autre que le silence buté. Et le silence buté ne fonctionne pas vraiment avec Shira. Alors tu attends juste que cela vienne en te pliant à ses indications. Tu verras au fur et à mesure. Au pire tu lui diras quelques mots ? Qu'est-ce qu'une courte explication pourrait bien faire ? De toute façon elle connait la situation depuis longtemps déjà. Et elle connait même ton agresseur de façon intime sans pour autant accepter ses actes. Quand elle te demande de t'asseoir tu t'installes délicatement sur le bord du lit et tu ne fais pas la difficile lorsqu'elle commence à te retirer ton haut parce que en ce moment tu n'aurais pas la force de le faire toute seule. Après elle est seule maîtresse. Tu ne bouges pas d'un pouce, tu la laisses faire parce que tu n'y connais pas grand chose en soin c'est bien pour ça qu'elle est ici. Tu es en plus habituée à la laisser te manipuler comme bon lui semble. Tu ne comptes plus le nombre de fois qu'elle t'a remise sur pieds.

SHIRA - Joli bleu. Ça va faire mal.

C'est loin d'être agréable en effet. Ce n'est pas la mort mais la pression de ses doigts sur le bleu t'arrache frémissements et grimaces. C'est néanmoins un mal nécessaire. Mais son retrait rapide te fait quand même expirer en tremblant sous le soulagement.

SHIRA - Il n'y a rien de cassé. Je suis pas une pro, mais je pense que ça devrait aller. Tu respires difficilement à cause des coups et de l'émotion.

Donc pas de passage à l'hôpital. Tant mieux. Tu t'attends à ce qu'elle te passe juste un peu de baume mais elle ne fait rien de tout ça. Sa main est sur ta cuisse et elle profite du fait que tes yeux soient baissés pour croiser ton regard de là où elle se trouve. Merde. Ça commence. Sa douceur te pousse à détourner légèrement la tête. Tu n'es jamais très à l'aise avec ce genre d'attitude qui te donne toujours l'impression de cacher quelque chose.

SHIRA - Parle moi. Qui c'était et qu'est-ce qu'il a dit ? Tu as vraiment l'air mal. En fait, je ne t'ai jamais vu comme ça et pourtant on se connait depuis un moment.

Ce qu'elle dit t'inquiète. L'impression que tu donnes doit être pire que ce que tu penses. Heureusement ce n'est qu'elle. Si ça avait été Maxine elle serait sûrement déjà sur le sentier de guerre prête à en découdre avec le Spécialiste. Et ça c'est naturellement hors de question. C'est bien pour ça qu'elle ne doit pas savoir. Mais Shira peut savoir. Elle en sait déjà un peu. Machinalement tu portes la main à tes yeux pour essuyer cette impression d’épuisement qui te poursuit.

SAWYER – Il n'y a rien de nouveau Shira. C'est toujours la même histoire. Kaiden veut que je cesse de voir Max, je dis non, donc il tape.

Le schéma est correct mais l'histoire est peut-être un petit peu plus compliquée. Pourtant tu ne veux pas rentrer dans les nuances. Tu as satisfait la curiosité de la soigneuse maintenant tu espères qu'elle va changer de sujet. Espoir futile sûrement.