I just want to talk ft. Yulia

I just want to talk

Jour 8 - après-midi
La veille nous avions appris pour la nomination d’une nouvelle Seconde. Je n’étais pas de celles qui avaient des doutes concernant celle qui avait choisie pour ce rôle. Au contraire, j’étais fière, heureuse, aux anges pour elle. Il s’agissait de ma plus vieille amie, après tout, Théa. Comment pouvais-je ne pas être ravie pour elle ? J’avais bien envie de la voir mais elle était trop occupée ce matin-là et l’après-midi également. C’était les joies d’être nouvellement Seconde. Je pouvais comprendre. Alors, je serrais le frein en attendant de pouvoir la voir et la féliciter de vive voix. Avec ma binôme comme Seconde, j’étais certaine que les Vipères allaient pouvoir se relever. Je ne m’inquiétais pas le moins du monde de notre sort. Je la savais consciencieuse et sérieuse. Elle mettait du cœur à l’ouvrage. J’aurais pu encore faire la liste de ses qualités, ça ne s’aurait servi à rien si j’étais seule. Aucun ravitaillement, je devais m’occuper sur le territoire et veiller à la sécurité de celui-ci. C’était moins passionnant, surtout que certaines s’énervaient déjà, quand elles n’étaient pas juste en train de se plaindre sans faire quoi que ce soit. De mon côté, j’avais fait ce qui m’était assigné comme tâche. Après l’oppression des quelques cris de Soumis mécontents, nous n’avions pas trop à nous plaindre de leur part. C’était déjà ça. Je n’avais pas envie de m’énerver avec eux cette fois encore.

J’entendais beaucoup de choses au sujet de la Traque. Apparemment, ça aurait mal tourné. On ne nous disait pas tout. Pas grand-chose de sérieux. Ce n’était que des ragots ci et là mais rien de formel. Je ne me voyais pas parler avec Dalia, elle était trop fermée pour ça. J’avais déjà eu bien du mal à lui demander un entraînement alors que je n’étais encore qu’une Soumise et je n’étais toujours pas devenue masochiste à ce point. Alors, je ne voyais qu’elle : Yulia. Nous avions parlé le jour qui suivait la rébellion des Jaguars. Peut-être ne se souviendrait-elle pas de moi parce que je n’étais pas une Membre extraordinaire mais je pouvais bien tenter ma chance. Cette fois, c’était moi qui amenais des questions et non l’inverse. J’avais dû me renseigner pour savoir où elle habitait, heureusement pour ça, Leonor m’avait gentiment indiqué le chemin. J’espérais sincèrement pour elle qu’elle ne risquait pas quoi que ce soit en m’ayant donné ce renseignement. Je toquai alors à la porte de la maison. « Yulia ? C’est Rose. Je ne sais pas si tu te souviens de moi, on a parlé il n’y a pas si longtemps. » J’attendais poliment derrière la porte. « Je dois sûrement te déranger mais j’ai quelques questions. » Je savais qu’elle avait besoin de se reposer alors je me mordais déjà les doigts.

L'après-midi était déjà bien avancée, mais Yulia était au lit. Elle avait passé la journée à lézarder, bien forcée par son corps à prendre du repos. La traque ne l'avait pas laissée indemne et le congé qu'elle avait reçu s'avérait particulièrement utile. Trois jours minimum. Autant dire une éternité pour une fille qui ne restait pas souvent en place. Elle était bien sortie pour passer à l'infirmerie, mais ça n'avait été qu'un petit trajet de rien du tout. Un examen rapide, une nouvelle dose de médicaments et elle était revenue à la maison. Leonor lui avait promis de passer dans la soirée quand elle en aurait terminé avec le travail et elle attendait cette visite avec impatience. Cette dernière allait normalement venir aussi avec des nouvelles de Dalia. Yulia n'avait pas vue sa binôme depuis la veille ce qui n'était pas une chose habituelle, mais elles revenaient quand même d'un évènement particulièrement lourd physiquement et psychologiquement. Assez naturellement, elle ne pouvait donc que s'inquiéter un peu pour sa partenaire.

Quand on toqua à la porte, Yulia se retrouva donc étonnée. Elle se leva néanmoins et fit son chemin jusqu'à la porte avec un peu de lenteur due à son état. Avant qu'elle ait pu arriver et ouvrir, une voix se fit entendre. Rose. Yulia fronça les sourcils, elle ne comprenait pas vraiment ce que la rousse pouvait bien lui vouloir. Elle ne la connaissait pas bien après tout, mais elle avait été gentille avec elle le jour suivant la rébellion. Elle ouvrit donc la porte, affichant un léger sourire tout en s'appuyant au chambranle.

— Rose, salut. Oui, bien sûr que je me souviens de toi.

Yulia n'oubliait pas souvent quelqu'un. Encore moins quand on parlait d'une fille qui avait quand même proposé de tenter d'obtenir des informations sur les jaguars pour elle.

— Des questions ? Puis se rendant compte de son impolitesse. Pardon. Entre. Nous serons mieux à l'intérieur.

Elle s'effaça pour la laisser entrer avant d'aller vers la pièce à vivre où elle lui désigna une chaise à son invitée avant de s'installer à son tour.

— Qu'est-ce que je peux pour toi ?

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Rose & Yulia

J’avais bien choisi parmi les deux Traqueuses : Yulia était la plus sociable et la plus loquace. J’étais certaine que si j’avais été voir Dalia, elle m’aurait claqué la porte au nez ou m’aurait prié de m’en aller parce que je la dérangerais. Yulia, quant à elle, était suffisamment polie pour accepter les autres malgré son état. Et ça se voyait. Elle avait perdu un peu de sa superbe sans devenir une larve. Elle était blessée, en somme. Ce qui est on ne peut plus normal après une telle séance… d’horreur sans aucun doute. En y songeant, je m’en mordais déjà les doigts. J’aurais dû lui laisser cette après-midi tranquille. Elle méritait du repos et pourtant voilà que ma curiosité me poussait jusqu’au seuil de sa porte. Alors, au lieu de me demander d’aller voir ailleurs, elle m’invita à entrer chez elle. J’aurais encore pu rebrousser chemin, lui dire que je voyais bien que c’était trop demander à son corps et m’en aller pour éviter d’abuser de sa gentillesse mais je ne le faisais pas. Au lieu de faire ça, je rentrais et je découvrais sa maison, disons ce que je pouvais voir sur le chemin jusqu’à la pièce à vivre où je me posai sur une chaise après son invitation. « Je suis désolée de te déranger alors que tu devrais te reposer. Dès que tu sens que tu as besoin d’être seule, je m’en vais. » Je précisais toujours ce genre de choses. Je refusais de gêner. Et puis, c’était mon mode d’emploi. J’y allais franchement, je disais souvent ce qui me passait par la tête quitte à paraître encore plus étrange.

Après quoi, je chipotai mon pantalon. Je le triturai, le tournant dans tous les sens possibles sans le craquer. Je ne savais pas par où commencer. Ou plutôt, je ne savais pas comment aborder ce sujet. Si on ne nous en parlait pas, c’est qu’on ne pouvait pas nous en parler, pas même Yulia juste si elle le voulait. Alors, je m’attendais à un refus. « La Traque… Comment c’était ? » Il ne fallait pas que j’y aille trop franchement, pas cette fois. J’y allais doucement. Je n’étais pas calculatrice vis-à-vis des autres, je ne les manipulais. Je calculais simplement les événements pour le bien commun, ou en tout cas le mien et celui des miens, c’est-à-dire, les Vipères. « Beaucoup doivent t’avoir déjà posé cent questions à ce sujet et beaucoup le feront encore mais… je tiens à te l’entendre dire. Tu es une Membre de confiance. » Espérons que ça ne la mette pas mal à l’aise et encore moins qu’elle ne me jette à cause de cette question stupide de prime abord.

Yulia n'allait pas se plaindre de recevoir de la visite. C'était une distraction plus que bienvenue au vu de la situation. La gentillesse de Rose l'était aussi et elle apprécia de faire face à quelqu'un d'aussi attentif aux autres. Elle n'allait pas dire que c'était rare dans le clan, mais tout le monde n'avait pas le même degré d'empathie.

— T'inquiète pas. dit-elle avec un sourire rassurant.

Un silence s'installa ensuite. Yulia observa sa cadette curieusement. Rose semblait chercher un angle d'attaque et pendant ce temps-là, elle triturait son pantalon. Étrange. Le sujet était-il si compliqué ? Quand elle commença, le tout s'expliqua. La traque, bien sûr. Un sujet épineux en effet. Les gradées avaient été plutôt claires la veille. Motus et bouche cousue, c'était la consigne jusqu'à ce qu'un ordre contraire ne tombe. Yulia pinça les lèvres, pas sûre de comment elle devait orienter la chose. Bien sûr, elle n'allait pas dire un mot sur le problème qui s'était présenté durant la chasse, mais rien ne l'empêchait de parler du reste. A l'exception de la découverte des corps, la traque avait été classique et les détails ne nécessitaient pas d'être tus. En dire un petit peu était encore la meilleure façon de ne pas trop diabolisé cette journée.

— Crois-le ou non, tu es la première à venir vers moi pour ça.

Le fait de peu sortir et de ne pas voir grand monde avait aidé. Nora avait aussi fait en sorte que les traqueuses ne fassent pas de rencontres par la suite. Il avait fallu une grande curiosité et un peu de culot pour que l'opportunité se présente.

— C'était...violent. On nous a débarqué au lever du jour parmi les traqueurs des autres clans. S'organiser avec eux a déjà été un sacré défi. Ensuite, on s'est séparés. Comme il était tôt, on pensait pouvoir éliminer des groupes discrètement, c'était le plan, mais il y avait des tentatives de fuite et avec les premiers coups de feu, c'est devenu le bordel. On a dû collaborer avec les deux dragonnes pour descendre des gens à un moment. Les rumeurs étaient plutôt fondées à leur sujet. Efficaces, mais c'était limite si elles ne nous tiraient pas dans les pattes pour ajouter plus d'élimination à leur compteur. Je ne vais pas te mentir, quand on est dans l'ambiance, c'est tentant de tourner ça au jeu.

Yulia se racla la gorge avant de passer la main sur sa nuque, un peu mal à l'aise. Même si tuer n'était plus un réel problème pour elle depuis un moment, sa propre attitude face au massacre la mettait désormais dans une étrange position. C'était probablement la principale différence de mentalité avec les dragonnes. Yulia les voyait mal se pencher maintenant sur ce qu'elles avaient fait. Surtout l'une d'entre elles.

— Bref. Il y avait du boulot et on représentait les vipères, alors bien sûr tout était bon pour avancer. La matinée s'est déroulée sans encombre. Et puis... C'était ici qu'il allait falloir commencer à avancer en pointillé. Après, l'ambiance a changée. Tout était plus lourd, les libres plus féroces. Notre fatigue grandissait et il en était de même avec leur envie de survivre. C'est à ce moment là que la plupart d'entre nous ont subis des dégâts. Heureusement, la fin de la journée approchait et les derniers fuyards étaient éliminés aux frontières.

Yulia ne savait pas vraiment si c'était ce que Rose souhaitait entendre, mais elle lui avait donné une idée plutôt fidèle de cette traque. Sauf bien sûr l'évènement qui s'était déroulé au zénith.

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Rose & Yulia

Décidément, Yulia était sacrément conciliante. Non seulement elle acceptait ma visite imprévue mais en plus, elle ne tirait pas la tête et elle se montrait accueillante, jusque dans ses gestes et dans sa manière de se tenir face à moi. Théa avait raison, dans le fond. Avec le temps, je finissais par me trouver petit à petit une place au sein des Membres. C’était difficile à y croire plus jeune forcément, mais je me rendais bien compte qu’elles n’étaient pas toutes des Dalia ou des Katarina. Non, certaines étaient censées et ouvertes. Je remarquais bien que la Traqueuse ne me regardait pas comme si j’étais une bête de foire. Elle ne se montrait pas non plus condescendante, hautaine ou vantarde. Elle était simple. Je me sentais à l’aise. Et c’était précieux pour moi. Alors, quand elle se mordit la lèvre suite à ma question, je me sentis d’autant plus mal. Je sentais bien le doute. Elle réfléchissait. Elle devait sûrement réfléchir à ce qu’elle pouvait dire. C’était la première idée qui me venait à l’esprit. J’eus envie de lui signaler que ce n’était pas une obligation, qu’elle pouvait se taire si c’était plus prudent pour elle mais je n’eus pas le temps. Elle entamait déjà sa narration, sans hésiter plus longtemps.

Je l’écoutais avec beaucoup d’attention et j’intégrais tous les éléments dont elle me parlait. Je n’étais pas seulement de bonne volonté, non, j’étais surtout observatrice et je gardais en tête mes observations quelles qu’elles soient : auditives, tactiles, visuelles, gustatives et même odorantes. Mes cinq sens étaient constamment à l’affût. Et là, en plus de l’écouter, je guettais le moindre mouvement, la moindre tension. J’avais parfois le sentiment de vivre les événements tant j’étais attentive à tout le contexte. C’était toujours très enrichissant, d’ailleurs. Et comme je m’y attendais, c’était violent. Forcément, une Traque, ce n’est jamais une partie de plaisir, sauf peut-être pour les Dragons ? Je ne les connaissais pas suffisamment pour me faire un jugement complet à leur sujet mais de ce qu’en disait mon aînée, ce n’était pas tellement une corvée pour elles. Je ne pouvais certainement pas comprendre complètement ce que c’était de vivre dans une telle ambiance, donc je ne pouvais pas les juger ni elles ni Yulia. « C’est déjà pas évident de s’entendre entre Membres d’un même clan, alors forcément entre clans… Mais ça veut bien dire que ce n’est pas impossible. » J’avais bien envie d’ajouter « surtout avec Dalia » mais je ne voulais pas l’ennuyer avec un sentiment personnel. « Je suis rassurée de vous savoir en un seul morceau après une telle violence. » Pour ce que ça valait, je souriais et je me montrais de nouveau spontanée.

Après quoi, j’hésitai à nouveau, me mordillant nerveusement les lèvres. Je ne savais pas si ça me concernait. Non, clairement, ça ne me regardait pas. Seulement, je m’en souciais. « J’ai entendu qu’il y avait eu pas mal de pertes chez les Jaguars. Mais as-tu des nouvelles de ta famille ? » Ça faisait un bout de temps, une semaine précisément mais je me rappelais encore de sa moue inquiète lorsqu’on s’était rencontrées le jour où l’on apprenait pour l’état d’Annabella. Et pour bien faire, elle ne pourrait me donner plus de détails sur la Traque, elle avait été complète.