Aria a beau te dire de te détendre tu en es incapable. Tu ne vois Alessandra nulle part et ça t'inquiète. C'est stupide, il n'est pas étonnant que tu ne la trouves pas vu la foule présente mais tu ne peux pas t'empêcher de te faire des films. Ton instinct de grand frère - c'est la blonde à tes côtés qui l'appelle comme ça - te dit d'être prudent. Pour cette raison tu refuses la bouteille lorsque Aria te la propose à nouveau. Tant que tu n'as pas trouvé ta sœur tu préfères garder les idées claires. Ça te semble important. Ton seuil de tolérance à l'alcool est très élevé, tu as de la pratique on peut le dire mais aujourd'hui tu es fatigué et émotionné. Ça peut faire toute la différence et tu préfères éviter de tester tes limites pour le moment. Cette attitude trop sérieuse ne te réussit pas et même Aria finit pas t'envoyer voir ailleurs avec tes idées noires. C'est aussi une façon de te dire de chercher Al plutôt que de faire le pied de grue en scannant la foule. Tu te plies donc à cet ordre sans râler. Pendant que tu marches, aux aguets, tu repères une silhouette connue. Dryss reste à l'écart et ça te semble anormal. Il a l'air d'être plus ouvert et proche des autres habituellement. Sûrement encore un effet post-rébellion. Après une brève hésitation tu abandonnes finalement tes recherches au profit d'un petit passage auprès de l'Ancien.

KAHLAN – Hey Dryss.

Tu viens te poster à côté de lui, les mains dans les poches. Tes yeux se posent un instant sur le bûcher qui flambe dans la nuit puis tu te tournes pour fixer l'autre Jaguar.

KAHLAN – Pas trop d'humeur à faire la fête hein ? Tu as une petite mine.

Ta propre attitude te perturbe. Tu te sens plus prompt à aller vers les autres ces derniers temps. Il faut dire aussi que tu connais Dryss. Enfin tu lui as déjà parlé plus d'une fois et tu t'es battu contre lui. Tu ne saurais pas vraiment définir votre relation mais ça ne te semble pas avoir réellement de l'importance. Surtout aujourd'hui.

Dryss s'avançait à mesure que le crépuscule étendait son empire sur la plaine. L'Ancien ressassait toujours ces idées sombres. Il s'était promis de faire un effort mais plus il avançait, plus le spectacle qui s'offrait à lui le heurtait : à mesure qu'il progressait vers le bûcher, il pouvait distinguer les corps en décomposition dans le feu. Il n'en restait plus grand chose, mais c'était assez pour l'accabler. Ça plus l'odeur de chair brûlée l'empêchaient de rester impassible comme à son habitude. Non. Il n'allait pas bien et ça se voyait. Sans doute ferait-il mieux de partir temps que personne ne l'avait encore vu ou adressé la parole.

L'Ancien s'apprêta à faire demi-tour mais quelqu'un le héla. En serrant les poings, et mal à l'aise, il se retourna pour découvrir l'identité de la personne qui venait de l'enchaîner à cette soirée : Kahlan. L'Ancien se força à sourire à son approche et lui offrit un hochement de tête en signe de salut. Il appréciait Kahlan sans vraiment le connaître. Dyss lui avait déjà parlé plusieurs fois. C'était un Membre avec la tête sur les épaules mais qui savait aussi profiter de la vie quand l'occasion se présentait, mais surtout, c'était un excellent combattant qui avait failli le mettre à mal devant tous ses élèves. Bref, l'Ancien l'appréciait et le respectait, mais aurait tout donné pour que le brun jette son dévolu sur quelqu'un d'autre ce soir-là. Maintenant que le mal était fait, il fallait qu'il fasse illusion. Qu'il s'accroche à son masque de mensonge, comme il l'imaginait si bien.

Kahlan nota d'entrée sa "petite mine", certainement un euphémisme pour "humeur morose". Puisque l'Espion était déjà démasqué sur ce point-là, rien ne servait de mentir.

Pas trop, non. J'ai du mal à oublier ce qu'il s'est passé la veille. C'est un petit peu trop tôt pour moi, tout ça... Admit-il en désignant du menton le bûcher et les Jaguars trinquant à la santé des morts.

Dryss observa son interlocuteur qui paraissait aussi peu enclin à festoyer ce soir. Venant de Kahlan, c'était assez étonnant.

Toi non plus tu n'es pas très enthousiaste ce soir. Est-ce que tout va bien?

L'Ancien voulait avant tout s'assurer que Kahlan n'avait pas perdu de proches. Apprendre que le Membre était endeuillé aurait été un coup de poignard en plus pour l'Ancien, mais la culpabilité ne pourrait pas le tuer, de toute façon... pas encore. Il balaya ensuite la foule à la recherche de Jude mais ne parvint pas à la repérer. Était-elle seulement présente? Leur discussion récente le laissait amer et il préférait éviter de la croiser pour le moment.

Le changement d'environnement se fit brusquement. Passer de la chaleur diffusée par le bûcher à l'eau fraîche du lac avait quelque chose de plaisant. Quand bien même ses vêtements lui collaient à la peau. L'idée de Kiran était vraiment bonne et elle ne regretta pas d'être entrée dans son jeu. Et puis tout le monde était trop occupé pour leur faire la morale sur le fait que boire et nager ne faisait pas vraiment bon ménage. Mais il était des jaguars, bon sang. Si quelqu'un était capable de supporter l'alcool en toute circonstance, c'était bien eux. D'ailleurs, elle ne tarda pas à ouvrir la nouvelle bouteille qu'elle avait apportée, buvant encore plusieurs gorgées. Kiran ne tarda pas à la rejoindre, non sans avoir ôté son t-shirt pour ce faire. Il sauta alors en usant la technique de la bombe, éclaboussant tous les alentours dont la jeune femme qui ne put retenir un rire amusé. Il fit mine de porter un toast mais plutôt que de cogner leurs deux bouteilles, il préféra l'éclabousser. Asha rit de plus belle. Tu vas me le payer, répondit-elle tout en ripostant, lui envoyant à son tour de l'eau au visage. Elle battit alors en retraite, laissant sa bouteille sur le rivage avant de plonger purement et simplement sous l'eau. Elle fonça droit vers le corps de Kiran, lui attrapa la jambe et l'entraîna avec elle sous l'eau.

Il fallut un moment à la fille pour me lâcher, et lorsqu'elle le fit enfin mon bras retomba lourdement le long de mon corps, comme sans vie. Mon regard se tourna naturellement vers le feux, et ce n'est que lorsque la brune repris la parole que je redescendis à nouveau sur terre. Taiga... ce nom ne me disait rien. En même temps j'étais loin de connaître tout le monde chez les Jaguars aussi, mais bon, elle semblait vraiment sortie de nulle part...

Taiga me retourna ma question, et je tournais lentement la tête vers elle, gardant le silence un moment. Après quelques seconde, je soupirais et répondis en me grattant nerveusement le bras.

« Lucille. Tu sort d'où ? »

Je n'avais pas remarqué sa façon étrange de parler, c'était bien la dernière chose à laquelle je pouvais faire attention en soi...

Ahsa riposta aussitôt et j'éclatais de rire à son image. Mais alors que je m'attendais à des éclaboussures en force, l’accalmie arriva presque aussitôt. Surpris, je regardais la brune déposer sa bouteille au bord avant de plonger dans l'eau. J'en profitais pour boire un coup, mais j'avalais de travers alors que quelque chose m'attrapais les jambes pour me tirer vers le fond. J'eus le réflexe d'essayer de garder la bouteille hors de l'eau, mais la surprise, le manque d'air soudain et l'alcool qui me brûlait les poumons me firent paniquer. Donnant un coup de jambe violent pour me dégager, je remontais hors de l'eau où je prit une grande goulée d'air... ce qui fût une mauvaise idée après avoir avaler de travers. Je rejoignis le bord tant bien que mal en crachant mes poumons, déposais maladroitement l'alcool au bord de l'eau et m’agrippais aux touffes de terres en essayant de retrouver du souffle.

Une fois la panique passée et un semblant de respiration revenue, ce fût un fou rire qui prit possession de moi, ce qui ne m'aida pas à me reprendre...

T'es... vraiment... tarée...

Entre toux, rire, et halètement, parler était bien la dernière chose à faire, mais je m'en fichais au fond. Mais je réussi malgré tout à me calmer peu à peu, à reprendre ma respiration et le contrôle de mon corps. Il fallut le temps, mais j'y parvins. Et une fois que ce fût chose faite, sans prévenir, je me propulsais du bord sur Asha en criant et lui sautais dessus pour essayer de la couler.

Vengeance !

Pour la première fois depuis longtemps il t'est très difficile de faire semblant. Cette situation te frustre. Tu as fait une grossière erreur que tu ne sais pas encore comment réparer. Tu as tenté d'y réfléchir mais un sentiment étrange - la culpabilité peut-être - te bloque. Tu n'as plus ressenti un tel sentiment depuis l'enfance. Non même étant enfant tu n'es pas certaine de l'avoir déjà ressenti. C'est peut-être une première. Ô tu n'es pas coupable pour la rébellion. Tu l'as vu venir, tu n'as rien dit. Tu as attendu et regardé en espérant de bons résultats. Ça été le cas. Mais tu as détesté la surprise qui est venue avec l'attaque. Tu t'es faite rouler par tes subordonnés et tu te détestes pour ça. Les Dragons n'auraient pas du se mêler de ça. Leur présence risque d'être bien trop problématique et pour ça tu t'en veux car un conflit avec eux sera mauvais pour le clan. La rébellion est une purge et est positive mais que faire avec le plus redoutable clan de Paris dans le collimateur ? Non tout ça est trop négatif. Alors tu n'as pas la tête à faire la fête. Tu ne l'avais déjà pas de base mais vu ton humeur actuelle c'est encore plus difficile. Pourtant tu t'es pliée aux rites Jaguars pour le bien de ta couverture. Tu as assisté au discours de Noâ, tu as crié avec les Jaguars et maintenant tu te tiens au côté de Jason. Il a la mine triste mais il parle avec un autre Membre à propos d'un mort. Jason n'a perdu personne de réellement important mais il a bon cœur et tout ça le touche. Tu acceptes le bras qu'il passe autour de tes épaules en te pressant dans son côté mais ses bons sentiments te donnent envie de vomir. Tu n'es qu'à moitié présente et tu te serais blâmée en temps normal pour ça mais la situation t'offre une excuse tout à fait acceptable pour expliquer ton absence. Ton attitude te rend plus humaine. N'importe qui pensera que tu es touchée et trop émotionnée pour réellement parler. Donc tu ne parles pas. Tu écoutes d'une oreille discrète ce que raconte ton copain et tu sirotes la tasse d'alcool dans ta main. Et bien sûr tu penses trop. C'est devenu une habitude et tu penses que jamais tu ne pourras t'en détacher.

Après ta journée tu n'es pas vraiment d'humeur pour tout ça. Tu sais qu'il est important de participer au rituel funéraire des Jaguars mais tu ne te sens pas en phase avec tout ça. Depuis que tu as été mis en cellule pour insubordination tu n'as pas encore eu l'occasion de parler à Noâ. Tu ne sais pas si elle t'évite ou si c'est simplement à cause de ses responsabilités qui débordent de partout mais cette situation te crispe. Tu sais que tu as été trop loin. Tu regrettes la façon dont tu t'es comporté mais tu restes sur tes positions à propos de la sanction d'Abel. Cet étalage de violence était inutile et il fallait qu'elle le sache. Naturellement tu aurais pu être plus discret mais dans le feu du moment tu avais perdu les pédales. Même à toi ça pouvait arriver. Pendant le discours de la Chef et tout ce qui s'en suis tu restes dans ton coin à la lorgner. Tu t'occupes avec une bouteille d'alcool ce qui n'est peut-être pas la meilleure des idées même si ta tolérance est plutôt élevée. Tu es fatiguée par cette journée et la liqueur n'améliorera rien à ton état. Quand tu la vois commencer à faire un tour parmi ses Membres, tu espères. Elle viendra vers toi n'est-ce pas ? Tu prends une nouvelle gorgée qui passe de travers et tu tousses, recrachant difficilement l'alcool. La toux te pousse à te plier en avant et tu met longtemps à retrouver ton souffle, tes mains déjà humides essuyant ta bouche. Il ne manquait plus que ça. Aujourd'hui tu es vraiment une loque Zeke et ça c'est un problème car tout ça ne te ressemble pas.

La petite riposte d'Asha fit son effet. Le soumis sembla légèrement pris de panique, ne sachant comment réagir alors qu'elle l'entraînait vers le fond, avec elle. Une chance pour eux que le lac des jaguars était moins pollué que celui du centre neutre. Les lèvres fendues d'un sourire triomphal, Asha remonta à la surface après que Kiran a fait de même, se dégageant de sa prise d'un coup de pied énergique. Elle l'observa rejoindre la berge, chercher de l'air et reprendre son calme sans s'inquiéter plus que ça de l'état du jeune homme. Elle voyait bien que son état n'avait rien de grave, il devait avoir avalé un peu d'eau mais il survivrait. Ou peut-être l'alcool commençait-il lentement à dissiper le peu de lucidité qu'elle avait en temps normal. Toujours aussi satisfaite de son coup, elle l'observa et ses lèvre s'étirèrent en un nouveau sourire quand elle entendit la vaine tentative du soumis pour s'exprimer. A moitié mort de rire, à moitié suffoquant, il la traita de tarée. Tarée est mon deuxième prénom, déclara-t-elle fièrement, répondant du tac-au-tac à son interlocuteur. Elle ne se rendit vraiment compte qu'à ce moment-là qu'elle était tombée sur une personne drôle. D'autres l'auraient mal pris, d'autres auraient mis fin au jeu. Mais Kiran ne faisait visiblement pas de cette catégorie de personne coincée. Et Kiran avait sauvé l'alcool ? Y avait-il besoin d'une autre preuve pour démontrer qu'il était une personne digne d'intérêt ? Non. Mais il lui en donna une nouvelle en se jetant sur elle, essayant de la faire couler à son tour. Asha éclata de rire une nouvelle fois alors qu'elle se débattait pour se débarrasser de lui. D'une légère pirouette, elle réussit à le semer quelques secondes pour le retrouver aussitôt en lui sautant sur le dos, comme s'il était un cheval, les bras autour de son cou et les jambes le ceinturant. Du doigt, elle pointa le milieu du lac, visant la plateforme sur laquelle elle était montée il y a peu de temps, le fameux jour de son test d'admission. Allez, emmène-moi jusqu'à la plateforme ! Le jeu semblait si idiot, pourtant elle n'était même pas encore éméchée.

- Pourquoi je dois y aller ? Je m'en fiche des morts...

Ce n'était peut-être pas la meilleure chose à dire à Reed, ancienne Chef du clan, et créatrice de nombreuses traditions Jaguars. Dont celle-ci. La gifle qui frappa l'arrière de ma tête n'avait donc rien d'étonnant, mais je lâchais néanmoins un juron en massant le point douloureux sur mon crâne. Gifle n'était pas le mot exact, elle m'avait vraiment mis un coup. Boudeuse, je continuais à marcher à ses côtés, mais en arrivant à proximité de la foule, je m'arrêtais, lui laissant le plaisir de traverser la marée humaine pour se rapprocher de Noâ. Moi, je préférais rester en dehors de tout ces gens. On était jamais si bien qu'à deux mètres du corps d'un Jaguar mâle en sueur après une longue journée de travail sous le soleil au milieu des cadavres. Eurk. J'en grimaçais rien que d'y penser. Pourquoi est-ce que les débiles qui se faisaient tuer devaient pourrir aussi vite ? C'était dégoûtant. Noâ prononça un petit discours dont je n'écoutais pas un mot avant qu'ils se mettent tous à beugler comme des idiots.

- Ouais, c'est ça, Jaguars.

J'avais parler mollement en levant à peine le poing. L'effort était là, qu'ils soient contents. Quand la foule se dispersa, ce fut pour partir à l'assaut des bouteilles. Je préférais donc ne pas m'approcher des tables et me contentais de flâner en attendant de pouvoir rentrer à la maison. J'étais fatiguée et je ne rêvais que de rejoindre mon lit. Seulement si Reed se rendait compte que j'étais partie directement, elle me passerait un savon et j'estimais en avoir déjà reçu assez aujourd'hui. J'allais donc être docile pour une fois en traînant un peu dans le coin. J'étais bien résolue à n'adresser la parole à personne, mais quelqu'un se remit à crier et je ne pu m'empêcher de me tourner vers cette véritable nuisance, la fusillant du regard.

- C'est pas bientôt fini de gueuler comme ça ?! Sérieux, c'est quoi le principe, Ella ? On sait qu'on est les meilleurs, pas besoin de casser les oreilles des gens pour le faire savoir.

Peut-être que je perdais mon temps. La brune avait une bouteille à la main et le rapport entre ce fait et son cri état facile à faire. Avec mauvaise humeur, je repoussais mes cheveux derrière mes épaules tout en scrutant la fille. Et ça, c'était Membre...

Qu'il était bon d'être de retour à la maison. Même si techniquement j'avais passé cette dernière semaine chez mon père, j'étais heureuse d'avoir retrouvé le QG et l'ambiance réelle des Jaguars. C'était tellement mieux de vivre en plein milieu du territoire plutôt que derrière une porte. La mort n'était pas un évènement joyeux, mais chez nous les choses se passaient différemment. Nous n'étions peut-être pas heureux d'avoir perdus nos proches, mais au moins nous avions notre façon à nous de les honorer et de les aider à partir de la meilleure façon possible. J'avais l'habitude des festivités mortuaires et je m'étais plié aux coutumes bien que j'étais restée à l'écart. La fatigue était bien présente et la chute de l'adrénaline se faisait de plus en plus sentir. Je savais que contrairement à certains je ne tiendrais pas toute la nuit à faire la fête, mais au moins j'aurais pris une bonne bouffée de l'air Jaguar. Et un shot d'alcool. Après ma dernière consommation, j'avais été un peu réticente, mais ce n'était qu'un tout petit verre et il s'agissait ici d'une tradition. Boire pour les morts. J'avais abandonné mon verre sur la table et je traînais désormais dans la foule à la recherche d'une tête connue. Noâ plus précisément. J'avais besoin de lui parler. Seulement, ce ne fut pas sur elle que je tombais, mais sur Ezekiel. Après tout ce que j'avais entendu sur son attitude cette après-midi, j'hésitais un peu à aller vers lui, mais le voir tousser était inquiétant. Je savais d'où il venait, j'avais vu Noâ s'en faire pour lui, je ne pouvais donc pas juste passer mon chemin. Maladroitement, je me postais à ses côtés et lui tapotais doucement le dos.

- Tout va bien, Zeke ?

La réponse serait probablement non, mais je ne savais pas quoi dire. De façon générale, je ne savais jamais comment communiquer avec les autres. Techniquement, je connaissais l'Ancien depuis très longtemps, mais avec son hospitalisation j'avais eu peu d'occasions de le fréquenter dernièrement. Quand je fus sûre qu'il avait récupéré, je m'installais par terre à ses pieds et attrapais la bouteille qu'il avait à la main. Boire seul n'était pas une bonne idée, je le savais par expérience. Je la gardais donc à la main, jouant simplement avec pour éviter qu'il ne se brûle à nouveau la gorge.

L'alcool qui brûle ta gorge te rappelle de mauvais souvenirs. Cette quinte de toux en fait revenir d'autres, plus violentes. Tu te revois à l'hôpital, crachant du sang, l’œsophage enflammé et l'espoir en berne. Tu te souviens de cette difficulté à respirer, de cette impression que la mort est proche. C'est idiot ce ne sont que des souvenirs mais tu te sens un peu vaciller sous le début d'une crise. La peur se diffuse lentement en toi mais quelque chose vient tout couper. On te tapote gentiment le dos et ce retour à la réalité te permet de te rendre compte que c'est juste l'alcool. Tu as juste avalé de travers.

ALESSANDRA - Tout va bien, Zeke ?

Tu ne te sens pas encore capable de répondre alors tu te contentes d'un hochement de la tête. Lentement tu essuies l'alcool qui a été expulsé de ta bouche à l'aide de ta main mais elle est humide alors tu finis par utiliser le col de ton t-shirt dans un geste tout sauf gracieux. Quand tu t'es suffisamment remis et que tu notes qui est effectivement venu te voir tu es un peu surpris. Tu ne te souviens même plus de la dernière fois que tu as parlé à Alessandra. Tu t'en veux un peu pour ça. Même si tout n'est pas de ta faute, tu es sorti de l'hôpital depuis presque un an désormais et tu te rend compte que tu as éloigné beaucoup de gens par orgueil. Alessandra s'installe à tes côtés et elle te vole la bouteille. Tu la laisses faire avec surprise, prêt à faire un commentaire à ce sujet mais elle ne semble même pas vouloir boire et il faut que tu intègres le fait que Al n'est plus une gamine. Elle peut boire si elle veut. Premièrement elle est assez grande pour ça et deuxièmement ce ne serait pas tes affaires si elle décidait de le faire. Après une hésitation tu juges qu'il est préférable de t'asseoir à ses côtés et durant un instant tu contemples simplement la foule.

EZEKIEL - Ça fait un bail. Je n'avais pas encore pris conscience que tu étais devenue si grande.

Tu ne lui demandes pas si ça va. Tu sais. Alessandra a eu une mauvaise période et aux dernières nouvelles elle ne devrait même pas être dans les parages. Pourtant elle l'est et tu te doutes que ce n'est pas clandestinement. Même si ce n'est pas encore officiel Noâ a du la réintégrer au clan. Une part de toi ne peut t'empêcher de te dire que malgré ce bannissement elle en a toujours fait partie de toute façon. Même après ses erreurs, même après avoir été destituée, elle reste une Jaguar. C'est la force de ce clan. La force du pardon et de la seconde chance. Tu tournes le regard vers elle et tu l'observes un moment. Elle sort de la bataille, ça se voit. C'est la première fois que tu la vois blessée et tu as un léger pincement au cœur parce que dans ta tête elle est toujours la gamine qui traînait derrière Noâ. Elle le sera toujours.

EZEKIEL - Tu as pris cher. Mais je suppose que les personnes qui t'ont fait ça sont les plus à plaindre.

Tu dis ça mais tu ne sais pas comment elle se comporte en tant que combattante. Tu te souviens de ses talents au tir, de sa précision, de son équilibre mais tout le reste tu le dois à Noâ. A chaque fois que tu étais conscient et qu'elle était à l'hôpital elle te parlait du clan et finissait invariablement par t'en apprendre plus sur Alessandra. Tu as donc suivi son évolution sans être vraiment là.

Faire la fête n'avait jamais été réellement du goût de Zayne. Il aimait son clan et respectait les traditions, mais cette idée autour de la célébration de la mort le laissait de marbre. Il avait montré sa motivation au sien, avait fait acte de présence et de solidarité, avait même trempé ses lèvres dans un peu d'alcool pour le principe, mais les festivités étaient trop vite devenues lassantes. Plus vite qu'à l'accoutumée. Sûrement la faute de l'injection et de la douleur qui pulsait depuis ses blessures. Avant de devenir irritable, le brun prit donc la décision de se retirer. Il savait comment il était lorsqu'il perdait patience ou qu'on venait lui taper sur le système et il ne voulait pas ce soir gâcher quoi que ce soit à cause de son mauvais caractère. Rapidement, il se fraya donc un chemin dans la foule pour partir. Sa maison n'était pas très loin du lac, pas sûr qu'il pourrait réellement profiter du calme, mais il pourrait enfin retrouver ses quartiers adorés loin du cœur du territoire après des jours à avoir séjourné dans cette chambre bruyante au QG. Le fait de ne pas pouvoir vivre au quartier général était bien une chose que Zayne ne regrettait pas du règne de Joshua et de la retraite. Il préférait de loin sa maison à cette ruche grouillante qu'était le petit nid prétendument douillet des Membres. Discrètement, l'Ancien tira donc sa révérence.

La tasse qu'elle tendait ne resta pas vide bien longtemps. Syd avait été prompt à la remplir après un signe de tête et Noâ prit quelques instants pour observer le Membre. Même si elle s'intéressait à chacun de ses Jaguars, il était de ceux qui comptaient un peu plus que les autres et dont la mort l'aurait tout particulièrement affectée, le voir en forme et souriant était donc rassurant. Bridgit renchérit et elle eut un sourire à son égard avant d’acquiescer à ses paroles d'un hochement de tête. Elle avala tranquillement une gorgée de l'alcool qui irrita à peine sa gorge avant de continuer sa descente, après autant d'années passées dans le clan, elle avait appris à supporter, apprécier parfois même, le breuvage si souvent consommé ici. Malgré une bonne tenue, elle restait prudente et veillait aussi à ne pas être vue trop souvent avec un verre à la main. Après le règne d'un Chef alcoolique, les amalgames étaient vite faits et jamais elle n'aurait pu supporter d'être considérée comme lui. Aujourd'hui était néanmoins un jour de célébration et ne pas boire un minimum aurait été presque une insulte aux disparus. Le sujet des conquêtes de Syd revenu sur la table, l'ambiance reprit en légèreté et le jeune homme n'hésita pas à jouer le jeu, désignant l'un ou l'autre gars qui partaient déjà en vrille. Ce n'était pas bien glorieux, mais cela n'avait rien d'étonnant avec la nuit et la journée épuisantes qu'ils avaient tous endurés. La blonde désigna alors un autre homme et quand Noâ le repéra, elle partit dans un grand éclat de rire.

- Je sais de source sûre - Roxanne si vous voulez tout savoir - que ce monsieur n'a aucun intérêt si vous voyez ce que je veux dire.

Est-ce qu'elle était en train de casser l'image si sérieuse de sa Seconde ? Non, absolument pas. Ou peut-être un peu. Dans tous les cas, elle n'avait pas pu s'empêcher de glisser l'information qui était arrivée à ses oreilles quelques semaines plus tôt. Au milieu de tout ça, Anton fit son apparition et Noâ l'accueillit avec un sourire énorme tout en prenant une nouvelle gorgée de sa tasse. La soirée s'annonçait bonne si elle était si bien entourée.

- Mettrais-tu en doute mes capacités à lui trouver un bon parti ?

Son ton était mi-sérieux, mi-amusé, alors qu'elle coulait un regard à Anton, mais l'effet fut brisé par l'intervention de Bridgit qui lui arracha un nouveau rire. La Membre semblait bien décidée à embarquer Anton dans son jeu et cela ne pouvait pas déplaire à sa Chef. D'ailleurs, la mention d'un défi scella le tout et la blonde tendit une main à sa subordonnée.

- Un Jaguar ne recule jamais face à un défi. C'est un deal, équipière.

Après un clin d’œil à l'attention de Bridgit, elle tourna la tête vers les deux garçons et s'arrêta finalement sur le blond. Elle allait lui en demander plus sur ses critères, mais fut coupée dans son élan par un cri très perceptible. Plus amusée que surprise, elle chercha dans la foule la personne qui s'était exprimée et tomba sur Ella qui venait de clamer haut et fort son dévouement pour le clan. En réponse, Noâ porta deux doigts à ses lèvres et siffla pour approuver ses dires avant de retourner son attention vers Anton.

- Que dirais-tu d'une patriote énergique comme Ella ?

C'était bas, elle les savait juste amis, mais la blonde n'avait pas pu s'en empêcher. L'occasion était trop bonne pour taquiner son homme de confiance.

Tu passes une main mal à l'aise dans tes cheveux avant d'accrocher tes doigts à ta nuque tendue. Tu n'as jamais été un homme de petites discussions. Dryss lui-même ne l'est pas vraiment aujourd'hui vu sa mine. Tu te demandes un instant si tu le déranges, s'il ne préférerait pas être seul – tu comprends ce besoin, tu te sens parfois un peu trop étouffé par la familiarité des Jaguars et tu as besoin de tes moments de solitude – mais tu décides quand même de rester. Au moins pour un instant, juste le temps de t'assurer qu'il va bien. C'est ce que vous faites dans ce clan, vous tenez ensemble et tu t'en aurais sûrement voulu de l'avoir laissé dans son coin sans avoir été au moins le saluer.

DRYSS – Pas trop, non. J'ai du mal à oublier ce qu'il s'est passé la veille. C'est un petit peu trop tôt pour moi, tout ça...

Tu te tournes vers ce fameux tout ça et tu observes silencieusement les groupes qui s'amusent. Certes il y a des mines tristes et des larmes mais il y a aussi des sourires et des éclats de rire. Des cris de ralliement et des sifflets aussi. C'est ton clan, tu vis ici depuis toujours alors tu n'as jamais trouvé que ce genre de cérémonie était too much.

KAHLAN – C'est vrai que tu n'es pas d'ici. J'entends souvent les gens qui n'ont pas grandis dans cette ambiance dire ce genre de choses. Peut-être que c'est vrai, qu'on a vraiment ça en nous.

Tu te fiches bien que Dryss soit natif ou non, c'est une constatation. Tu as eu l'occasion de rassembler un paquet d'avis au cours de tes sorties au quartier alors tu te permet de donner un avis. Il n'est pas un étranger à tes yeux, il est juste Dryss des Jaguars du Sud et il ne l'aurait pas été plus s'il était né sur le territoire.

DRYSS – Toi non plus tu n'es pas très enthousiaste ce soir. Est-ce que tout va bien?

Il est vrai que tu ne t'es pas encore vraiment mêlé à la fête. Ce n'est pas à cause de la rébellion réellement, tu es juste inquiet pour Alessandra. Lorsque tu l'auras à l’œil tu parviendras sûrement à te détendre et à être un peu plus toi mais pour le moment la peur te mange encore trop l'estomac pour que tu sois aussi ouvert qu'à l'accoutumé au milieu des Jaguars dans ce grand événement.

KAHLAN – Fatigué et un peu inquiet. Je n'ai pas vu...

Tu t'arrêtes soudain car tu étais à deux doigts te dire que tu n'avais pas vu ta sœur. Mal à l'aise, tu avales le peu de salive que tu avais en bouche avant de continuer.

KAHLAN – Une amie. Ce soir. Elle ne doit pas encore être arrivée je suppose mais je préférerais qu'elle soit là.

Alessandra n'est pas vraiment une amie même si vous vous êtes rapprochés. Elle est ta sœur et ça te tue de ne pas pouvoir le dire. C'est sûrement pour ça que tu es plus prompt à parler de ça aujourd'hui avec Dryss. Tu admet clairement ton attachement même si tu n'as pas donné son nom et c'est l'une des premières fois.

Taiga contemplait la jeune fille avec curiosité. Elle avait autant de réactivité qu'un bout de bois et c'était une grande première pour la sauvageonne. Jusqu'ici, tous les humains rencontrés avaient une sorte de dynamisme en eux, mais c'était une autre histoire avec elle. La rousse était juste inerte et la seule chose qui semblait l'animer était ce grand feu beaucoup trop chaud duquel elles étaient trop proches.

La fille répondit qu'elle s'appelait Lucille. C'était encore un nom trop long, mais au moins n'était-il pas compliqué à prononcer. Par habitude, Taiga murmura ce prénom à plusieurs reprises pour habituer sa langue à le former avant de hocher la tête avec satisfaction quand elle eut la sensation de l'avoir dit correctement. Elle se souvient alors qu'on lui avait posé une question et réfléchit à la réponse en penchant la tête sur le côté.

— Loin. Forêt.

Inutile d'en dire plus. De toute façon, elle aurait été incapable d'en dire plus. Alors Taiga se contenta de passer à un autre sujet comme elle le faisait si bien. La curiosité était difficile à chasser et la poussait à pointer les mauvais détails.

— Pourquoi tu fais ça ?

Elle se gratta le bras pour imiter Lucille et la toisa avec les yeux curieux, véritablement désireuse de comprendre. Elle n'avait pas l'air particulièrement sale en plus. Peut-être que ça grattait juste.

La fille prit son temps pour me répondre, et sa réponse ne m’éclaira pas des masses, mais au final je m’en fichais pas mal. Je me contentais de hocher la tête lentement sans la lâcher des yeux. Mais lorsqu’elle commença à m’imiter tout en me demandant pourquoi je me grattais le bras, je baissais le regard et dissimulais aussitôt mes bras derrière mon dos.

« Je fais rien ! Je dois y aller. »

Je passais à côté d’elle en la bousculant légèrement et m’éloignais du feu, m’arrachant la peau de plus belle en retenant mes larmes. Je devais me reprendre… mais j’étais tellement perdue… et mon égo refusait que je demande de l’aide. De toute façon, comment demander de l’aide quand je n’étais même pas certaine moi-même de ce que je ressentais vraiment… ? Je me retournais afin de vérifier si la fille bizarre me suivait. Cette nuit allait être longue…

Alors que ma tentative de vengeance échoua, je me retrouvais avec Asha sur le dos, littéralement agrippée à moi. Pas facile de nager dans ces conditions, pourtant lorsqu’elle m’indiqua de l’emmener à la plateforme un peu plus loin, je m’exécutais riant.

A vos ordres m’dam.

Me débâtant pour nager avec elle sur le dos, il me fallut un moment pour arriver à destination, et j’étais quelque peu essoufflé aussi… J’attrapais le bord et y appuyais mes coudes pour pouvoir reprendre mon souffle. Et c’est alors que je me rendis compte d’un tru, un truc très important…

On a laissé la bouteille de l’autre côté, non ?

Prenant un air exagérément désespéré, je lâchais prise et me laissais couler en piqué, Asha toujours accrochée à moi. J’eu juste le temps de souffler quelques mots théâtrales avant de me retrouver immerger.

A quoi bon vivre s’il n’y a rien à boire…

J'étais tombée sur une boule de joie. Super ! Il y avait bien des choses pires, mais il n'empêchait que je n'appréciais pas ce genre de fille optimiste et à fond derrière le clan. Pas que j'étais contre le patriotisme, mais elle en faisait des caisses et ça me saoulait. En plus, elle était Membre, elle. On lui avait laissé passer son test, à elle. Je me renfrognais en la fusillant du regard. C'était profondément injuste, j'étais victime de cette garce de Noâ. Et de Reed pour l'heure. La réponse à la question de la brune sortit donc en une seconde même pas.

- On m'a obligé.

Je ne m'en cachais vraiment pas. Je me fichais bien des idiots qui n'avaient pas réussi à survivre, je me fichais tout autant des petits discours de notre Chef, et je me fichais un peu aussi de cette pseudo-célébration. Pourquoi fêter le simple fait d'être encore en vie ? C'était ridicule. En plus, je ne savais même pas comment m'amuser au milieu de ces félins trop imbibés. Je ne savais pas comment m'amuser tout court, en fait.

- En quoi c'est normal ? On s'est fait avoir comme des bleus. Ouais, le clan a survécu, mais tout ça ne serait sûrement pas arrivé si on se laissait moins marcher dessus. Pas étonnant de devenir cible quand on passe pour le plus faible des quatre clans.

Je n'étais pas d'accord avec ce point : les Jaguars n'étaient pas les plus faibles. Néanmoins notre réputation nous desservait et d'après les informations que j'avais pu glaner lors de mes vadrouilles forcées en centre neutre, ils étaient nombreux à avoir une image fausse du Sud. Des soiffards, des boulets, une poubelle qui ramassait tout,... Encore que c'était peut-être vrai qu'on ramassait un peu trop n'importe quoi. Pour le reste, c'était juste une question de spécimens.

Du coin de l’œil, j'observais Zeke. Il s'était installé à terre et scrutait désormais les petits paquets de gens qui profitaient de la soirée. Rester en silence ici ne me dérangeait pas, j'aurais été plus mal à l'aise si nous avions dû avoir une petite conversation de pure courtoisie. S'il avait quelque chose à dire, je lui faisais confiance pour le faire. D'ailleurs, voilà qu'il parlait avec une sorte de nostalgie dans la voix. Je laissais échapper un ricanement. C'est vrai que ça devait être choquant vu que j'étais une gamine la dernière fois que nous avions échangé un semblant de conversation. Je n'avais jamais été très hôpital, je n'avais donc pas été le voir durant sa longue période de maladie. De toute façon, ma présence n'aurait rien changé, nous n'étions pas assez proches et il n'avait pas besoin que quelqu'un vienne l'ennuyer quand il était au lit. J'avais tourné les yeux vers les autres Jaguars, mais en sentant son regard, je pivotais vers lui. Son commentaire m'arracha cette fois un sourire fier et je me redressais inconsciemment.

- Ça, tu peux le dire !

J'avais... Non, nous avions fait un joli carton à cet endroit même. Le combat n'avait pas été facile et il m'avait plus remué que je voulais bien l'accepter, mais les ennemis étaient tous tombés avec plus ou moins de souffrance. Peu désireuse de repenser à mon plongeon dans le lac, j'orientais la conversation sur lui en désignant son visage à l'aide du cul de la bouteille.

- Je vois que tu as aussi participé. Ça devait être violent pour un comeback. Enfin j'suppose que c'était ton premier combat depuis longtemps.

C'était profondément maladroit, mais je me rendais à peine compte que j'avais potentiellement touché un point sensible. Ce que cette blessure me faisait comprendre c'était qu'il avait défendu le clan et qu'il en était sorti vivant, pas qu'il avait échoué ou que sa maladie l'avait vraiment diminué.

Elle rigole, c'est bon signe. Comme tu ne connais plus vraiment Alessandra - et tu as la sensation que tu n'es pas le seul - tu t'appliques à te concentrer sur les petit détails communs. Elle est blessée mais paraît combattive. Elle ne correspond pas vraiment aux rumeurs que tu as entendue ces dernières semaines sur elle. Peut-être qu'elle a vraiment changée mais pas depuis la dernière fois que tu l'as vue. Peut-être qu'elle a changé cette nuit durant la rébellion. « Ça, tu peux le dire ! » Et là tout ce que tu peux penser est : Jaguar. Elle est féline dans son attitude, fière avec ce petit sourire qui te fait penser à ton clan. Vous n'êtes généralement pas des monstres d'orgueil mais vous avez votre fierté c'est certain. Fière seulement il y avait un mais. Elle ne te laisse le voir que durant une seconde mais tu vois une faille. Il y a quelque chose qu'elle ne dit pas. Qu'elle ne veut pas dire. Tu respectes ça. Tu ne peux pas la pousser à t'utiliser comme confident après tant d'années. « Je vois que tu as aussi participé. Ça devait être violent pour un comeback. Enfin j'suppose que c'était ton premier combat depuis longtemps. » Tu es un peu mal à l'aise. Tu n'es pas fier de ce que tu as dû faire. Tu n'as pas eu le choix, c'était pour ta survie et celle des tiens mais tu n'en tires aucune fierté. Tout comme tu n'es pas vraiment fier d'avoir été acculé à cause de la différence entre celui que tu étais avant et celui que tu es maintenant. Tu as fini par l'accepter mais elle a raison, c'était la première confrontation. Cette nuit la réalité t'a frappé et le choc a été dur. « J'ai pas eu le choix... » Tu souffles juste cette réponse avant de t'emparer de la bouteille pour boire une longue gorgée. Il y a autre chose dont tu n'es pas vraiment fier. Ton attitude de ce midi. Tu es d'ailleurs étonné que Alessandra n'ait pas mis le sujet sur le tapis. Est-ce qu'elle est désormais trop lointaine de Noâ pour se soucier de ce genre de choses ? Un peu maladroit tu décides de cracher le morceau. Il faut que tu en parles à quelqu'un, ça te bouffe. « Tu crois qu'elle me pardonnera ? » Tu supposes qu'elle devinera. Si ce n'est pas le cas tu brosseras juste cette histoire d'un haussement d'épaules et tu passeras à autre chose.

Bon, j'avais visiblement encore mis les pieds dans le plat. J'avais beau penser qu'un jour, peut-être, je parviendrais à avoir une conversation avec quelqu'un sans gaffer, mais je savais qu'il y avait peu de chance que cela arrive. J'étais juste trop maladroite avec les gens, il fallait que je m'y fasse. Je n'étais aussi probablement pas assez intéressée par l'impact que pouvait avoir mes paroles sur eux aussi. A moins que ce ne soit une question de conscience ? C'était difficile à dire, mais surtout ce n'était pas le moment de penser à ça car, pendant ce temps-là, Zeke ne trouvait rien de mieux à faire que de retourner à la bouteille. J'observais sa consommation avec une pointe d'inquiétude, je le savais désormais, l'alcool pouvait avoir des conséquences qu'il n'était parfois pas facile d'assumer. La suite me surprit un peu et je mis une seconde à retracer tous les points. Bien sûr, j'avais compris qu'il parlait de Noâ - de qui aurait-il pu parler d'autre ? -, mais je m'étais demandée pourquoi il me disait ça à moi. Il devait pourtant savoir que je n'étais pas vraiment la personne la plus proche de notre Chef en ce moment. Et puis, moi aussi j'avais à me faire pardonner alors je n'étais peut-être pas la Jaguar adéquate pour parler de ça. La tête baissée pour regarder entre mes jambes, je me saisis d'un caillou que je fis rebondir dans le creux de ma main.

- Pardonner, oui. Le pardon, c'est la partie la plus facile. Par contre, si on commence à parler de confiance et d'ouverture, c'est une autre histoire. T'as déconné Zeke. Elle avait besoin de soutien et tu as fait tout le contraire. Donc ouais, je pense qu'elle te pardonnera, mais c'est pas sûr qu'elle te laissera l'approcher comme avant.

Je poussais un très long soupir avant de lui tapoter l'épaule avec une affection teintée de compréhension et de compassion.

- Toi et moi, on est dans la même merde.