Laisse-moi la voir!

Non.

Juste quelques secondes. Je ne demande pas plus.

Dégage de là. Tu ne la verras plus jamais! T'as déjà bien de la chance qu'elle ait été assez conne pour sauver ta réputation ici, dans le clan. Mais nous, tu ne peux pas nous berner. C'est de ta faute et on le sait. Ton père, tes frères, tout le monde! NOUS on connait la vérité et c'est bien suffisant. T'étais déjà rien qu'un putain de pourceau à mes yeux, mais maintenant t'es plus rien du tout. RIEN t'entends?!

Maman... S'il-te-plaît.

Sa voix défaillit, comme si elle se heurtait elle-même à la colère de sa mère. Celle-ci se tenait, voûtée, accoudée à la table du salon, faisant barrage entre son fils et l'escalier menant au corps de sa soeur défunte. Elle leva sur lui des yeux à la fois fatigués et haineux. Elle ne pipa mot mais la réponse était bien assez claire. Peter avait les larmes aux yeux. Il voulut passer. Il essaya. C'était son dernier espoir de pouvoir entre-apercevoir Cassy avant sa mise en terre. Mais à nouveau, sa mère se dressa devant lui, menaçante comme jamais. De toute façon, même s'il surmontait ce premier obstacle, il devrait affronter le courroux de son père à l'étage. Ce dernier ne quittait plus Cassy et surveillait le corps comme un voleur cajole son larcin. Cette pensée terrorisa le jeune homme qui savait que les confrontations avec son paternel se terminaient souvent très mal. Alors, Peter baissa les yeux, frustré. Plus que la culpabilité en cet instant, c'était le fait de ne plus jamais voir sa soeur qui l'angoissait. Sa famille se dressait comme un rempart entre lui et Cassy. C'en était presque ironique.

Je n'ai pas fait exprès et tu le sais très bien. J'ai fait une erreur, tout simplement. Tout le monde en fait. Je paierai pour ça. Mais pas maintenant. S'il-te-plaît. Plus tard.

À  nouveau, la matrone leva des yeux enragés vers son rejeton.

TU fais des erreurs mais tu sais très bien que dans cette famille, l'erreur est impardonnable. Nous sommes les meilleurs guerriers de cette ville, l'élite. Nous n'avons pas le droit de nous louper. Joue encore là-dessus et tu pourras nous dire adieu pour de bon, c'est déjà un miracle que ton père ne t'ait pas encore renié!

Tais-toi! Vous m'écoeurez! QUI réagit comme ça?! Je ne l'ai pas assassinée! Je veux juste lui dire au revoir et vous... vous me privez de ce dernier moment. Allez tous vous faire voir. J'veux plus jamais entendre parler de vous et de vos principes à la con, votre éducation à la con, votre clan à la con... Ta fille est morte et t'en n'as juste rien à foutre, tout ce que tu veux c'est me faire toujours plus mal, m'enfoncer toujours plus bas. J'en ai ma claque. C'est fini.

À ces mots, le jeune homme ne tint plus et sortit de la maison familiale. Les larmes perlèrent d'elles-mêmes et le Dragon se surprit à pleurer. Cela ne lui était presque jamais arrivé - sauf quand il était enfant - et il avait presque oublié à quel point ça pouvait faire du bien. Peter, honteux, et craignant que sa mère ne surprenne sa faiblesse passagère, s'éloigna dans la nuit. Il voulait quitter cet endroit. Quitter ce clan, cette famille qui ne voulait plus de lui. Que lui restait-il, maintenant que Cassy était partie? Et que pouvait-il faire si ce n'était renoncer à lui dire adieu? En s'éloignant précipitamment de la bâtisse, il heurta quelqu'un mais ne s'arrêta pas. Il ne voulait pas qu'on le voie dans cet état. Surtout pas...

Un décès chez les Dragons était chose courante, à tel point que beaucoup d'entre nous n'y faisait même plus attention. Mais cette fois, les choses étaient différentes, ou du moins pour moi. En effet, ce décès-ci avait eu lieu dans mon équipe, et il s'agissait d'une personne qui m'était assez proche que pour que je sois affectée par sa disparition. Oh bien sûr je n'étais pas anéantie, mais j'arborais une mine sombre malgré tout, devant faire face une fois de plus à la dure réalité de notre monde...

La nouvelle s'était étrangement vite répandue, et à peine arriva-t-elle à mes oreilles que mon esprit se tourna vers la famille de la défunte, et plus particulièrement vers son frère qui lui aussi faisait partie de l'équipe. Les circonstances restaient floues, et c'est à la fois par curiosité et par compassion que je pris la décision de me rendre chez Peter, afin de voir comment il allait, et peut-être de glaner quelques informations sur la mort de mon amie...

Il faisait nuit lorsque j'approchais de la bâtisse de la famille de Peter, mais je n’eus pourtant pas à aller jusque là, quelqu'un me heurtant de plein fouet et manquant de me faire tomber à la renverse. Le personne ne s'arrêta pas pour autant, et alors que je m’apprêtais à l'insulter je cru reconnaître celui que je cherchais.

« Peter ? »

Mais il était déjà assez loin pour ne pas m'entendre. Lançant un rapide coup d'oeil en direction de la maison, je me lançais ensuite à sa suite en l'appelant plus fort.

« Peter, arrête toi ! »

Et j’espérais qu'il m'écouterai, car je n'étais certainement pas capable de le rattraper à la course, et encore moins avec son avance...

Les larmes l'aveuglaient. Il pouvait à peine discerner le sol et les bâtisses qui l'entouraient, déjà presque imperceptibles. La lueur de la Lune le guidait plus ou moins et l'Espion fut à peine surpris de heurter quelqu'un. Un gêneur. Il fallait qu'il se trouve sur sa route à ce moment précis. Mais de toute façon, Peter s'en moquait. Il aurait pu bousculer Samuel en personne sans même s'excuser. Il voulait fuir, tout simplement, et garder cet instant de faiblesse rien que pour lui. Il le fallait, puisque Cassy s'était sacrifiée pour sauver sa réputation. Il n'allait pas saper son boulot aussi vite et aussi bêtement.

La bousculade ne l'arrêta pas, Peter continua sa course, mais une voix s'éleva, derrière lui. Cette personne, c'était Kiara. Il reconnut l'Espionne sans mal et eut un instant d'hésitation. Non pas qu'il voulait lui parler, mais sa présence avait quelque chose de réconfortant. Kiara était dans la même équipe que lui. Elle connaissait très bien Cassy. Sans réellement être une amie, elle était sans aucun doute la personne la plus proche de Peter dans le clan - si on excluait sa propre famille - alors, le brun stoppa sa course l'espace d'un instant et ralentit légèrement. Il jeta une œillade en arrière pour constater qu'il ne s'était pas trompé. Mais la honte et la peine le poussèrent à continuer sa route. Qu'avait-il espéré? Pourquoi donc hésiter à poursuivre son chemin? Kiara ne lui apporterait pas le réconfort dont il avait besoin. Personne dans ce clan ne pouvait le consoler - et même si cette personne existait, Peter aurait probablement refusé son aide. Pourquoi espérer qu'une simple conversation avec une connaissance l'aiderait à supporter la perte de Cassy? Non, c'était débile. Il devait continuer et ne plus se laisser dévorer par la faiblesse. Kiara n'apporterait que des questions, des doutes et des craintes. D'ailleurs, c'était certainement la curiosité qui l'avait amenée jusqu'ici. Bref, Peter n'avait rien à lui dire, il était encore trop tôt pour qu'il puisse discuter avec quelqu'un de ce qu'il s'était passé. Du moins, il ne s'en sentait pas capable pour l'instant.

Peter ne courait plus désormais, mais marchait le plus vite qu'il le pouvait. Elle l'avait vu fuir. C'était suffisant pour qu'elle comprenne. Kiara n'était pas une idiote et pouvait deviner très facilement ce qui était en train de lui arriver avec le peu d'informations qu'elle avait, mais tout de même, il préférait éviter la confrontation. Le Dragon ne répondit rien et accéléra, espérant ne pas être suivi. Kiara voudrait sans doute voir le corps de sa soeur avant de s'inquiéter du petit frère endeuillé. Au moins aurait-elle la chance de voir Cassy une dernière fois, de la toucher et de lui dire adieu pour de bon. Grand bien lui fasse. Peter, lui, n'aurait pas cette opportunité et cela le rendait malade.

Il ne savait toujours pas où il fuyait mais il poursuivit malgré tout son chemin. La confusion l'emportait comme une vague.

Heureusement pour moi, Peter ralentit fortement sa course, me permettant ainsi de le rattraper un peu. Mais alors que j'arrivais presque à sa hauteur, il repartit aussitôt dans une marche rapide, m'obligeant à reprendre la course à mon tour.

« Peter, t'isoler... ne changera pas... les choses... »

Le changement rapide de vitesse m'avait essoufflé quelques instants, mais alors que je le rattrapais de nouveau, je réussi à reprendre une respiration à peu près normale. Je fini par le dépasser et me plaçais devant lui, marchant à reculons pour lui faire face et manquant de trébucher à plusieurs reprises.

« Je ne sais pas ce que tu ressent, mais tu n'es pas tout seul pour surmonter ça... »

J'étais sincère. Je n'étais pas idiote, j'avais tout de suite compris la raison de sa fuite, et je n'étais pas du genre à abandonner un ami lorsqu'il avait besoin de réconfort. A moins qu'il ne m'envoie sur les roses, je comptais bien essayer de lui remonter ne serait-ce qu'un tout petit peu le morale, même si ça semblait plutôt chose impossible dans l'immédiat... Mais c'était compréhensible après tout... Perdre un membre de sa famille devait avoir provoqué un sentiment que je ne pouvais en effet pas comprendre, mais je savais dévastateur pour avoir pu constater ses effets à de nombreuses reprises...

Kiara le rattrapa. Par peur de se faire dépasser, l’Espion accéléra le pas et tenta de la laisser le plus loin possible derrière lui. Il voulait la semer pour éviter de parler de son mal-être, de Cassy. Tout ça bouillonnait encore dans son ventre et sa gorge. Ca ne demandait plus qu’à sortir. Un mot, une parole, auraient été suffisants pour qu’il s’effondre davantage encore. Il ne pouvait pas… Mais Kiara était plus pressante que ce qu’il espérait. La brune continua à le suivre, légèrement essoufflée d’après ce qu’il entendait. Sa fuite ne changerait rien ? Bien sûr que si ! Cela pourrait au moins sauver le semblant de réputation qu’il avait auprès d’elle, cela pourrait éviter qu’il ne lâche une bêtise, ruinant les derniers efforts de Cassy pour l’innocenter, cela pourrait lui rendre un peu de sérénité après cette dispute complètement horrible…

Kiara finit par le dépasser, finalement. Lui-même essoufflé, Peter s’arrêta au bout de plusieurs mètres et détourna honteusement le visage. Même si la nuit lui servait de masque, la Lune n’était pas son alliée, en ce moment-même. Kiara choisit de lui sortir une phrase-bateau. Le genre de phrase qu’on dit aux gens qui viennent de perdre quelqu’un. C’était gentil de sa part, vraiment. Mais… ça ne suffirait certainement pas à changer la vision des choses de l’endeuillé. Il leva les yeux au ciel, les yeux encore emplis de larmes. Mal à l’aise, le Dragon resta silencieux plusieurs secondes avant de murmurer, dans une voix dont il tentait de masquer les sanglots.

Qu’est-ce que tu racontes Kiara…

Bien sûr qu’il l’était, seul. Il l’était depuis que Cassy avait poussé son dernier souffle. Et il le serait toujours désormais. Il pensa fuir une seconde fois, mais il savait que Kiara ne partirait pas sans une explication. Il ne se sentait pas en état d’entamer une course-poursuite à travers tout le territoire, pas du tout. Alors, autant lui donner ce qu’elle voulait.

Et qu’est-ce que tu veux ? Tu veux la vérité c’est ça ? Tu veux que je t’explique comment ma sœur est morte… Parce que c’est tout ce qu’il y a à savoir.

Il avait presque tu ce mot. « Morte ». Quel horrible son. Non vraiment, le simple fait de prononcer cette simple syllabe lui donnait un haut-le-cœur. À nouveau, Peter se détourna, sentant les sanglots revenir. Il se remit en route en bousculant légèrement Kiara sans le vouloir.

Faut pas qu’on reste ici.

S’ils devaient parler, ce ne serait pas à quelques mètres de chez lui. Ni au milieu du chemin. Il fallait qu’ils aillent ailleurs, dans un endroit où Peter se sentirait bien. Un endroit où il pourrait être seul pour passer la nuit…

Peter finit par s'arrêter mais garda le visage détourné. Il me demanda ce que je voulais, sa voix se brisant presque sur la fin. Il se remis ensuite en route sans attendre de réponse, indiquant qu'il ne fallait pas resté là. Je le suivis donc, gardant un instant le silence avant d'enfin répondre à sa question.

« Tu n'as pas à en parler si tu n'en à pas envie, mais ne crois pas que je vais te laisser seul vu ton état... »

J'avais parlé d'une voix ferme, sans le regardé, le suivant légèrement en retrait. Bien sûr je voulais savoir ce qui était arrivé à mon amie, mais je n'était pas inhumaine non plus et je ne comptais pas le brusquer, mais qu'il n'espère pas que le lâche si facilement, même s'il ne me disait rien...

Lorsqu'il proposa à Kiara de quitter cet endroit, elle obtempéra et le suivit, toujours aussi assidûment. L'Espionne lui affirma même qu'elle ne le lâcherait pas, quoi qu'il fasse. Peter soupira. Il savait que la Spécialiste pensait ce qu'elle disait. Si elle avait décidé de le suivre jusqu'à ce qu'il parle, elle le ferait, inlassablement. Il faudrait donc que l'Espion trouve quelque chose pour satisfaire sa curiosité, ou au moins pour la rassurer quant à son état.

Et pourtant... Peter ne s'était jamais senti aussi vide. Il y avait cette tension, cette boule qui ne quittait plus son estomac et sa gorge et qui ne demandait qu'à exploser. Cassy était morte, il le savait. Et pourtant il n'arrivait pas à imaginer une vie sans elle. Tout au fond de lui, il se disait que tout cela n'était qu'un mauvais rêve et qu'il finirait par se réveiller pour la retrouver, dans la chambre d'à-côté. Alors, inconsciemment, il s'accrochait à cette douce illusion pour ne pas totalement sombrer dans le désespoir. Déjà, comme ça, il ressentait un manque, quelque chose que personne ne pourrait plus combler. Alors, s'il regardait la vérité en face, quelles seraient donc les conséquences?

Il s'éloigna des logements et alla trouver un endroit pas loin des frontières du territoire. Il s'agissait d'une zone inhabitée et très peu fréquentée - surtout à cette heure. Il aimait s'y rendre pour s'isoler, lorsque les choses n'allaient pas très bien pour lui. Peter s'assit aux pieds d'une vieille bâtisse et s'attendait à ce que Kiara fasse de même. Il plongea alors son visage dans ses mains et tenta de se calmer, car il n'en avait pas encore eu l'occasion. Les larmes, au moins, avaient arrêté de couler. Mais parler, non, il était encore trop tôt pour ça. Il ne put qu'articuler - et ce n'était pas vraiment pour Kiara, mais plutôt pour lui-même, pour qu'il réalise enfin ce qui était en train de se passer :

J'arrive pas à y croire.

Je suivis Peter en silence. Il semblait savoir où il allait, et cela fût confirmer lorsqu’il fini par s’asseoir contre le mur d’une vielle maison abandonnée. En fait, toutes les habitations du coin était abandonnées… le quartier était une zone non-exploitée, et je compris rapidement pourquoi il était venu ici : c’était un lieu vide où personne ne viendrait nous déranger.

Toujours sans un mot, j’allais m’asseoir à côté de lui. Il n’allait vraiment pas l’air d’aller bien, son visage strié de larme enfuis dans ses mains. Il murmura quelque chose que j’eu du mal à saisir ? Pinçant les lèvres, je plaçais ma main sur son épaule et la serrais légèrement dans un geste affectueux. Je ne parlais pas encore, laissant le temps à Peter d’évacuer un peu la pression. Finalement, après un temps de silence, je fini par prendre la parole d’une voix douce.

« Tu va surmonter ça… Tu le dois… »