If you want something done right, do it yourself

If you want something done right, do it yourself

Louane & Zayne
Jour 6 - Midi

Pour que ce poison soit optimal, il fallait trouver un équilibre délicat entre plusieurs composantes. Certes, quelques poisons étaient simples à produire, mais pour les plus complexes dont l’antidote était moins évident à dénicher, il fallait y passer du temps mais également un bon nombre d’ingrédients. Des mélanges d’ingrédients. Il y avait quelques temps déjà que Louane songeait à cette idée un peu folle, celle d’élaborer une essence d’algues toxiques. Pas suffisamment forte pour tuer, non, bien sûr que non, elle n’était pas une meurtrière, mais assez dangereuse pour obliger sa victime à rester au lit quelques jours durant. Si les expériences furent retardées suite à la rébellion et les multiples bouleversements qui s’en sont suivis, il fallait désormais mettre les bouchées doubles. D’autant plus que, durant l’absence d’Anabella, il était fort à parier qu’une arriviste veuille s’arroger le pouvoir sans en avoir le droit. Évidemment, la toute jeune vipère ne désirait pas nuire au clan. Elle se tenait seulement prête à toutes éventualités, et à réagir si une autre voulait du mal à son clan.

Les algues cultivées dans les laboratoires étaient définitivement trop toxiques pour ne pas tuer la cible de cette éventuelle escroquerie. Dépitée, Louane songea évidemment à celles du lac. Ce fameux lac. Dégoûtant. On racontait tant de choses, à son sujet! Sa binôme lui avait affirmée qu’une dénommée Yulia y avait fait des choses obscènes avec un Aigle, durant la dernière saison aride. L’idée de confier la tâche à un soumis ne l’enchantait pas plus que d’y aller elle-même. Il risquerait d’endommager les algues lors de la cueillette, avec ses petites mains gauches et malpropres. Même si se plonger dans des eaux souillées la dégoûtait, tant l’abjection était grande, Louane serait au moins certaine de la qualité de ses spécimens.

L’eau fraîche léchait ses orteils puis ses pieds, à mesure qu’elle s’aventurait dans les eaux toxiques du lac. Malgré le danger que pouvait représenter l’eau, il fallait l’avouer, la fraîcheur qu’elle procurait était agréable. Le soleil frappait encore très fort et Louane se surprit à soupirer d’aise. Surtout, se concentrer sur la sensation, sur le bien-être que cette avancée aquatique lui procurait. Surtout, ne pas penser aux membres ayant pu se soulager durant une baignade rapide, à l’abri des regards. Surtout, ne pas penser qu’Esfir ait pu cracher dans le lac en prévision de sa cueillette d’algues. Trop tard. L’image de sa binôme ayant planifié le coup s’infiltrait à son esprit comme un mauvais poison. L’eau lui arrivait à présent aux cuisses. Elle n’irait pas plus loin.
- Qu’on m’ampute les jambes, par pitié…
Elle s’imaginait la salive de sa chère Esfir flotter sur le lac placide, jusqu’à venir frôler son derme satiné. Un haut-le-coeur lui barbouilla l’estomac et laissa sur son candide minois une moue dédaigneuse. La toute jeune planta ses mains sur ses hanches et s’intima de fermer les yeux. Elle devait se concentrer sur sa mission, celle de récolter un peu plus d’algues toxiques pour son expérience. Se vider l’esprit. La vipère tenta de se convaincre qu’elle n’aurait qu’à se nettoyer minutieusement les jambes. Au lance-flammes.

Lorsqu’on frôla sa jambe, elle poussa un hurlement strident. Immobile, horrifiée et dégoûtée, ses yeux immenses rivés vers les eaux pourtant calmes, elle n’arrivait pas à trouver le courage de rebrousser chemin par crainte que la bestiole recommence. Dans sa panique, la vipère n’avait même pas pris en considération le boucan qu’elle venait de produire.

Toute prise dans ses perceptions faussées de monstre marin frôlant ses gambettes et de salive contaminée flottant sur l’onde, Louane n’avait pas entendu le Jaguar s’approcher de la rive. Elle ne l’avait pas vu non plus. Lorsqu’il l’interpella pour offrir son aide, la jeune vipère sursauta et, dans sa tentative de pivoter pour faire face à l’homme, vacilla légèrement. Les algues étaient peut-être légèrement toxiques, mais elles étaient avant tout glissantes comme de la vase, sous les pieds. Les bras tendus, elle tenta de garder son équilibre, les yeux écarquillés, sa lippe à peine mordillée comme épicentre de sa concentration. Alors qu’elle croyait être tirée d’affaire, elle abaissa ses bras dans un léger soupir de soulagement. Il ne lui en fallu pas plus pour perdre définitivement pieds et plonger vers l’arrière. C’était triste à voir, une petite Louane tendre le bras vers Zayne, son ultime espoir, malgré la distance impossible à traverser. Comme si ce simple geste allait l’attirer à elle et l’aider à ne pas se mouiller entièrement. Trop tard.

Pendant quelques secondes, elle paniqua. Ça ne dura pas, évidemment, mais être soudainement plongée dans les eaux dégoûtantes du lac lui embrouilla un très bref moment l’esprit, d’autant plus que son minois était presque submergé. Elle se débattit brièvement avant de se redresser, dégoulinante, ses longs cheveux flamboyants la couvrant comme une seconde peau, ou comme ces algues qu’elle espérait tant cueillir. Louane perdit pied une seconde fois, s’éloignant un peu plus de la rive bien malgré elle, plus profondément, là où ses pieds n’avaient plus aucune prise mais ne risquaient pas de la faire chuter éternellement.

- Je jette les gants..! Non! Non, je jette l’éponge. Je jette ce que tu veux, mais sors moi d’ici!

Au moins, elle savait nager, la petite princesse. Ses bras habitués à manier des armes s’agitaient sans difficulté, trahissant sa capacité à ne pas se noyer et possiblement se sortir elle-même de cette situation vaseuse -sans mauvais jeux de mots. Le problème n’était donc pas physique. Le problème, c’était les eaux. Elle aurait sans doute mieux fait de confier la tâche de cueillette à une laborantine quelconque, plutôt que de s’entêter à se croire au-dessus de la masse.

- Je risque de fondre..! S’il te plaît. On dit que les Dragons dissolvent leurs cadavres dans le lac.

Louane savait pertinemment que c’était faux. Elle le savait parce qu’elle travaillait avec des eaux toxiques et les comprenaient mieux que bien des gens. Mais l’idée que sa grande soeur veuille l’embobiner avec ce fait, que la toxicité la ferait fondre, ça l’avait charmée, et c’est sous un air candide qu’elle avait accepté de jouer le jeu, de jouer les crédules, pour le plus grand bonheur de Zola. Ça lui servait bien, désormais, la carte de l’humour un peu morbide pour amadouer un étranger qui s’était proposé à lui couper les jambes, han!